Chacune de ses apparitions est annoncée, acclamée, louée. " Jean-Louis est là ", " Jean-Louis arrive ", " Jean-Louis est avec nous ", " Jean-Louis va nous dire un mot ", " Jean-Louis est prêt à nous aider ". Jean-Louis, Jean-Louis, Jean-Louis… Les maires et les associatifs de banlieue ne jurent que par lui. " Ce n'est pas compliqué, Jean-Louis Borloo, c'est Dieu ", résume François Pupponi, député (PS) du Val-d'Oise et ex-maire de Sarcelles.
Cela fait huit mois que l'ancien ministre de la ville de Jacques Chirac – entre 2002 et 2004 – et le père de la rénovation urbaine – 48 milliards d'euros en quinze ans – a repris du service à la demande des acteurs de terrain. Désemparés après l'annonce, l'été 2017, des coupes budgétaires puis celle du gel des emplois aidés, ils se sont rassemblés pour faire entendre leur voix – et leur colère – lors de la première édition des Etats généraux de la politique de la ville, mi-octobre. Un mouvement baptisé l'" appel de Grigny ".
A chaque étape de cette mobilisation inédite, aux petites réunions comme aux grands rassemblements, Jean-Louis Borloo, 67 ans, était présent, entrant en scène discrètement, sans jamais se presser, la veste jetée sur l'épaule ou suspendue au bout de deux doigts, balayant le sol au passage.
" Je suis là pour donner un petit coup de main si je peux, c‘est tout ", leur martelait-il. Le
" petit coup de main " s'est transformé en mission officielle lorsque, mi-novembre, le président de la République lui a confié la tâche de mettre en œuvre un plan de bataille pour les quartiers populaires et faire une série de propositions. Depuis, tous attendent de Borloo –
" Notre dernier espoir ", disent les maires – qu'il réitère son exploit en parvenant à relancer une grande
" mobilisation nationale " en faveur des banlieues, que le chef de l'Etat a appelé de ses vœux lors de son discours de Tourcoing, en novembre.
Ce vendredi 6 avril, l'ancien ministre marque un point décisif. En signant le pacte de Dijon, en sa présence, les métropoles et les agglomérations s'alignent sur le " plan Borloo " et envoient un signal fort au gouvernement. Dans ce pacte en forme de manifeste pour une nouvelle politique de " cohésion urbaine et sociale ", les deux signataires, France urbaine (association des agglomérations et des métropoles de France) et l'Assemblée des communautés de France (AdCF) actent leur feuille de route et s'engagent à
" prendre leurs responsabilités (…)
dans la résorption des fractures urbaines et sociales " tout en appelant l'Etat à jouer son rôle.
Dans ce document de quatre pages, c'est l'esprit du plan Borloo qui se dessine. En commençant par couper court aux idées reçues qui dépeignent souvent les efforts menés depuis quarante ans en matière de politique de la ville comme dispendieux et inefficaces.
" Cette politique est loin d'avoir démérité, est-il rappelé, en préambule.
De véritables reconquêtes ont eu lieu. Il convient de penser à ce que seraient devenus ces territoires sans les considérables efforts qui ont été accomplis par les pouvoirs publics et leurs partenaires. "
Et d'ajouter :
" La politique de la ville se trouve en voie d'essoufflement et en quête de refondation. " Un constat formulé sans détours par Jean-Louis Borloo lors d'un atelier de travail avec France urbaine et l'AdCF en mars à Paris :
" Nous sommes à la fin d'un système épuisé, inefficace, menteur où les pouvoirs publics font rapport sur rapport pour expliquer leur inaction. Personne n'en peut plus ", avait-il dénoncé. L'ancien ministre de la ville avait alors fait le point sur la situation des 1 500 quartiers prioritaires en déclarant que 200 d'entre eux étaient en passe de décrocher, que 60 autres l'avaient déjà fait, tandis qu'une quinzaine étaient
" dans l'affrontement avec la République ".
" Nous souhaitons apporter des solutions nouvelles aux difficultés des quartiers populaires ", annoncent les signataires du pacte de Dijon. Les actions à venir s'articulent autour de cinq axes : l'emploi et l'excellence numérique, le renouvellement urbain, les mobilités quotidiennes, l'éducation et la formation, l'action sociale et la santé. Le document se contente de tracer les contours du " plan Borloo ", sans en divulguer le contenu. Même si quelques pistes se précisent, comme la création dans les quartiers de lieux uniques consacrés au numérique et au digital. Ou encore la relance de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en repensant les
" politiques de peuplements " :
" Il faut arrêter de concentrer les mêmes, les plus pauvres, aux mêmes endroits et faire jouer la solidarité entre les communes ", commente Jean-Luc Moudenc, président de France urbaine et maire (LR) de Toulouse.
" Simplifier la tuyauterie "
" Ce pacte est un appel à une clarification des responsabilités, exclusives et partagées, des collectivités locales et de l'Etat ", est-il indiqué dans le document. Chacune des ambitions énoncées s'accompagne de la mention suivante :
" Cela sera possible si l'Etat et ses services s'engagent ", dans le désordre à
" garantir la stabilité des dispositifs qui concourent, dans les quartiers, à l'insertion économique ",
" initier et mettre en œuvre un grand plan national de lutte contre l'illettrisme ",
" simplifier la tuyauterie administrative et financière de l'ANRU ",
" renforcer l'offre éducative, culturelle et artistique dans les quartiers en difficulté ",
" lancer un vaste plan de lutte contre le décrochage scolaire "…
" Nous sommes prêts à prendre les commandes de la politique de la ville, à en être les maîtres d'ouvrage, mais cela ne sera possible qu'à condition que l'Etat prenne lui aussi un engagement fort, souligne Jean-Luc Moudenc
. Or, depuis le discours de Tourcoing, nous sommes en attente. "
La signature de ce pacte intervient dans un contexte tendu. La démission, le 27 mars, du maire de Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon, pour protester contre
" le mépris de l'Etat " et l'insuffisance des politiques publiques dans les banlieues a déclenché une vague de soutiens d'élus.
" Nous, maires de banlieue, connaissons la violence, la misère et la relégation. Nous savons lutter contre. Cependant, nous ne tolérons pas le mépris du gouvernement ", avait tweeté, le soir même, Catherine Arenou, maire (LR) de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines).
Le hashtag a été largement partagé sur les réseaux sociaux et repris par Ville et Banlieue.
" L'un des nôtres a jeté l'éponge ", écrit l'association de maires dans un communiqué du 28 mars. Elle conclut : "
Les prochaines semaines seront cruciales. Les choix que fera M. Macron pour les sites populaires fragiles constituent l'ultime voie pour que se rétablisse – ou pas – la confiance entre plus d'un dixième du peuple de France et la nation républicaine. "" Le président de la République a fixé une ambition forte il y a quelques mois, rappelle Jean-Luc Moudenc.
Il est temps que ça suive. "
Louise Couvelaire
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