Bien conscient que cette newsletter a trait aux lettres sous toutes ses formes, je profite de cette parenthèse estivale pour faire une (légère) exception. Et parler de sport à l’occasion de l’immense séance d’hypnose que constituent ces Jeux olympiques. À mesure que j’ai regardé comme la majorité d’entre nous des disciplines dont je ne me préoccupe absolument pas le reste du temps, j’ai découvert en bon Olympix – ce lointain descendant des Footix de 1998 – un certain nombre de sports qui ont réveillé en moi le Philippe Muray de bas étage voire le Léon Bloy des bacs à sable.
Loin de pouvoir comme ce dernier « inventer des catachrèses qui empalent, des métonymies qui grillent les pieds, des synecdoques qui arrachent les ongles, des ironies qui déchirent les sinuosités du râble, des litotes qui écorchent vif, des périphrases qui émasculent et des hyperboles de plomb fondu », il ne m’en est pas moins venu une mauvaise réflexion. Face aux adultes pédalant comme des forcenés sur des vélos d’enfants − le bicross −, aux araignées humaines s’adonnant à l’escalade, au kayak cross, ce dérivé de « Rollerball » en eau vive, j’ai eu à chaque fois l’impression d’assister à la naissance d’un produit dérivé de sport, c’est-à-dire une excroissance d’une discipline ancienne reconfigurée pour que le public dans le stade ou devant son écran hurle plus fort qu’à l’accoutumée.
En un mot, un ersatz, un dérivatif épileptique, un objet marketé en plastique, impression déjà vécue ces derniers temps avec l’émergence du padel qui est au tennis ce que le sapin désodorisant des automobiles est à l’Amazonie. Où est le problème ? me rétorquera-t-on. Mais le temps, le temps, vous répondrait notre vieil ami Marcel Proust. Le temps, cette composante essentielle de la mystique sportive (à cet égard on peut toujours relire Serge Daney) n’est plus perdu ni gagné, il a purement et simplement disparu ! Peut-on lire un seul de ses effets sur les athlètes pendant ces compétitions, peut-on lire une seule émotion sur leur visage, un signe d’effort, un air de concentration peut-être, de joie, ne serait-ce que la manifestation d’une quelconque intériorité ? Peut-on même réfléchir à ce qui se déroule sous nos yeux ?
Non, on consomme, on avale, on binge des sports indéchiffrables, contrefaçons de pratiques autrement complexes, des sports sans visages qui pourraient être pratiqués par des machines. Ainsi, une médaille d’or d’escalade sportive a été remportée au cours d’une « ascension » ayant duré… 6,06 secondes… Assez loin donc de l’ascèse des grimpeurs prônée chez James Salter. Qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit là d’un article rédigé par un rat de bibliothèque aigri, cet été, le rongeur à lunettes a pratiqué la marche, le kayak, le tennis de table et le porter de sacs de voyage. Autant de petits efforts permettant justement d’apprécier les grands, enfin du moins lorsqu’ils ne sont pas formatés pour les regards et les cerveaux atrophiés de ceux que le père Léon Bloy appelait dans sa correspondance les « insectes captifs ».
Arnaud Sagnard
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