19.avril.2018 /
Telegram : Moscou serre la vis sur le Web, par Benjamin Quénelle
Scandaleuse initiative du gouvernement russe…Dans la bataille actuelle du chiffrement se jour l’avenir de la vie privée sur Internet pour les décennies à venir…
Source : La Croix, Benjamin Quénelle, 18-04-2018
La messagerie Telegram, qui a refusé de fournir ses clés de cryptage au Kremlin, est bloquée depuis lundi en Russie. La répression sur Internet croît dans le pays avec les nouvelles réglementations.
Pavel Dourov a dit « niet » au Kremlin. La réplique n’a pas tardé : le « Robin des bois » du Web russe a été mis au ban. Défenseur du droit à utiliser librement et confidentiellement Internet, le fondateur de la messagerie cryptée Telegram vient de voir cette dernière bloquée en Russie. Concrètement, Pavel Dourov avait été sommé de fournir aux services secrets les clés de cryptage permettant de lire les messages des utilisateurs.
Le blocage de Telegram, réputé pour sa sûreté, confirme les croissantes pressions sur le Web, longtemps un espace libre en Russie. Un paradoxe : la messagerie était utilisée par les blogueurs rebelles et leaders de l’opposition mais aussi par l’élite du Kremlin. « Si critiquer un gouvernement est illégal dans un pays, Telegram ne participera pas à une telle censure », prévenait Pavel Dourov, en exil depuis son bras de fer avec le pouvoir, en 2014. VKontakte, son réseau social jugé trop indocile par les autorités, avait alors été repris par des amis du Kremlin.
Telegram rejoint ainsi le réseau LinkedIn, inaccessible depuis 2016 pour ne pas avoir appliqué une loi sur le stockage des données personnelles. Un interdit parmi d’autres : le blog du leader de l’opposition Alexeï Navalny est régulièrement bloqué ; le site de l’ex‑oligarque en exil Mikhaïl Khodorkovski a été jugé « indésirable », nouvelle qualification légale pour les entités étrangères trop dérangeantes. Ces blocages sont la partie la plus visible de la répression sur le Web, victime à son tour des nouvelles lois contre l’extrémisme. Dans les faits, celles-ci restreignent aussi la liberté d’expression. Le Parlement travaille d’ailleurs sur une énième régulation qui, faisant la chasse aux « fake news », risque d’être un instrument de censure.
Agora, ONG d’avocats des droits de l’homme, s’inquiète de cette « criminalisation rampante » de l’utilisation d’Internet : 2017 a été marquée par une peine d’emprisonnement en moyenne une fois tous les huit jours, contre des personnes poursuivies parfois pour un simple « post » ou « like ». « Il y a cinq ans, aucun blogueur n’était arrêté. C’est devenu courant, dénonce Andreï Soldatov, rédacteur en chef du site Agentura.ru, spécialiste des questions de sécurité. Pour des raisons techniques, les autorités ne peuvent réprimer directement Internet. Du coup, elles optent pour la bonne vieille méthode des poursuites judiciaires et des arrestations. »
Les cibles sont faciles : les blogs et sites d’activistes de l’opposition déjà connus de la police. « Mais la délation fonctionne aussi à plein. Dans les petites villes, il est devenu dangereux sur Internet de dire tout haut ce qu’on pense… », prévient Andreï Soldatov. Dernier exemple en date : BlogSochi, bulle de liberté dans la ville hôte des JO 2014, ne fonctionne plus, et son rédacteur en chef Alexander Valov a été arrêté, pris les mains dans le sac d’une prétendue affaire de corruption. « Une arrestation commandée… Il dérangeait beaucoup de monde car il publiait des infos qu’on ne lisait nulle part ailleurs », explique son avocat Alexander Popkov.
« Prochaine cible possible : YouTube ! », redoute Andreï Soldatov. Comme Facebook et Google, le portail de vidéos, très utilisé par l’opposition, a refusé de mettre son serveur en Russie. Formellement, il ne respecte donc pas la légalisation russe sur le stockage des données personnelles. Il peut être bloqué à tout moment – selon le bon vouloir des autorités de contrôle.
