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jeudi 12 avril 2018

Si M. Macron privilégie une religion, il bafoue la laïcité.....Jean-Louis Bianco " Nous devons nous en tenir à la loi de 1905 "

12 avril 2018

Si M. Macron privilégie une religion, il bafoue la laïcité

Les religions n'ont nullement le monopole de la vie spirituelle, et les humanistes athées ou agnostiques ont les mêmes droits que les Eglises, juge le philosophe Henri Pena-Ruiz

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Le philosophe chrétien Hegel s'insurgeait que les Eglises veuillent confiner l'Etat dans un rôle d'intendance ma-térielle et se réserver le monopole de la vie spirituelle. Il voyait dans celle-ci l'ensemble de la culture humaine, incluant les arts, la religion, la philosophie et les humanismes, bref les humanités. Aujourd'hui, le même courant semble animer les Eglises, et le président Macron vient de leur prêter main-forte. Pourquoi en effet réserver aux religions les questions portant sur le sens et les -valeurs ? Pourquoi calomnier la laïcité en sous-entendant qu'elle serait antireligieuse et qu'elle exclurait les religieux des débats démocratiques ? Quels faits peut-il invoquer pour étayer de tels propos ? Aucun. Il est facile de s'acharner sur une caricature.
Naguère le cardinal Jean-Marie Lustiger a milité publiquement, contre la pilule abortive dite " pilule du lendemain ". Plus récemment, l'Eglise catholique n'a nul-lement été empêchée de faire campagne contre le mariage pour tous. Dans les deux cas, après le débat démocratique, les représentants du peuple ont tranché. Pourquoi formuler contre l'Etat laïque une incroyable accusation qui consiste à prétendre qu'il aurait abîmé le " lien " avec la religion catholique, entre autres ? Quelle confusion ! Et surtout en quoi le refus de privilégier publiquement les religions leur ferait-il du mal ? Comprenne qui pourra. Les fidèles du mouvement catholique Nous sommes aussi l'Eglise(NSAE) estiment que toute volonté de privi-lèges juridiques, symboliques ou financiers pour les Eglises porte atteinte à la pureté d'une foi désintéressée dont l'éthique est celle d'un libre témoignage.
Spiritualité désintéresséeComme les humanistes athées ou agnostiques et à égalité avec eux, les fidèles des religions prennent part librement aux débats démocratiques. L'Eglise catholique voudrait-elle être reconnue comme interlocutrice privilégiée, voire disposer d'une reconnaissance d'intérêt public alors que les humanistes athées et agnostiques seraient confinés dans un statut de droit privé ? Ce serait contraire à la devise républicaine. Liberté, égalité, donc égale liberté. M.  Macron est parfaitement libre, dans sa sphère privée, d'exalter le catholicisme. Mais en tant que président, il se doit de traiter à égalité toutes les convictions spirituelles et de n'en privilégier aucune.
Trois boussoles sont essentielles. En premier lieu, la laïcité est un universalisme et non un différentialisme. Elle fonde un cadre juridique et politique bon pour tous et non pour certains seulement. Le souci de l'intérêt général, de la liberté de conscience et de l'égalité convient à toutes et tous. En second lieu, elle repose sur un idéal d'émancipation porté par la philosophie des Lumières et du droit naturel, jadis rejetés par l'Eglise -catholique. A une époque où un -patriarcat sacralisé par les trois monothéismes assignait les femmes au rang de deuxième sexe, le découplage des lois civile et religieuse a contribué à la conquête de l'égalité des sexes. Une conquête difficile, comme le fut la dépénalisation de l'homosexualité.
Enfin, le souci de réserver l'argent public aux seuls services publics, promu par l'idéal laïque, donne une dimension sociale à la laïcité. L'Etat laïque est lui aussi porteur de principes et de valeurs, et il permet de vivre les particularismes sans s'aliéner à eux et en restant ouvert à l'universel. C'est pourquoi Hegel considérait que les religions n'ont pas le monopole de la vie spirituelle. Le pré-sident Macron, qu'intéresse la philosophie, pourrait s'en inspirer. Il pourrait s'inspirer aussi du poète chrétien Victor Hugo qui, le 15  janvier 1850, lança la formule parfaite " L'Etat chez lui, l'Eglise chez elle ". Une formule qui anticipait la loi de séparation laïque du 9  décembre 1905. Double émancipation : l'Eglise n'est plus contrôlée par l'Etat, et l'Etat n'est plus sous emprise religieuse.
Adversaire de ce qu'il appelait le " parti clérical ", qui convertit la -religion en volonté de pouvoir, Hugo ne s'opposait pas à la spiritualité religieuse désintéressée, en sa dimension éthique. Une telle distinction est au cœur de la laïcité : il suffit de lire Jean Jaurès, Ferdinand Buisson, Aristide Briand et d'autres, pour s'en convaincre. Employer le même terme de " radicalisation " pour la laïcité et le fanatisme religieux est blessant pour les défenseurs de la laïcité.
Une suggestion pour promouvoir un esprit de fraternité : au lieu d'un enseignement du seul fait -religieux, il serait juste d'organiser un enseignement de l'ensemble des convictions, humanistes athées ou religieuses, donc des humanités. Dans une République où athées et croyants sont en nombre sensiblement égal, ce ne serait que justice.
Henri Pena-RUIZ
© Le Monde

