L’abandon des aînés
Cher ami, chère ami,
Le Sars Cov-2 et toute sa famille de coronavirus sont désormais entrés dans nos vies, ainsi que la maladie qu’il provoque, le Covid-19.
Alors que nous apprenons à mieux le connaître. Nous savons aujourd’hui qu’il est :
- dangereux pour les personnes fragiles ;
- désagréable et fatiguant pour les adultes en bonne santé ;
- bénin pour la plupart des enfants et adolescents sauf exceptions.
Nous savons par ailleurs que la mortalité liée à ce virus est limitée lorsque l’épidémie est traitée très tôt et que les mesures de distanciation sociale sont respectées.
C’est l’exemple de Hong Kong, de Taïwan, de la Corée du Sud, de l’Allemagne et de la Grèce.
L’épidémie a néanmoins mis en péril certains systèmes de santé mal organisés ou déjà sous tension comme en France.
Assignation à domicile
Dans ces pays, elle a conduit les autorités à prendre des mesures drastiques de confinement telles que l’on n’en avait jamais vu auparavant.
Les médias nous expliquent que ces mesures auraient permis en France de sauver jusqu’à 60 000 vies. Ce serait le même chiffre au Québec. C’est une affirmation de l’OMS.
Elle est impossible à vérifier. Espérons qu’elle soit vraie.
Car le prix humain à payer pour ce confinement est considérable.
Toutes les catégories et tous les âges de la population en pâtissent :
- Certains jeunes se trouvent déscolarisés, désociabilisés et lobotomisés par les jeux vidéo. Beaucoup de jeunes peinent à trouver du sens à leur vie durant leur confinement. Ce n’est pas une surprise, ils ont encore tout à construire dans leur vie. Ils n’ont traversé aucun des rites de passages vers la vie adulte. Et on les fait attendre dans le désoeuvrement…
- Les parents travaillent et s’exposent aux virus lorsqu’ils sont soignants ou employés des commerces ouverts. Les autres télétravaillent et doivent faire travailler leurs enfants en même temps. Tout le monde prenant tous ses repas à la maison, les tâches ménagères ont augmenté.
- Les grands parents sont isolés. Ils ont peur aussi. Ils craignent le virus et craignent le déconfinement et le retour des petits-enfants.
- Les anciens sont réfugiés dans des EHPAD où ils vivent ou meurent seuls et souvent bien tristes.
Leur situation est particulièrement pénible.
Avez-vous la vidéo de cette dame âgée de 97 ans, qui est passé sur le journal de France 2 ?
Son témoignage est saisissant. Pleurant, elle dit à la caméra :
“Je ne peux même pas aller chez ma voisine. On ne peut même pas discuter. Toute la journée je reste enfermée là-dedans.”
La vidéo est ici.
Elle voyait son mari et ses enfants tous les jours. Désormais, elle ne peut même plus parler à sa voisine. Elle déplore : “Ma voisine, elle n’a pas le virus et moi non plus !”.
Elle ne comprend pas la situation. Elle ne comprend pas qu’à son âge, on la prive des quelques joies dont elle peut encore profiter. Elle se nourrit à peine et ne le fait que parce que ses enfants le lui demandent.
J’ai été bouleversé par son cri de détresse.
Et pourtant, dans son malheur, elle semble avoir de la chance. Le personnel de son EHPAD est particulièrement présent et prévenant. Cela n’est pas le cas partout.
Quelque part dans Paris...
Un autre reportage, cette fois dans une maison de retraite parisienne, montre des personnes âgées à l’abandon [1]. L’une d’entre elle erre dans les couloirs en fauteuil roulant.
Le dialogue entre la soignante et la résidente en fauteuil roulant est terrible :
La soignante : Qu’est-ce que vous faites dans le couloir ?
La résidente : Dans le couloir ?
La soignante : Oui dans le couloir. Vous vous baladez un petit peu ?
La résidente (désemparée) : Chuis perdue !
La soignante (neutre) : Ah vous êtes perdue. D’accord. Il y a personne pour s’occuper de vous à l’étage ?
La journaliste précise que dans cet établissement, il manque 30% du personnel.
La peur du virus ou le virus lui-même, ou la garde d’enfants expliquerait cet absentéisme record.
Les personnels qui restent n’ont pas le temps de prendre soin de tout le monde. Les résidents sont souvent à l’abandon.
Un membre du personnel témoigne
Il explique que la situation est très rude. L’équipe manque de matériel, de temps pour les patients et ne peut même pas enterrer les morts !
Car les pompes funèbres sont débordées. Il n’est pas rare que les personnes décédées restent deux, trois ou quatre jours dans leur chambre. Ils sont dans des housses mais l’odeur traverse les murs…
Depuis le début de la crise sanitaire, un tiers des résidents sont décédés.
Dans toute la France près de 8000 résidents en EHPAD seraient décédés [2].
Cette situation est épouvantable
Pour les anciens eux-mêmes, pour le personnel soignant, pour les familles et pour la société dans son ensemble ce n’est pas acceptable.
Toutes ces personnes âgées ne sont pas décédées du Covid-19. Beaucoup sont mortes de solitude ou se sont laissé mourir.
Cette débâcle n’est pas liée au seul confinement.
Notre manière d’organiser l’accompagnement de la très grande vieillesse est en cause.
Ne serait-il pas judicieux de repenser notre rapport à la mort et à l’âge avancé ?
N’est-il pas préférable de trouver des solutions pour que ces personnes puissent vivre et mourir chez elle ?
Pourrait-t-on envisager que des patients puissent avoir chez eux les thérapeutiques nécessaires pour les accompagner jusqu’au bout sous le contrôle d’un professionnel de santé ?
La mort est-elle devenue si taboue, dans notre société, qu’il nous soit impossible de la préparer ?
Faut-il absolument gagner deux ans de vie dans un état de dépendance poussé ou finir sa vie en étant encore capable de la savourer ?
Ce ne sont pas des questions faciles.
Derrière ces interrogations se trouvent des réalités psychologiques, familiales, éthiques et techniques complexes.
Mais cette crise nous donne l’occasion de réfléchir à la manière dont :
- nous accompagnons nos parents, grands-parents, voire arrière grands-parents ;
- nous serons nous-mêmes accompagnés, le moment venu.
Pour ma part, je préférerais mourir chez moi, en ayant eu le temps de saluer mes proches, après avoir eu une vie active jusqu’au bout.
J’aimerais que mon ultime souffle soit un dernier soupir et non un râle.
Pour l’instant, je ne peux que m’émouvoir du sort des familles concernées, les soutenir par la pensée et espérer que le 11 mai prochain, nous sortions réellement du confinement et que les personnes âgées ne soient pas les grandes oubliées des prochaines mesures annoncées par le gouvernement.
Naturellement vôtre,
Augustin de Livois
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