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jeudi 29 août 2024

PALESTINE GAZA : ''Jamais auparavant à notre époque nous avions vu une armée gouvernementale attaquer une population civile avec une brutalité et un sadisme aussi illimités'' Dr Mads Gilbert ...le 29.08.2024

 


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Un ancien soldat israélien raconte (épisode 1)

Un ex-soldat israélien d’origine française nous propose une série de témoignages critiques depuis l’intérieur de la société israélienne. Une prise de conscience qui l’a poussé à quitter l’armée et Israël.

איך הגענו לפה
 Comment en est-on arrivé là ?

« Pour ce que tu me dis sur ton dégoût d’Israël, j’aimerais beaucoup que tu m’expliques ce que tu veux dire. Parce qu’ici les gens sont incroyables, ils s’aident énormément et ils sont beaucoup plus proches qu’avant. Je suis curieuse de savoir ce que tu penses parce que, tu sais, les médias en France sont très pro-Arabes alors qu’ici on vit une tout autre histoire.  […]
Je t’écoute et je ne sais pas si tu vas accepter ce que je vais te dire puisque tu as des idées très différentes. Parce que d’ici, de notre point de vue, on ne peut pas faire autrement. Tu parles comme on parle dans la gauche en France, que l’on fait une sorte de génocide à Gaza. D’abord, il n’y a pas une armée plus humanitaire que notre armée. Pendant qu’il y a cette guerre horrible, aucune autre armée dans le monde ne donne autant d’aide et de médicaments à ses ennemis. Aucune armée, ni les Américains, ni les Européens, personne n’a jamais aidé leurs ennemis avec de l’aide humanitaire comme ça. Peut-être qu’on n’en parle pas dans les informations, mais c’est tout le temps. C’est vrai que ce qu’il se passe c’est très compliqué, c’est vrai que c’est très triste ce qu’il se passe à Gaza, qu’il y ait autant de morts et des citoyens qui sont morts à Gaza, mais… Il faut les massacrer complètement, il n’y a aucune autre possibilité. Ce qu’il s’est passé le 7 octobre c’est tellement grave. C’est pas quelques centaines de cons, c’est tout un peuple qui les a choisis, qui les a élus. Il y a beaucoup de terroristes parmi ces citoyens, énormément, la plupart. Ils sont éduqués dès l’âge de zéro à nous massacrer et on n’a pas une autre possibilité si on veut rester ici et si on veut continuer à vivre. C’est pas nous qui avons cherché ce massacre horrible qui est arrivé le 7 octobre. C’était un cauchemar qu’on ne pouvait même pas imaginer dans le pire des films. Leur cruauté… On ne peut pas ne pas réagir. Moi, j’ai plein de copines dont les maris ont été blessés et maintenant handicapés à vie. Ce qui se passe à Gaza, c’est horrible. Et c’est triste qu’il y ait aussi beaucoup d’enfants qui meurent et des vieux et des citoyens, bien sûr que c’est triste. Mais il n’y a aucune autre possibilité, on est obligé de complètement finir le travail là-bas. Quand je dis finir le travail c’est pas tuer tous les citoyens, mais c’est d’arriver à tous les gens du Hamas qui sont dans le gouvernement du Hamas, essayer de libérer les otages, c’est horrible qu’il y ait des otages là-bas ; et puis montrer au monde qu’on ne se laisse pas faire. Si maintenant on arrête tout ce qu’on a commencé, dans un an ou deux c’est le Liban qui va nous attaquer et nous faire vingt fois pire. On ne peut pas faire un demi-travail. Et c’est des pourritures là-bas à Gaza, qui sont éduquées à nous massacrer de l’âge de zéro. Je ne peux même pas t’expliquer ce qu’on a vécu ici en octobre, novembre, décembre… Ce sont des gens avec qui on ne peut pas faire la paix. Il faut se réveiller. Beaucoup de gens à gauche ont compris que ce n’est plus possible d’être dans cet état d’esprit et qu’il faut se défendre. Et c’est jamais nous qui cherchons les guerres et c’est jamais nous qui faisons les attentats, on n’attaque jamais les Arabes. On cherche à vivre en paix. Mais ce qu’ils ont fait c’est tellement violent, c’est tellement traumatisant. Tu ne peux pas savoir le nombre de jeunes… Je connais personnellement plein de gens dont des membres de la famille sont morts, assassinés, violées, pris en otage… C’est horrible. On est obligé de réagir. Et comme chaque guerre, il y a aussi des citoyens qui sont pris dans le cauchemar de la guerre. Ça a toujours été comme ça. Quand Ben Laden a fait tomber les Twins et après il y avait la guerre en Irak pendant quatre ans, personne n’a rien dit aux Américains. Ils ont fait ce qu’ils doivent faire. La guerre c’est toujours horrible. C’est très très triste que ça doive se passer. Mais on leur a donné aux gens de Gaza de l’argent, énormément d’argent. Et tout ce qu’ils savent faire avec cet argent c’est de tout détruire et acheter des armes et faire des tunnels et faire des plans commandos et massacrer. Alors c’est beaucoup plus compliqué que ce que tu dis. Et bien sûr que le gouvernement ici est pourri et Bibi c’est une pourriture. Alors les citoyens sont adorables et s’aident les uns les autres c’est vraiment beau de voir la solidarité. Et nous tous on déteste le gouvernement et Bibi. Et toute cette situation de guerre, elle est horrible, mais on est obligés, obligés de finir le travail à Gaza et d’essayer de ramener les otages. Sinon on est finis. Israël est vraiment, vraiment, vraiment en danger, c’est plus une blague. Et on a pas où aller. Mon mari et moi dès que la guerre a commencé on a dit : « allez on part au Canada, on part je ne sais pas où, on cherche un endroit où s’enfuir rien que de ne pas vivre ici. » Mais on a pas où aller. Toi tu es Français, tu n’es pas Israélien, ta vie elle est … Voilà tu es français. Mais nous on est autant Israéliens que juifs, on est sûrs nulle part, et on est obligés de protéger notre pays.
 »

