À 89 ans, c'est un luxe d'être encore désirée par les media, quand tant de gens meurent avant cet âge dans le silence de la solitude, à l'hospice ou ailleurs, parce que leur parole ne compte pas et qu'ils ne comptent plus pour personne, y compris aux yeux de leurs proches.
C'est le privilège des étoiles de ne jamais pâlir, bien que Brigitte Bardot dise « ne jamais s'être considérée comme une star ». Depuis Et Dieu créa… la femme – il y a 68 ans ! – l'actrice sait que son image ne mourra point, que sa féminité sauvage incarne encore l'insouciance et la liberté d'une époque où la jeunesse devenait une catégorie sociale et un idéal à conserver toute sa vie. Bardot reste associée à ce court et grand moment du cinéma – qui l'a placée sur l'olympe éternel. Comme Louis de Funès, elle représente l'éclat des Trente Glorieuses. Depuis lors, « doucement » mais sûrement, la France s'oublie.
Si tel n'était pas le cas, l'égérie n'aurait rien à dire à Valeurs actuelles, l'hebdomadaire du « c'était mieux avant ». Dans une interview donnée à VA pour Noël, Bardot confesse « être parfois nostalgique » mais « ne jamais [regarder] derrière [elle] ». Son interrogation est toujours celle du moment : « Je déplore que l'on recule à ce point dans la façon de faire vivre un pays. »
Comme feu Patrick Buisson, mort le 26 décembre, sa flamme patriotique brûle les mauvaises graisses de la décadence, d'un quotidien « minable, médiocre ». Elle le fait par sa sensibilité, lui y parvenait par son intellect. Non pas qu'elle soit sotte. L'actrice est dotée d'un sens de la formule et de la repartie très efficace, comme avait pu en témoigner l'émission que lui avait consacrée en 2003 Marc-Olivier Fogiel, avec Alain Delon en plateau. Bardot avait dominé les mises en scène de ce grand moment de télévision, y compris la séquence qui avait viré au tribunal contre ses positions politiques.
Vingt ans plus tard, la femme cherche encore à électriser ceux qui désespèrent, même si les oracles de la Pythie provençale sont connus depuis longtemps : « Notre si beau pays part en c... par le manque de c... de ceux qui ont le pouvoir », s'écrie-t-elle. Quitte à passer pour une allumée ronchonne, l'ex-allumeuse allume tout le monde : Macron, bien sûr, « nul dans tout ce qui concerne la France, son peuple et ses animaux ». Il est « pire que le pape ! » en raison des « avantages effrayants » accordés aux chasseurs. « Ce qu'a fait Macron pour la cause animale, c'est rien du tout (...). Rien sur la corrida, rien sur la chasse à courre, rien sur rien. » Le troupeau droitard sera-t-il sensible à cette pique ? Pas sûr quand, par principe, on érige toute tradition au rang de patrimoine à défendre.
Le reste de ces réponses colle avec une opinion à cran, notamment sur l'immigration : « Avant, j'aurais dit que je ne voulais pas vivre dans une France islamisée. Aujourd'hui, je dis que je ne veux pas mourir dans une France islamisée ! » Sur ce terrain, Bardot ne fait pas dans le détail, confondant « l'islam en général, l'invasion islamiste », vus tous deux comme « épouvantablement dangereux pour la culture et l'identité françaises ». À ses yeux, « on devrait faire subir un examen psychiatrique à tous les migrants qui rentrent avant de leur donner le droit d'asile ». Bigre. Qu'en pense Gérald Darmanin ?
Comme Michel Sardou, Bardot vomit sur l'époque qu'elle ne comprend plus : les écologistes ? « Je ne peux pas les voir ! » Les féministes ? « Leur combat est ridicule. » Mais ces militances font évoluer les mœurs à la vitesse du TGV,. Comme le montre l'affaire Depardieu, on s'insurge de ce qui ne choquait pas il y a dix ans. Bardot se dit « masculiniste » et fustige l'inversion : « Maintenant les bonnes femmes conduisent des poids lourds et les mecs boivent du thé en levant le petit doigt », résume-t-elle, lapidaire. La culture n'est pas en reste – qui « est malade du wokisme comme l'agriculture du glyphosate », tacle-t-elle. Seul Jean Dujardin pour The Artist (2011) trouve grâce à ses yeux toujours fardés.
Et la France alors, foutue ou pas ? Sa réponse est curieuse : « Oui la France est foutue pour le moment. » L'incohérence de ce double langage n'interdit pas l'espoir : « Avec un gouvernement autoritaire (…), elle peut renaître de ses cendres », ajoute-t-elle sans désigner quelle solution lui irait. Car, et c'est là que ça se complique, « il faut trouver LA personne compétente ».
Cette quête de l'homme providentiel contredit le vœu qu'elle exprime plus haut de voir advenir l'union des droites, laquelle suppose que « certains soient un peu moins chefs que chef » car « séparément, ils n'arriveront à rien ». Et Bardot de déplorer l' « orgueil mal placé [des politiques] – qui « est dangereux pour la France ».
Louis Daufresne
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