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Le faux duel Ruffin-Mélenchon ou la nouvelle fake news du parti médiatique
Antoine Léaument
le 29.05.2020
Peut-être avez-vous vu passer quelques titres de presse dans le style de celui de La Dépêche du midi : « Présidentielle 2022 : François Ruffin candidat à la place de Jean-Luc Mélenchon pour La France insoumise ? ». Ou comme celui de Ouest France :« Présidentielle. François Ruffin n’exclut pas d’être candidat à la place de Mélenchon en 2022 », avec ce sous-titre aguicheur : « Jean-Luc Mélenchon a un nouveau concurrent pour prendre la tête de la gauche radicale en 2022. Dans une interview mardi, le député de la Somme n’exclut pas d’être candidat à la présidentielle ». Une fake news pure et simple. Explications.
Ce qu’a vraiment dit François Ruffin
Tout part d’une interview de François Ruffin chez Jean-Jacques Bourdin le 26 mai 2020. Bourdin demande au député insoumis : « Est-ce que vous pouvez affirmer ce matin que vous ne serez pas candidat à la présidentielle de 2022 ? ». Réponse de Ruffin : « Non. Non. Je laisse la porte ouverte. Je laisse la porte ouverte à ce qui peut se passer dans le pays. Et si jamais – je l’ai déjà dit mais – si jamais c’est moi qui doit ramasser le drapeau, j’irai ramasser le drapeau. Ça ne veut pas dire que je me lève tous les matins en me rasant – mal parce que je me suis égratigné en plus. Donc voilà, c’est pas ça du tout. Je ne suis pas du tout… Avec inquiétude, je me dis parfois que… (Bourdin le coupe) » (voir à partir de 14:18).
On est loin de l’angle choisi par Ouest France (et d’autres). « Un nouveau concurrent » pour Mélenchon ? On voit bien que ce n’est pas ce dont il s’agit dans la déclaration de Ruffin. Au contraire ! Ce qu’il dit, c’est qu’il sait que le « drapeau » peut tomber. Et que pour que la lutte que les insoumis incarnent dans l’Histoire continue, il faut des gens – des individus – qui soient prêts à le ramasser. On voit aussi dans ses propos que Ruffin a bien compris que le « drapeau » est surtout un fardeau qu’il faut porter sur ses épaules. C’est ce que je comprends de la phrase qu’il ne peut terminer : « Avec inquiétude, je me dis parfois que… ». Car il sait que candidat à la présidentielle, comme porte-drapeau dans les batailles de la Révolution française, c’est être la cible privilégiée des balles des adversaires. Il n’y a qu’à voir le bashing permanent que subit Mélenchon pour s’en convaincre.
Car les commentateurs politiques l’oublient lorsqu’ils s’adonnent à leur jeu favori consistant à spéculer sur qui sera candidat à l’élection présidentielle, mais ce rôle est un fardeau. Un poids immense. Celui qui est candidat et aspire à gagner – c’est le cas des insoumis – doit être prêt à gouverner un pays de 67 millions d’habitants, une puissance nucléaire, la 2e économie de l’Union européenne et la 6e puissance mondiale. Et avant cela, il faut être prêt à essuyer le tir nourri des adversaires et, dans notre cas, de l’oligarchie coalisée et de son principal outil d’attaque : le parti médiatique. Sans parler de l’emprunt à réaliser sur son nom propre. Candidat à la présidentielle n’est pas une sinécure : c’est un sacerdoce. Et Ruffin a la sagesse de savoir que ce rôle peut lui incomber sans qu’il l’ait désiré et sans qu’il le désire davantage. Voici ce que je comprends de ses mots.
Les exacts mêmes mots en 2019
Mais il y a autre chose de plus intéressant. Plus intéressant car cela révèle bien l’un des travers du monde médiatique qui veut aller toujours plus vite : l’amnésie. Personne n’a relevé ces mots de Ruffin : « je l’ai déjà dit ». Et pourtant, ils sont importants. Car de fait, il l’a déjà dit. Et avec ces mots exacts. La porte ouverte, le drapeau à ramasser : tout y est. C’était en 2019 dans une interview au Figaro. Voici ce qu’il déclarait : « Ce qui s’écrit sur nous [Mélenchon et moi] est souvent faux. (…) Vous voulez que je vous dise ? L’un de ceux qui m’encouragent à ne pas fermer la porte de la présidentielle, c’est justement Jean-Luc Mélenchon. Il me dit: “Si un jour le drapeau est à terre et que c’est toi qui dois le relever, tu le feras et tu le porteras, et puis c’est tout”. Ça a l’air de tomber dessus comme la foudre. »
Tout y est. Les mêmes mots. La même analyse. Jusqu’à la « foudre », le fardeau qui tombe sur les épaules. Voilà qui fait de la déclaration plus récente de Ruffin un non-évènement. Et surtout, surtout, rien qui ne puisse apparaître comme une quelconque « concurrence » entre les deux hommes. Au contraire. L’un sait que l’autre a le fardeau sur les épaules et ne semble pas lui envier le rôle ; l’autre sait qu’il faut des gens prêts à « ramasser le drapeau » et encourage ceux qui doutent à s’en sentir capable. J’y vois le comportement de deux responsables politiques intelligents, conscients, qui veulent faire gagner non pas un individu mais un programme, une idée, un fil dans l’Histoire : la République sociale. C’est aussi le sens de ce qu’a dit Mélenchon, interrogé sur le sujet le lendemain sur France 2 (voir à partir de 08:11)
La presse complice de Macron
Au final, non seulement il n’y a pas de confrontation entre Ruffin et Mélenchon, mais il n’y a en plus aucune nouveauté dans le propos. Le titre de Ouest France et de La Dépêche du Midi n’ont pas de sens et pas d’intérêt. S’ils existent, c’est uniquement parce que ces deux journaux veulent vendre du papier avec un titre bien aguicheur. Vous mettez du Ruffin, vous mettez du Mélenchon, vous mettez du clash, et c’est le jackpot pour les clics. L’intérêt économique prime sur l’intérêt informatif – surtout quand il n’y a aucun intérêt informatif.
