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vendredi 2 août 2024

L'actualité littéraire hebdo avec BIBLIOBS - Vendredi 2 août 2024

 



BibliObs

Vendredi 2 août 2024

Les romans d’amour ont-ils pris un gros coup de vieux avec la vague féministe Metoo ?

Cette question, en plein va-et-vient des vacances d’été, est brûlante.

Et la réponse facile : oui, énorme.

Entre misogynie, emprise et acharnement morbide sur des personnages féminins, il y a le choix. « Les Hauts de Hurlevent » ? Rien à voir avec la passion, une relation d’emprise abominable. « Les Liaisons dangereuses » ? La marquise de Merteuil, pas plus méchante que le Vicomte, finit avec la petite vérole et toute l’opprobre sociale sur elle. « Eugène Onéguine » ? » Joseph, le personnage de Pouchkine est un dandy qui se laisse prendre par une femme pour s’en déprendre l’instant d’après. Son énergie est dépensée à la sauvegarde de son inconsistance. Mais arrêtons-nous un instant sur « Belle du Seigneur ».

Il y a encore quelques jours, je pensais que celui-ci ne s’en sortait pas si mal.

Il y a bien sûr, dans ce livre, les longues diatribes de Solal sur la manière de séduire les femmes. Cette tendance stupide qu’elles ont de vouloir être prise par des grands animaux de la jungle (je paraphrase). Chez un homme, elles aiment la force, la puissance, le dédain, la cruauté, etc. Voici disons de la misogynie ordinaire.

Il y a aussi le personnage d’Ariane, une femme plus intelligente que son mari et que ses beaux-parents, mais qui reste simplette, obsédée par son apparence, et jamais capable de comprendre ce qui lui arrive. Lorsqu’ils sont isolés dans un hôtel pour l’éternité, Ariane cherche à voir du monde, mais elle ne comprend pas qu’elle s’ennuie et que « les vitamines du social » leur manquent, cette pauvrette…

Passons aussi sur l’affreuse belle-mère alors que le beau-père est un chou. L’image des femmes n’est pas délicieuse, mais ce n’est pas grave, me disais-je en refermant le livre.

Une semaine plus tard, je suis tombée sur la grande interview d’Albert Cohen publiée dans « L’Obs », en 1979. L’interview est titrée « Les femmes m’ont sauvé. Elles ont été mes amies, mes guides », et pourtant, on trouve à l’intérieur un ramassis de propos détestables.

C’est à peine croyable.

C’est en lisant cet entretien que nous avons compris qu’Ariane n’avait pas été conçue comme un personnage féminin bêta (dans la même veine qu’Emma Bovary). Inspirée par Diane, un amour réel, Albert Cohen pense au contraire que cette femme est ce qui se fait de mieux dans la gent féminine. Mais elle n’est pas hypocrite, lui demande la journaliste ?

« Hypocrite ? Non, jamais. Elle était noble, ma bien-aimée. Quand je parle de Diane, je l’aime encore. J’ai sa photographie dans ma chambre et je la regarde tous les jours. C’est mon Ariane, celle que j’ai le plus aimée. »

Comment s’est terminée votre liaison avec Diane ? l’interroge alors la journaliste.

« Cela a duré trois ans et puis j’ai rencontré Yvonne, une juive, qui était moins belle mais qui était si aimante… Pendant un certain temps, j’ai vu les deux : Yvonne à qui je dictais Solal, et Diane qui était la beauté, l’invention, le génie féminin. Et puis, un soir, Diane est venue chez moi. Dès qu’elle a frappé, je l’ai reconnue et j’ai dit à Yvonne de s’enfermer à clef dans la cuisine. Diane est entrée habillée en or. Elle venait de danser et la première chose qu’elle m’ait dite : “Le maharadjah de Kapurtala me demande ma main. Veux-tu encore de moi ?” Je lui ai répondu non. Elle s’est alors écriée : “Elle est là !”, et elle est allée ouvrir toutes les portes. Devant celle de la cuisine : “Madame, ouvrez, je voudrais vous parler. Amicalement.” Et puis : “Lâche, lâche, vous avez peur !”, et elle est tombée par terre, elle a gémi, et ses jambes étaient si belles…

Après, c’était fini. J’avais trop de respect, trop de reconnaissance pour Yvonne. Il y avait moins de ces grandiosités, mais c’était plus solide. Elle tapait pour moi jusqu’à deux heures du matin puis elle rentrait chez elle à l’autre bout de la ville, à bicyclette. Quand elle est morte, peu de temps après, je me suis fait une piqûre de morphine tous les soirs après mon travail pendant des mois. C’est cet amour simple, honnête, vrai, que j’ai retrouvé avec Bella, dans lequel la sensualité joue un rôle, bien sûr, mais pas la folie. Diane… Elle en a fait des histoires ! Enfin, elles ont donné un livre qui restera après moi. »

Peut-on avoir une vision des femmes plus immature, grotesque et pourrie ? (Pardon, mais quel cuistre). Dans cet entretien, il faut aussi subir ce qu’il pense des femmes écrivains.

« Je n’ai jamais lu un roman de génie écrit par une femme. Qui pouvez-vous me citer comme grand talent ? Colette ? Ce n’est pas grand-chose… Et à part elle ? […] Les femmes ont la grâce, elles peuvent écrire gracieusement, mais soulever un monde comme “Belle du Seigneur” ? Je ne crois pas. Ah, peut-être ces trois Anglaises que je n’ai jamais lues, vous savez, les trois sœurs… Des gens que j’estime beaucoup m’ont dit que c’était extraordinaire, alors je les crois… »

Vous pouvez relire cette interview ici. Il y parle aussi de son rapport au judaïsme et c’est plus intéressant. Et pour la plage, on vous conseille un classique qui a bien vieilli : « L’Ecume des jours ».

Nolwenn Le Blevennec

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