Combien la France compte-t-elle de grands ports ?
On les appelle GPM, les grands ports maritimes. Ils sont gérés par l'État. Il y en a sept en France, le plus le plus important est le port de Marseille. Le suivant est le port du Havre, puis le port de Dunkerque, le port de Nantes, Rouen, et ensuite La Rochelle et Bordeaux. Le port de Marseille réalise environ 72-75 millions de tonnes par an. Le port du Havre doit être autour de 60-65. Le port de Dunkerque est autour de 47-48, le port de Nantes autour de 30, le port de Rouen autour de 22-25. Il y a un décrochage qui se fait. Le port de La Rochelle, c’est moins de 10 millions de tonnes et le port de Bordeaux autour de 7.
Comparativement aux autres grands ports européens, qu'en est-il ?
Si vous cumulez, au-delà de ces grands ports maritimes français que je viens de citer, vous en avez une foultitude qui sont des ports gérés par les Régions. On peut citer le port de Sète, le port de Rouen, le port de Brest… Il y en a beaucoup. Et si vous faites la somme des trafics de tous les ports français, vous n'arrivez pas au trafic, par exemple, d’un seul port belge qui est le port d'Anvers. Il y a une situation d'alerte majeure à soulever en France : notre situation portuaire induit un déficit de notre balance commerciale avec le Benelux, l'Allemagne, ça aujourd’hui on peut considérer que le plus grand port d'importation pour la France, c'est le port d'Anvers. C'est un port étranger, ce qui est tout de même très grave, alors que la France possède trois façades maritimes exceptionnelles et qu'elle a investi des milliards et des milliards d'euros pour moderniser ses ports depuis des années.
Quelles sont les causes du déclin des ports français ? À Marseille, par exemple, on entend beaucoup dire que c'est la faute des dockers CGT. Est-ce uniquement la faute de ce syndicat ?
Oui, on entend que c’est la CGT qui est la cause du déclin des ports ou de la très grande contre-performance des ports français. Dans mon livre, je tiens à modérer cette accusation pour pointer un autre phénomène, celui de cette caste qui s'est approprié les ports. Je parle de la caste des Ponts, de la caste du corps des Ponts, un des cinq grands corps d'État, que j'appelle « le Corps » dans le livre. Ce fonctionnement n'est pas propre au corps des Ponts, il est caractéristique des grands corps d'État français qui se sont accaparé tous les grands postes de responsabilité dans la haute administration. Ils se sont installés dans tous les rouages importants, ils se sont réparti les secteurs, ce qui fait que tous les secteurs aujourd'hui en France sont pilotés par un des cinq grands corps. L'analyse que je fais dans mon livre est la suivante : la CGT fonctionne de façon très corporatiste, c'est un fait, on ne peut pas le nier, et elle a un très grand pouvoir de blocage des ports. Mais son pendant, la caste du corps des Ponts, s’est approprié la gestion des ports. Ces personnes sont nommées à la tête des sept grands ports maritimes et elles occupent toutes les places de la hiérarchie dans le ministère des Transports et dans le cabinet du ministre.
Cette caste est un groupe fermé qui dispose de privilèges exceptionnels. Ses membres sont tellement jaloux de leurs privilèges, de leur statut et de leur supériorité. Ils sont convaincus de leur très grande supériorité intellectuelle et ils sont tellement jaloux de leurs avantages qu'ils vont fermer la porte à toute autre personne qui ne serait pas membre du corps des Ponts. Par leur position de pouvoir (puisqu'ils ont atteint des postes très importants dans la République), ils peuvent régner en maître sur des pans entiers de l’économie et s'auto-nommer dans ces différents postes et garder la maîtrise des secteurs économiques. Cette caste a institué en son sein une grande complaisance entre ses différents membres, a institué une auto-amnistie et en définitive l’impunité. Cette caste fermée a créé une sorte de complicité avec le corporatisme cégétiste. Et tous les deux s'arrangent pour tenir la situation comme elle est aujourd'hui dans une co-administration.
Quels sont les privilèges des membres de la caste ?
Je vais en citer quelques-uns qui vont paraître délirants pour le citoyen lambda et révoltants. Tout un chacun rend des comptes dans sa vie professionnelle. Tout un chacun est responsable de ses actions et s'il commet une faute professionnelle ou des erreurs graves, il encourt le licenciement ou il encourt des sanctions. Le haut fonctionnaire d'un grand corps ne risque rien, absolument rien. Pourquoi ? Parce qu'il y a cette complaisance interne et jamais il ne faut afficher à l'extérieur la faute d'un des membres parce que cela affecterait la qualité du corps entier. Il faut que le corps reste prestigieux. Tous les membres du corps sont considérés comme supérieurs, extrêmement intelligents, extrêmement compétents. Ils n’encourent aucun risque, ils ont la carrière garantie, le salaire progressif garanti et les honneurs à la fin de la carrière. C'est un premier type de privilèges alors que le citoyen lambda, lui, est soumis à une précarité qui est de plus en plus grandissante.
Autre privilège, ils ne rendent pas de comptes. C'est un petit peu faux parce qu'ils vont rendre des comptes, mais de façon très subtile, car ceux à qui ils rendent compte, les contrôleurs, ceux qui viennent les contrôler, appartiennent au même corps qu’eux le plus souvent. Le contrôleur contrôle quelqu'un qui est son confrère et le contrôleur peut, demain, devenir le contrôleur du contrôleur, ce qui fait qu'il y a une complaisance entre eux. Il y a une entente, une connivence qui fait que les erreurs ne sont pas remontées ou ne sont que très peu mentionnées. Autre privilège exorbitant : normalement, la Cour des comptes est une institution qui a pour rôle de contrôler de façon tout à fait indépendante le fonctionnement de la haute administration et de l'administration en général. Mais la Cour des comptes émet des avis, des recommandations, elle n'émet pas d’injonctions. C'est un privilège énorme de pouvoir se dire dans sa vie professionnelle : « Je ne rends compte quasiment à personne et si je fais quelque chose de mal, même si on me dit que ce que j’ai fait n'est pas bon, je n'encours rien. » Et donc le plus grand des privilèges est cette impunité. J'ai en été témoin, personnellement : même sur des sujets qui impliquent leur responsabilité pénale, le Corps les protège et va masquer ce qu'ils ont fait. C'est quand même un endroit de la République qui est tout à fait à part. On s'imagine que la haute administration est particulièrement vertueuse car elle doit montrer à l'ensemble des citoyens comment se comporter dans la vie de la Cité. Mais ce que j'ai vu, c'est justement l’inexemplarité. Je ne dis pas que les hauts fonctionnaires sont à 100 % comme cela. J'ai rencontré des ingénieurs du corps des Ponts remarquables. Mais ceux-là sortent de la haute fonction publique, ils partent dans le privé où ils peuvent s'exprimer.
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