Pourquoi oublie-t-on (sciemment) d’écrire à ses vieux amis ? Malgré mon patronyme, je ne pêche pas et je n’ai pas non plus le pied marin. Ce qui ne m’empêche pas de fréquenter régulièrement les côtes en compagnie de mes deux enfants. Lors des dernières vacances, à la demande du plus petit, j’ai fait ainsi l’acquisition d’une canne et m’en suis trouvé fort démuni. Cette (més) aventure m’a rappelé que ma dernière et unique session de pêche – au red snapper, une prise de choix, et au barracuda – datait de l’été 1993 et que je la devais à Andrew McLeod.
Andrew McLeod était le père de ma correspondante néo-zélandaise, Megan. Il fut donc mon père putatif pendant deux mois. Comme des générations de « dads » de la petite ville de Thames, qui depuis 1988 envoient leurs enfants au creux de l’hiver dans la préfecture du Val-de-Loire où j’ai grandi et reçoivent « en échange » un-e jeune Français-e dans leur foyer six mois plus tard.
A y repenser aujourd’hui, Andrew fut un second père parfait. Prof de physique, il m’accompagnait avec bienveillance dans le perfectionnement de mon anglais balbutiant. Et me déconseillait avec la même bienveillance – lucide ! – de rejoindre l’équipe de rugby locale. Mais il y avait plus : Andrew était féministe, du moins dans l’acception de la France de l’époque. Expert en cuisine asiatique, repasseur émérite, théoricien précoce du droit à l’égal épanouissement dans les couples, il avait éduqué, aux côtés de Jenny, trois filles au caractère affirmé. Et participa, avec son grand rire et sa causticité, à bousculer quelques-unes de mes certitudes d’adolescent.
J’ai écrit des lettres aux McLeod dans les années qui suivirent mon séjour. Elles avaient la charge affective et laborieuse des missives d’antan, aussi longues à rédiger, équipé d’un dictionnaire, qu’à faire parvenir. Puis vint l’ère d’internet. Andrew réussit à me retrouver en écrivant au site de mon premier employeur. Nous nous sommes donné des nouvelles. Chaleureusement, mais sans suites.
Les réseaux sociaux auraient dû me permettre d’établir des ponts plus fluides avec mon « dad » des antipodes, mais l’adolescent un peu crispé que j’étais n’a pas complètement muté. J’ai notamment fait vœu de chasteté numérique et ne raconte ma vie nulle part ailleurs qu’ici. Paradoxalement, alors que ma relation méfiante aux réseaux s’étend dans la société, je mesure l’âge aidant combien un site Facebook actif me permettrait de garder un lien, peut-être ténu et néanmoins vivant, avec la famille et les amis que la vie éloigne.
En 1993, Andrew avait exactement mon âge. En le googlant récemment, j’ai découvert qu’il était mort le 2 juin 2018, « après une longue maladie, entouré des siens ». Je profite donc de cette chronique pour transmettre toute mon affection à Jenny, Megan, Fiona, et Sarah. Je ne sais plus monter une ligne de pêche mais bien d’autres choses ont été transmises cet été-là. Merci.
Gurvan Le Guellec
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