12 avril 2018

Jean-Louis Bianco " Nous devons nous en tenir à la loi de 1905 "

Le président de l'Observatoire de la laïcité estime que la séparation des Eglises et de l'Etat n'interdit pas le dialogue avec les cultes

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Le discours du président de la République prononcé lundi 9 avril devant la Conférence des évêques de France au collège des Bernardins a suscité de vives réactions par rapport au principe de laïcité.
Parlons donc de laïcité et de laïcité seulement. D'abord une remarque : ce serait un grand progrès démocratique si nous étions capables de ne pas réduire l'information à des Tweet (en l'espèce, ceux relayant partiellement le discours du président) ni le débat à des Tweet sur des Tweet.
Ma seule question est : est-ce que le principe de laïcité a été respecté ou non ? L'interrogation est logique au vu de quelques Tweet qui ne permettaient pas de contextualiser les propos. Mais qu'a dit exactement le président ? Il a d'abord rappelé la séparation et la distinction des pouvoirs : " L'Etat et l'Eglise appartiennent à deux ordres institutionnels différents, ils n'exercent pas leur mandat sur le même plan. " Il a ensuite donné une définition très claire de la laïcité : " Mon rôle est de m'assurer que chaque citoyen ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire, mais je lui demanderai de la même façon, et toujours, de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C'est cela la laïcité, ni plus ni moins, une règle d'airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis. "
J'attache une particulière importance à la réaffirmation claire et sans équivoque du devoir de tous les citoyens de " respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République ". Chacun peut débattre d'une loi, avant, pendant ou après son adoption, mais chacun doit respecter la loi une fois qu'elle est votée.
Une loi pas toujours bien compriseConcernant la question d'un " lien entre l'Eglise et l'Etat " qui serait " abîmé " et qu'il faudrait " réparer ", nous devons nous en tenir à la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, pas toujours bien comprise. Elle proclame, dans son article 2, que la République ne reconnaît aucun culte. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il n'y a pas de religion d'Etat. Que l'Etat laïque, à la différence du régime du Concordat, ne salarie pas les cultes et qu'il ne se mêle pas de leur organisation. Mais cela n'interdit pas le dialogue avec les cultes, qui existe depuis l'origine, depuis la loi de 1905, ne serait-ce que pour l'application de son article  2 qui prévoit dans certains cas le financement de services d'aumônerie. Il existe d'ailleurs depuis 1911 un bureau central des cultes au ministère de l'intérieur. Dans ce cadre, l'Etat laïque doit traiter tous les cultes à égalité et n'en privilégier aucun. Plus largement, l'Etat doit dialoguer avec toutes les convictions et courants de pensée.
Quant à l'appel à s'engager pour le bien public, dans le respect des lois de la République, il doit être entendu comme un appel citoyen, à tous les citoyens, et pas seulement un appel aux croyants, et pas seulement aux croyants d'une seule religion.
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, Emmanuel Macron s'est exprimé à de nombreuses reprises sur la laïcité, d'abord comme candidat à la présidence, et depuis son élection en de nombreuses occasions. Pour conclure, je veux ici retenir deux citations d'une interview qu'Emmanuel Macron avait accordée au Monde des religionsquelques jours avant le second tour de l'élection présidentielle :
" L'immense majorité de nos concitoyens est attachée à la laïcité. Je ne crois donc pas que la laïcité soit réellement menacée. Toutefois, il est indéniable qu'elle est attaquée, remise en cause au quotidien, par des comportements sincères ou délibérément provocateurs. Là-dessus, il faut être très clair : la seule loi est celle de la République, et ces comportements sont inacceptables. "
" Je crois en la force de notre modèle, dont nous devons collectivement être fiers, parce qu'il permet à chacun de vivre pleinement sa foi, dans le respect de la loi commune. Parce qu'il est peu de pays au monde où il est possible de vivre aussi librement sa foi, d'affirmer ses convictions philosophiques ou politiques, tout en ayant autant conscience de servir par-delà nos différences ce pays qui nous est cher : la France. "
Ces propos portent un diagnostic que je partage et sont parfaitement conformes à ce qu'est la laïcité inscrite dans notre droit et telle qu'elle découle de notre histoire.
Jean-Louis Bianco
© Le Monde

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