Source : La Croix, Benjamin Quénelle, 18-04-2018
Moscou bloque des millions d’adresses IP pour interdire l’accès à Telegram
Source : Le Devoir, AFP, 17-04-2018
Moscou — La Russie a bloqué mardi près de 18 millions d’adresses IP qui pourraient être utilisées pour contourner le blocage de la messagerie cryptée Telegram, qui a provoqué une levée de boucliers virtuels, son fondateur appelant à la « résistance numérique ».
L’agence de régulation des télécoms Roskomnadzor a bloqué près de 18 millions d’adresses IP utilisées pour accéder à Telegram — dont le blocage par les autorités russes a commencé mardi —, et le nombre allait croissant mardi après-midi, selon les agences russes.
Certains opérateurs avaient commencé lundi après-midi à bloquer Telegram en Russie, sur ordre de Roskomnadzor, suite à une décision de justice en raison du refus de Telegram de fournir aux services spéciaux (FSB) les clés permettant de lire les messages des utilisateurs.
Parmi les adresses IP bloquées, plusieurs centaines de milliers sont liées aux services d’informatique dématérialisée (cloud computing) d’Amazon et plus d’un million à ceux de Google.
« Dix-huit sous-réseaux sont en cours de blocage. […] Tous appartiennent à Amazon ou Google », a par ailleurs déclaré un porte-parole de Roskomnadzor, Alexandre Jarov, cité par Interfax.
« Malgré le blocage, nous n’avons pas constaté une diminution notable de l’activité des utilisateurs, puisque les Russes ont tendance à contourner l’interdiction avec des RPV [VPN en anglais] et des serveurs mandataires [proxy servers] », qui permettent de contourner les blocages en simulant une connexion depuis l’étranger, s’est réjoui sur sa propre chaîne Telegram (compte public auquel l’on peut s’abonner) son cofondateur Pavel Dourov.
« Je vous remercie, utilisateurs russes de Telegram, pour votre soutien et votre fidélité. Merci Apple, Google, Amazon, Microsoft — de ne pas avoir pris part à la censure politique », a-t-il affirmé.
« Pour soutenir les libertés sur Internet en Russie et ailleurs, j’ai commencé à offrir des bitcoins aux particuliers et aux entreprises qui utilisent des serveurs mandataires […] et des RPV. Je suis heureux de donner des millions de dollars cette année à cette cause, et j’espère que d’autres personnes suivront. J’appelle ça la résistance numérique — un mouvement décentralisé qui défend les libertés numériques et le progrès à l’échelle mondiale », a-t-il annoncé.
Fondée en 2013 par les frères Pavel et Nikolaï Dourov, créateurs auparavant du réseau social VKontakte, Telegram a profité, grâce à la sécurité qu’elle offre a ses utilisateurs, des débats de ces dernières années sur la protection de la vie privée lors de l’utilisation des nouvelles technologies.
Telegram compte aujourd’hui 200 millions d’utilisateurs dans le monde, dont 7 % en Russie, selon Pavel Dourov.
Source : Le Devoir, AFP, 17-04-2018
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https://www.les-crises.fr/telegram-moscou-serre-la-vis-sur-le-web-par-benjamin-quenelle/
bluetonga // 19.04.2018 à 07h03
Je me trompe peut-être, mais les fameuses lois russes sur le stockage des données, c’est précisément qu’elles restent matériellement sur le territoire russe pour éviter que la NSA ou autres organismes apparentés ou intéressés n’aillent y faire trop facilement leur shopping. C’est bête de ne pas l’avoir mentionné, ça aurait mis les choses en perspectives.
Sinon des expressions comme “bulles de liberté” ou “leader de l’opposition Alexei Navalny” restituent très bien le climat de guerre froide attendu dans ce genre d’article – et on n’est pas déçu, c’est bien la dictature en Russie. Ce n’est pas chez nous que des internautes seraient inquiétés pour des propos déplacés ou que la chasse aux fake news servirait de prétexte à intimider les voix dissidentes. Et en dernier recours, dieu merci, Youtube, Facebook et Google garantissent notre vie privée. Seule bémol : aucun oligarque épris de liberté ne m’offrira des bitcoins pour fortifier ma résilience à l’oppression.
Avec des journalistes de cette qualité, je n’ai pas besoin de me chercher des dictateurs.