J’ai réécouté ce message vocal de nombreuses fois. À chaque fois, je croyais avoir sur-interprété ma dernière écoute, et chaque fois je tombe à nouveau des nues. Son accent et ses hébraïsmes que j’ai toujours trouvés attendrissants rendent l’enregistrement encore plus glaçant. Comment en est-on arrivé là ? Comment ma cousine adorée, née à Paris et élevée dans une bulle intellectuelle de gauche à Tel Aviv, a-t-elle pu arriver à tenir ces discours génocidaires, son enfant de quelques semaines dans les bras. Elle qui a voyagé autour du monde, alliant les peuples avec sa voix magnifique et sa musique métissée. Elle qui n’avait pour haine que la droite religieuse, la droite qui a tué les accords de paix. Bientôt trente ans plus tard, ceux derrière Yigal Amir ont finalement réussi à effacer le sang de Rabbin du sol de Tel Aviv.

Comment un peuple qui a trop vite refoulé son récent passé de persécution en est-il arrivé à devenir bourreau ?  Comment la petite fille de deux rescapés d’Auschwitz en est-elle arrivée à soutenir le massacre d’un peuple, son nouveau-né dans les bras ? Par un élan de folie traumatique collectif ? L’aboutissement d’un long processus de déshumanisation ? J’ai entendu des discours similaires dans la bouche de jeunes soldats traumatisés, de colons fanatiques, ou d’Israéliens victimes d’un système éducatif lamentable et d’une propagande de plus en plus omniprésente. Mais je ne pensais jamais l’entendre de la bouche de jeunes intellectuels revendiqués de gauche. Eux qui étaient les derniers défenseurs de l’humanité de leur pays. Comment un peuple est-il majoritairement arrivé à croire que le massacre de masse est la seule solution à sa portée ?