Mais il y a autre chose. Il y a l’agenda stratégique de Macron lui-même. Et la presse s’en fait servilement le relai. Macron a intérêt à fracturer ses adversaires pour apparaître, en 2022, comme le candidat de l’ordre, qui peut gagner face à tous les autres. Et pour cela, il lui faut diviser le camp des insoumis. Car il sait pertinemment que le danger pour lui vient de ceux qui peuvent le battre au second tour (comme le montraient des sondages Mélenchon/Macron en 2017) et dont les thèses pour le renforcement de l’État face au marché ont été validées par la crise du coronavirus. Et quelle meilleure stratégie pour diviser les insoumis, unis par un programme solide et stable, « L’Avenir en commun », que de tenter d’inventer des désaccords de personnes ?
Macron a donc lancé des noms par l’intermédiaire de ses conseillers (et de la presse). Il serait inquiet d’une candidature de Jean-Marie Bigard, d’Eric Zemmour, de François Ruffin, d’Elise Lucet, de Didier Raoult, de Cyril Hanouna ou de Philippe de Villiers. Il ne faut pas être dupe : Macron essaie de susciter des vocations, sinon il serait inquiet en silence et ne ferait pas fuiter des noms. Et le pressé Jean-Jacques Bourdin, contrôlé à 186km/h et à plus de 100km de son domicile, s’est immédiatement saisi de cela, interrogeant Ruffin en lui disant : « Emmanuel Macron appelle tout le monde : Philippe de Villiers, Eric Zemmour, il rencontre Didier Raoult… donc pas vous, il ne vous a pas… vous êtes une voix un peu discordante, un peu iconoclaste ». Puis vient la question sur 2022.
Voici l’indépendance de la presse : elle agit comme relai de l’agenda stratégique du président de la République pour 2022. D’ailleurs, le lendemain, BFMTV recevait Bigard qui annonçait penser à la présidentielle de 2022. Mais d’ailleurs, qui faisait fuiter les noms auxquels pense Macron ? Le Monde. Le même journal qui parlait du « Grand méchant Mélenchon » en 2013 et faisait un montage photo l’assimilant à Hitler (rien que ça !). La Dépêche du Midi est quant à elle dirigée par un ancien candidat à la primaire socialiste, Jean-Michel Baylet. Zéro indépendance, zéro « objectivité », zéro « neutralité ».
Gare aux pièges du macronisme et du parti médiatique !
Je me permets donc ici, en tant qu’insoumis, de mettre en garde ceux qui partagent avec moi l’objectif de faire appliquer le programme « L’Avenir en commun » mis à jour en 2022 : ne tombez pas dans le piège tendu par Macron et par le parti médiatique qui s’en fait le relai. J’ai expliqué longuement dans un cours pourquoi on peut parler de « parti médiatique » et les effets structurels qui existent. Je n’y reviens pas.
Mais je répète : méfiez-vous et gardez votre sang-froid à chaque étape. Le petit jeu macroniste et médiatique sur ce thème ne fait que commencer. S’y ajoutent les tribunes diverses et variées de ceux qui veulent faire l’union de la gauche mais surtout sans les insoumis. Les pièges, les bâtons dans les roues, les faux-frères, les pierres qu’on nous jette dessus, les menteurs, les opportunistes… tout cela fait partie des obstacles devant nous pour la prise du pouvoir. Et pour y arriver, il faudra avancer unis et conscients. Unis autour de notre programme, conscients que pour gagner il faut un porte-drapeau qui puisse l’emporter et qui soit prêt à gouverner la France.
Nous avons tout ce qu’il nous faut pour gagner et faire la 6e République sociale et écologique que nous appelons de nos voeux. À nous toutes et tous d’être à l’heure et à la hauteur au rendez-vous de l’Histoire.
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