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vendredi 29 mai 2020

HISTOIRE et MÉMOIRE -Prosper et Guy Moquet. Au nom du père, le fils...par Michel Etevent


HISTOIRE et MÉMOIRE



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Michel Etievent
Prosper et Guy Moquet. Au nom du père, le fils...
Il y a l’image du père, forcément. Ses espoirs de bout de table, rue Baron, à Paris, là où il a loué un minuscule appartement dans le quartier populaire des Epinettes. Guy écoute. Et Prosper raconte. Il dit à l’enfant son adolescence volée dans les boues des tranchées de 1914. Parce qu’il est allé à la guerre, le père. Il y a même rapporté cette cicatrice que lui a labourée l’obus du Chemin de Dames. C’était en 1917 quand la pluie du phosphore brûlait les torses des hommes. De ces tranchées, le père a ramené aussi des idées. Ce dégoût de la guerre, de ce capitalisme qui l’enfante comme la nuée, disait Jaurès, porte l’orage.
Viendra l’entrée en syndicalisme un jour de 1919 quand il s’embauche aux rails, gare des Batignolles. Il racontera à Guy, Prosper, ces nuits passées à rouler le tract pour que surgissent les grèves, ces coups reçus au hasard des sorties d’usines de Pantin quand la milice vient au secours des patrons. Il dira aussi son engagement au PCF dès le congrès de Tours, son sentier de militant barrant la route aux convois qui prennent les chemins des guerres coloniales. Forcément, le 34 rue Baron s’emplira de ces espérances chuchotées au fond de la cellule du 17ème que le père anime dans ce quartier où se croisent l’espoir des galochiers de la rue Berzelius ou les cris des chiffonniers de la rue Legendre. C’est un petit peuple des faubourgs que Guy croise tous les jours au retour de sa petite école des Epinettes.
Et ce peuple grogne qu’il faudrait bien changer les choses parce que déjà s’entend la bête immonde. Le père lui, grimpe en responsabilité. En 1927, il est secrétaire de la fédération des cheminots et avec d’autres, part pour ces routes de France où il s’agira de rassembler face au fascisme montant. « Militant ambulant », voilà ce que fut Prosper aux côtés des Ambroise Croizat ou des Marcel Paul qui eux aussi, valises de VO en main, courent les chemins entre geôles de passage et grèves sur le tas.
Vient 1936, le cheminot est élu député du 17ème.. Et le père emmène l’enfant au cœur des usines, là où il faut imposer les conventions collectives que vient d’obtenir le Front Populaire. On fait la fête forcément au 34 de la rue Baron. On parle de pain, de paix, de liberté. On chuchote congés payés, dignité des conditions de travail. Et l’enfant grandit dans ces mots nouveaux qu’il va à son tour décliner. Il apprendra vite, Guy. Dans les Pionniers tout d’abord, au sein de la Jeunesse Communiste ensuite. Son chemin fécondera entre les solidarités tardives qu’il anime dans le quartier, les « Avant-garde » glissés sous les portes.
On le voit partout, Guy. Il a maintenant quitté le sillage de Prosper pour accueillir les réfugiés espagnols sur les quais de gare, pour lever le drapeau des ouvriers de Lavalette à Saint Ouen ou défendre au hasard des cours de récré du lycée Carnot les petits juifs qui courbent sous les insultes des enfants de la plaine Monceau. Parfois, il court au Palais Bourbon écouter le père. Ce père qui, à la tribune, tonne contre ceux qui oublient l’Espagne ou pensent aux revanches sur le bel été de Mai. Parce que l’orage viendra, Guy. L’année 1939 sera sombre. Le père entôlé à la Santé, l’Allemand qui piétine aux frontières, ce cri qui monte : « Plutôt Hitler que le front populaire ! ».
Le père commencera son calvaire, 17 prisons avant le bagne d’Alger. Alors l’enfant prendra le relais de la dignité. « Mon père est embastillé, dira t-il, c’est mon devoir de continuer son chemin ». Cette route passera ces tracts jetés au cœur des cinés, ces mots balancés au fil des marchés de Saint Ouen. En vélo, musette plaquée au ventre et les tracts qui volent : « Pétain ment ! » « Résiste ! » La leçon du père…Un jour, en gare de l’Est, on lui passera les menottes : « Dis-nous qui sont les amis de ton père et tu es libre ! » C’est une voix de milice qui crie. L’enfant répondra : « Les amis de mon père ce sont tous les braves gens qui l’ont élu en 1936 et que vous bafouez ! »
Il sera de nouveau roué, déporté vers Châteaubriant, ce vivier d’otages qu’il suffira de cueillir. C’est là qu’il va mourir. C’est là qu’il va laisser les plus belles lettres au père : « A toi, petit papa, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre le chemin que tu m’as tracé ».
Il y aura l’éblouissement. Les dix balles au cœur. Au feu des maquis, son nom, bientôt sera drapeau.

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