L’horreur est à sens unique. L’empathie aussi. Eux et nous. Toi qui remets en question notre seule échappatoire, tu ne peux plus être parmi nous. Ta citoyenneté et même ta judéité sont remises en question. Quelques années auparavant, quand je revenais, épuisé, passer quelques heures de mes permissions à ses côtés, j’étais aussi Israélien qu’elle aux yeux de tous. À cause de l’arme que je portais ? Des grades à mon bras et de mes décorations de combattant ? Pourtant, je questionnais déjà la place de l’armée et le tournant de la société. Maintenant que j’ai rendu mon arme, quitté le pays, rangé mon uniforme au placard et demandé une exemption de réserve, je ne suis plus considéré comme un égal. Si même quelqu’un comme moi est passé dans le camp opposé, quel dialogue est-il possible ? Si Israël décide d’entrer dans ce récit binaire, de solution unique, de bien et de mal, au nom de la lutte contre l’antisémitisme, quelle place reste-t-il aux Juifs qui ne s’y retrouvent pas ? Doit-on laisser le pays créé pour être notre patrie de refuge foncer vers l’inhumanité, dans un grand suicide collectif, en nous exposant aux haines que ses actions engendrent jusqu’à nous atteindre en diaspora ?

C’est l’évolution de la société israélienne qui m’a fait quitter le pays. Les extrémistes ont toujours été là. Ils ont colonisé la Cisjordanie silencieusement, pendant que le reste de la société s’y opposait mollement et fermait les yeux sur les violences et les humiliations quotidiennes infligées aux Palestiniens. Dans les dernières années, l’opinion publique affectée par la propagande sécuritaire s’est doucement alignée sur l’extrême. Les voix des suprémacistes se sont débridées, connaissant de moins en moins d’opposition. Quand j’allume la télévision européenne, j’ai un dérangeant sentiment de déjà-vu. Je n’ai pas l’impression de retrouver le pays que j’avais quitté. Qui est responsable du score historique de l’extrême droite aux européennes ? Que pouvons-nous faire qu’Israël n’a pas su mettre en place ?

Yossi Yaacovi

11 juin 2024


Un ancien soldat israélien raconte (épisode 2)

Un ex-soldat israélien d’origine française nous propose une série de témoignages critiques depuis l’intérieur de la société israélienne. Une prise de conscience qui l’a poussé à quitter l’armée et Israël.

Tombée sur la tête

« Pourquoi tu allumes une cigarette, tu sais bien que c’est interdit ! »

Je range ma cigarette dans son paquet, sans répondre, légèrement agacé par son fort accent américain. Je regarde autour de moi, assis sur un bloc de pierre, et apprécie les 13 minutes restantes de notre quart d’heure de pause, avant de reprendre la ronde. Le calme de la nuit noire est par moment interrompu par des tirs de chars de la base avoisinante. Je vois mon frère d’armes piquer du nez. S’endormir pendant une garde, c’est pour sûr interdit. J’allume ma cigarette, et continue à scruter les alentours, doublement aux aguets. Je finis ma cigarette ; mon camarade dort profondément. Notre quart d’heure de pause est passé. J’allume une deuxième cigarette. Du coin de l’œil, je le vois doucement basculer sur le côté. Sa centaine de kilos, son arme, son casque et le reste de son équipement s’écrasent au sol dans un bruit sourd. Je me lève rapidement, pour venir l’aider à se relever, en retenant un fou rire que je sens monter. À ma grande surprise , la chute ne l’a pas réveillé. Il dormait trop profondément. Je me demande quoi faire, pendant 30 longues secondes. Il finit par se réveiller, sans comprendre ce qu’il faisait au sol, et d’où venait sa douleur à la tête. Son casque a absorbé le choc, mais il prend tout de même un moment avant de reprendre ses esprits. Je l’aide à se relever, vérifie si tout va bien, avant de lui demander si je peux arrêter de retenir mon fou rire. Il accepte mollement. Je ris un peu, tout seul. Il n’a pas l’air amusé. Nous nous levons et reprenons notre ronde.

