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vendredi 26 avril 2019

Congé parental européen: comment la France a fait voter une version au rabais - le 13.04.2019



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C'EST LA VIE
13/04/2019 16:46 CEST 

Congé parental européen: comment la France a fait voter une version au rabais


La Parlement européen a voté une directive qui octroie aux pères européens des congés parentaux. Mais la France a tout fait pour limiter ses ambitions.


Par Lucie Hennequin

Une directive européenne octroie aux pères ressortissant de l’Union européenne...


MARIANNE
Une directive européenne octroie aux pères ressortissant de l’Union européenne 10 jours de congé paternité et un congé parental de 4 mois, dont 2 mois non-transférables.

EUROPE - Une directive garantissant à chaque citoyen européen un congé paternité et un congé parental vient d’être votée au Parlement européen. Passée un peu inaperçue, elle octroie aux pères ressortissants de l’Union européenne 10 jours de congé paternité et un congé parental de 4 mois, dont 2 mois non-transférables. Une victoire sociale européenne en demi-teinte, notamment à cause de la France.
Alors que l’égalité entre hommes-femmes ne cesse d’être présentée par Emmanuel Macron comme l’une des priorités du quinquennat, l’État français a tout fait pour limiter la portée de cette nouvelle législation européenne. Avec un argument: son coût “potentiellement exorbitant.”
Conséquence: en France, ce nouveau texte ne changera pas grand-chose. Ce n’est pas le cas pour tous les États de l’Union, dont certains ne possèdent pas de loi sur le sujet. Mais le texte qui vient d’être voté est bien loin de ses ambitions de départ.

Équilibre entre vie professionnelle et vie privée

Retour en 2017: à la suite du retrait de la directive sur le congé de maternité, la Commission européenne a décidé d’adopter une approche plus large pour remédier à la sous-représentation des femmes sur le marché du travail. 
Intitulée “Initiative visant à promouvoir l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants qui travaillent”, sa proposition visait alors à moderniser le cadre juridique existant de l’UE en matière de congés familiaux et de formules souples de travail.
“La principale raison donnée par les femmes de 20 à 64 ans à leur inactivité est le fait d’avoir à s’occuper d’un enfant ou d’un proche handicapé, alors que ce motif n’apparaît quasiment jamais comme une des raisons invoquées par les hommes inactifs de la même tranche d’âge”, souligne un rapport de l’Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES) 
Macron a annoncé qu’il ne paierait pas un euro pour un nouveau droit.Marie Arena, eurodéputée (S&D) porteuse de la directive
La Commission souhaitait instaurer un congé paternité et un congé parental pour les pères européens, payés au minimum autant que l’assurance maladie. Mais le groupe qui travaille sur cette question rencontre rapidement des résistances. “Nous avons fait face à un monde patronal assez violent, qui a tout fait pour protéger la compétitivité des entreprises, sans voir les contre-exemples que sont les pays scandinaves en matière de droits parentaux”, raconte Marie Arena. 
Après des discussions préalables avec syndicats et entreprises, le texte est présenté au Conseil et au Parlement européen. Les négociations sont rudes. “La France a été très bloquante sur le sujet. Macron a annoncé dans son discours à Strasbourg qu’il ne paierait pas un euro pour un nouveau droit”, rappelle l’eurodéputée.
Le 17 avril 2018, Emmanuel Macron assume en effet de manière claire la position de la France sur le sujet. Questionné sur le congé parental par Marie Arena elle-même en plein Parlement européen, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous, il répond: “J’en approuve les principes, mais c’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable.”
Le 17 mai 2018, devant le Sénat, la ministre des Affaires sociales Agnès Buzyn évoquait un coût d′1,6 milliard d’euros. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, ajoutait: “La France est absolument pour une directive sur le congé parental”. Mais “ce n’est pas à Bruxelles que l’on doit décider dans le détail comment il doit fonctionner pays par pays”.
Des prises de position qui font alors monter au créneau les syndicats français et les ONG. Deux lettres ouvertes sont écrites au Président français au printemps 2018, réclamant que la France soutienne la proposition de directive européenne.



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La proposition de directive européenne pour l'équilibre vie professionnelle - vie personnelle est une étape indispensable pour la relance de l'Europe sociale. La @CFDT, la Cgt, FO, la Cftc et l'Unsa s'associent à @etuc_ces pour appeler @EmmanuelMacron à la soutenir.

