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samedi 2 mai 2020

Confinés, déconfinés, surveillés - le 29.04.2020




Marianne

POLITIQUE

Confinés, déconfinés, surveillés

Natacha Polony

Natacha Polony

Directrice de la rédaction

Publié le 29/04/2020 à 11:25


La défiance envers la science et l'abandon de la rationalité sont profondément mortifères. Ils ouvrent la porte aux sectarismes de tous ordres. Sans doute, pour les enrayer, nous faudra-t-il retrouver la juste mesure : sortir de l'illusion technologique qui ne croit qu'aux protocoles et aux performances, et développer l’intelligence de chacun.
Ainsi donc, nous allons ressortir. Les voitures rouleront à nouveau, les embouteillages fleuriront dans les grandes villes… Ils ont commencé dans certains endroits pour un motif pour le moins impératif : la réouverture de certains McDonald's, ce qui laisse entrevoir que la vie d'après pourrait fort ressembler au pire de la vie d'avant. Les principaux emplois menacés sont ceux des TPE, du petit commerce, de l'hôtellerie-restauration indépendante ; de quoi doucher l'enthousiasme des gentils utopistes qui nous expliquaient que le coronavirus allait redessiner le monde. Mais pour l'heure, ce que beaucoup ont en tête est plus trivial : allons-nous éviter une nouvelle vague de contamination alors que la doctrine énoncée par les autorités politiques et sanitaires n'a pas fondamentalement changé ?

LES TESTS?

Pour le dire simplement, le discours qui nous est servi par le président, le Premier ministre et les scientifiques autorisés est parfaitement erratique. Premier point, « tester tout le monde n'aurait aucun sens ». Ah bon ? Marianne publiait il y a deux semaines les chiffres de mortalité à l'hôpital par département : les Bouches-du-Rhône ont des résultats quatre à cinq fois inférieurs aux départements les plus touchés. Sauf à imaginer que le protocole du Professeur Raoult serait effectivement efficace, la première explication logique vient du fait que ce département est le seul où la population a été testée massivement, comme cela se fait en Allemagne ou en Corée du Sud, ce qui aurait évité un engorgement.
Second point, on nous a expliqué pendant plusieurs jours qu'il fallait atteindre une supposée « immunité de groupe » pour que cesse la pandémie, ce qui apparaissait à n'importe quel esprit à peu près rationnel comme en contradiction totale avec la stratégie du confinement. D'autant que ce choix de l'immunité de groupe avait été conspué, semble-t-il à raison, quand il avait été celui de Boris Johnson pour la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, les mêmes scientifiques nous apprennent que seul 5,7 % de la population aurait contracté le virus : aucune immunité de groupe à espérer.
Les médecins, épidémiologistes et virologues ont, autant que les politiques ou les « idéologues », une propension à l'affirmation péremptoire, un goût prononcé pour les luttes d'ego et de pouvoir, et une capacité marquée à écarter de leurs réflexions toute idée qui ne vient pas du sérail
Cette crise sanitaire a ceci de profondément déstabilisant qu'en plus de confirmer la perte de crédit des politiques et la sclérose de l'administration elle remet en cause notre confiance en l'expertise technique. Et, par là même, elle nous oblige à nous interroger sur la place et l'usage de la science dans nos sociétés contemporaines. On a entendu au début de la crise ceux qui saluaient l'omniprésence des « sachants » pour dicter la conduite à tenir. Il a fallu un certain temps et quelques polémiques pour que surgisse ce constat : les médecins, épidémiologistes et virologues ont, autant que les politiques ou les « idéologues », une propension à l'affirmation péremptoire, un goût prononcé pour les luttes d'ego et de pouvoir, et une capacité marquée à écarter de leurs réflexions toute idée qui ne vient pas du sérail. Bref, ils sont humains.

LA SCIENCE N'EST PAS SEULE EN JEU

Les progrès extraordinaires de la science (dans lesquels il faut ranger les vaccins, qui ont sauvé des millions de vies, n'en déplaise aux joyeux adeptes de l'irrationnel) nous ont appris à rire des médecins de Molière et de leurs lubies. Nous avons, nous, les études que l'on dit désormais « randomisées ». Comparatives et en double aveugle, donc. Nous avons des protocoles. Des autorisations de mise sur le marché. Et c'est bien là que le bât blesse. La science n'est pas seule en jeu. Elle croise la technologie et le marché.
Rien ne serait pire que de balayer d'un revers de main les apports de médecins généralistes faisant part de leur expérience dans le traitement de leurs malades au motif que seules vaudraient les études de long terme lancées par des chercheurs experts
D'autant que la science n'a pas réponse à tout, face à un virus que nous découvrons. Et se pose alors la question du statut de la médecine, depuis l'Antiquité considérée comme un art bien plus que comme une science. Il semble parfaitement légitime que des règles nous évitent de voir chaque médecin bricoler selon ses croyances. Et les textes qui fleurissent sur la Toile pour signaler tel possible traitement ou soulever tel point aveugle dans le discours officiel des scientifiques nous placent dans une position intenable, nous citoyens, qui n'avons aucun moyen de vérifier telle ou telle hypothèse et n'avons que notre bon sens pour tenter de démêler le vrai du faux.
Mais les nécessaires garde-fous sont contre-productifs quand ils aboutissent à transformer les individus, en l'occurrence les médecins, en simples exécutants, priés de remiser au placard leurs intuitions et leur expérience. Rien ne serait pire que de balayer d'un revers de main les apports de médecins généralistes faisant part de leur expérience dans le traitement de leurs malades au motif que seules vaudraient les études de long terme lancées par des chercheurs experts, chacun dans son domaine, chacun sur son objet de recherche.
La défiance envers la science et l'abandon de la rationalité, que cette crise n'a pas vu naître mais qu'elle amplifie, sont profondément mortifères. Ils ouvrent la porte aux sectarismes de tous ordres. Sans doute, pour les enrayer, nous faudra-t-il retrouver la juste mesure : sortir de l'illusion technologique qui ne croit qu'aux protocoles et aux performances, et développer la rationalité et l'intelligence de chacun.
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