C’était à ***. Mes souvenirs de ce lieu s’entremêlent avec les images d’assaillants des brigades Al-Qassam dans les mêmes endroits que j’ai gardés, quelques années plus tard, de jeunes soldats morts à leurs pieds. Avant le 7 octobre, cette base était déjà associée à un mélange complexe de sentiments. Nous finissions nos classes, après 4 mois intenses sous le joug de nos officiers, pendant lesquels toutes nos libertés fondamentales nous avaient été retirées, allant jusqu’à chronométrer le temps autorisé aux toilettes, et à nous réveiller toutes les nuits pour nous faire ramper dans la boue et nous empêcher d’apprécier une nuit complète dans des draps propres. Nous allions entamer notre entraînement spécifique, de nouveau quatre mois d’intense formation, à l’issue de cette période à la frontière de Gaza. Notre équipe était seule, presque indépendante. Nous cuisinions nous-mêmes nos repas, et apparement mieux que les équipes alentour puisque tous les officiers de notre bataillon s’étaient vite retrouvés à notre table. Nous échangions des moments conviviaux, presque amicaux, avec ceux que nous devions appeler « Sergent », ou « Lieutenant » quelques semaines auparavant. J’ai de nombreux souvenirs de sincères fous rires, de courses dans les champs magnifiques qui entourent la base et le Kibboutz que nous gardions.

Mais je me souviens surtout du profond malaise, que je ressentais déjà au tout début de mon service, à participer à cette mise en cage de deux millions d’individus, pour une grande partie nés et élevés sous le blocus. Je me souviens du sentiment de dégoût que je ressentais à chaque tir d’obus que j’entendais si près, sachant ce que l’imprécision d’un tir de tank implique dans une zone si dense. Et je me souviens surtout des discussions avec mes camarades. La plupart n’avaient jamais vraiment réfléchi au fait qu’outre quelques combattants du Hamas, des millions de personnes étaient contraintes de vivre dans une prison à ciel ouvert. Et que notre présence dans cette base était une participation active à la perpétuation de cette situation. J’avais été particulièrement marqué par leur réaction. Hormis quelques fanatiques religieux, ou convaincus d’extrêmes droites qui assumaient des discours suprémacistes mêlés d’un messianisme douteux, la plupart étaient capables d’empathie quand ils étaient confrontés à cette vérité. Ils paraissaient surtout déstabilisés. Comme si j’étais la première personne à les mettre face à cette réalité, à côte de laquelle ils ont grandi.

Je me souviens d’avoir été marqué, la première année où j’ai vécu à Jérusalem, par le fait qu’aucun Israélien que je rencontrais ne parlait arabe, hormis une phrase apprise à l’armée. Pourtant tous les Palestiniens que je connaissais parlaient un bon hébreu. Si une partie de la population est élevée dans une active déshumanisation des Palestiniens, la grande majorité se contente de les invisibiliser totalement. On se rappelle leur existence quand un bus explose, un soldat est poignardé, ou des missiles sont interceptés par le dôme de fer. Les seuls Palestiniens qu’ils sont amenés à voir veulent les tuer, ce sont donc tous des terroristes. Quand « de nulle part », des combattants viennent massacrer des centaines de jeunes venus « célébrer la paix », leur existence dérange un peu trop. Mais personne ne voit le cynisme de venir fêter la paix à quelques centaines de mètres de cette frontière. Je pense réellement qu’ils sont assez conditionnés, depuis leur enfance, pour ne pas le voir.

J’ai l’impression que la société entière est tombée sur la tête au lendemain du 7 octobre. Et si un niveau inouï de fatigue morale vient encore retarder leur retour à la réalité, j’imagine que personne n’aura à se réjouir de l’ampleur de la chute.

Yossi Yaacovi 26 août 2024

(Lire l’épisode 1)

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