131 personnes parlent à ce sujet
Le niveau de rémunération des congés parentaux est alors la priorité de la Commission, qui a déjà abandonné l’idée de le rendre obligatoire. “On ne pouvait pas se battre sur tous les fronts, raconte Marie Arena. C’était ça ou la directive passait aux oubliettes.” 
Car lorsque ces congés sont mal rémunérés, ce sont en priorité les femmes qui mettent entre parenthèses leur carrière professionnelle pour les prendre. En France, selon l’OCDE, seuls 4% des pères profitent d’un congé parental, devenu “prestation partagée d’éducation de l’enfant” (PreParE) depuis 2015. Et payé un tiers du Smic. 
En Suède et en Islande, où le congé parental est indemnisé à 80 % du salaire, près d’un père sur deux le sollicite. À égalité avec les mères.

“Un manque de courage”

Si pour la France, cela représente un “coût potentiellement explosif”, selon les mots d’Emmanuel Macron, d’autres membres du Conseil s’opposent à cette rémunération du congé parental. 
“Les pays comme le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède étaient contre un texte allant moins loin que leur propre législation, explique Antoine Math, chercheur à l’IRES. Les pays plus conservateurs, comme l’Italie, la Pologne ou l’Autriche étaient contre sur le fond.”
La question du coût revient inlassablement sur la table. Sollicité par le HuffPost, le cabinet de Muriel Pénicaud, qui a négocié à l’UE sur le sujet, n’a pas répondu. Marie-Pierre Rixain, députée LREM et présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, va dans ce sens.
“La France doit être moteur sur la question, mais il faut aussi avoir en tête ce que ça représente en termes de dépenses publiques, rappelle-t-elle sans surprise au HuffPost. Les femmes indépendantes et les agricultrices ont vu leurs droits renforcés en terme de congé maternité, on ne peut pas tout faire en même temps. Ce sont des arbitrages budgétaires.” 
Face à la fronde austéritaire menée par la France, un consensus européen est trouvé en janvier 2019. Le texte révisé garantit une période de 4 mois de congé parental, dont 2 mois non transférables entre les parents. Gros point noir: l’indemnisation, qui se fera ”à un niveau adéquat pour encourager les parents à prendre le congé”Et reste donc totalement à l’appréciation de chaque État européen.
"La proposition a été vidée de ses éléments les plus ambitieux"Antoine Math, chercheur à l'IRES
“On est déçus par le manque de courage de certains pays, à commencer par la France, sur le niveau d’indemnisation, a déploré Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, présidente des socialistes français au Parlement européen, dans“Ouest France”. Le Parlement européen avait proposé de fixer l’indemnité à 78 % du revenu. On n’a pas obtenu ce niveau. ” 
“En vue de parvenir à un accord rassemblant suffisamment de pays pour envisager une adoption à la majorité qualifiée, la proposition a été vidée de ses éléments les plus ambitieux”, estime le rapport de l’IRES.
Votée par le Parlement européen le 4 avril 2019, cette ultime version de la directive permet tout de même à un travailleur européen d’avoir recours à la Cour de justice européenne s’il estime que le montant qu’on lui propose est insuffisant. 
Le nouveau congé parental européen est donc de quatre mois, dont deux non-transférables. “À cause de la pression sociale, souvent les pères ne prennent pas leur congé parental et le transfèrent à la mère. Désormais, deux mois sur quatre seront perdus s’ils ne sont pas pris” souligne Marie Arena. La Commission demandait elle quatre mois non-transférables. 
La directive précise que la législation s’appliquera aux couples de même sexe dans les pays européens où ils ont les mêmes droits concernant la parentalité. Une petite avancée tout de même: les employés européens pourront demander à aménager leur temps de travail ou fragmenter leur congé (mi-temps, temps partiel, flexibilité dans les horaires). 

Bénéfices à long terme

Pourtant, le texte de départ aurait eu toute une panoplie d’effets positifs sur l’économie, selon une étude d’impact commandée par la Commission (ICF, Cambridge Econometrics, 2017) et selon l’étude d’impact annexée à la proposition de directive (European Commission, 2017).
“L’emploi global augmenterait et le pays générerait plus de recettes fiscales et moins de dépenses, notamment en prestations de chômage (et secondairement en dépenses de santé)”, estime le chercheur de l’IRES Antoine Math.
À échéance 2050, elle aurait abouti à une augmentation de 1,6 million d’emplois (très majoritairement occupés par des femmes), de 1,4 million de la population active et un accroissement des revenus réels de 0,52 %.
Souhaitant voir le verre à moitié plein, le chercheur de l’IRES Antoine Math admet: “Cette directive, même si elle ne va pas assez loin, est un symbole fort.”  Les États auront ensuite trois ans pour transposer la directive. 
En France, les pères bénéficient de 11 jours de congé paternité et 3 jours de congé naissance, indemnisés à 100%. Vient ensuite un congé parental de 6 mois par parent pour le premier enfant et de 24 mois maximum par parent à partir du deuxième enfant, rémunéré un tiers du Smic.
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