Il ne s'agit donc que d'un " mandat exploratoire ". Mercredi 18 avril, plutôt que d'" investir " Maria Elisabetta Casellati de la charge de constituer un gouvernement, après plus de six semaines de blocage politique, le président italien, Sergio Mattarella, a confié à la présidente du Sénat, deuxième personnage de l'Etat, la tâche de faire un tour de table supplémentaire. Dans le monde de nuances et de clairs-obscurs qu'est le jeu parlementaire italien, la différence sémantique est de taille.
Dans une déclaration faite depuis le palais du Quirinal, mercredi, peu avant midi, la présidence a donc annoncé qu'était confié à Maria Elisabetta Casalleti un
" mandat exploratoire ", d'ici à vendredi,
pour
" vérifier l'existence d'une majorité entre le Mouvement 5 étoiles - M5S -
et le centre droit ". Un schéma auquel les dirigeants du M5S se refusent depuis des semaines, arguant qu'ils ne sauraient figurer dans une coalition comportant un parti – Forza Italia – dirigé par une personne condamnée par la justice, Silvio Berlusconi.
Coup d'attenteFidèle de la première heure de Silvio Berlusconi, dont elle a accompagné le parcours depuis son entrée en politique – elle a été élue sénatrice pour la première fois en 1994 –, Mme Casellati est née en 1946 à Rovigo (Vénétie). Magistrate de formation, elle a été désignée au Conseil supérieur de la magistrature en 2014, abandonnant ce mandat pour retourner au Sénat après les élections de 2018. Au sein de la droite italienne, elle représente une tendance libérale, conservatrice et catholique, peu compatible avec l'extrémisme de la Ligue ou des postfascistes de Fratelli d'Italia.
De prime abord, par cette désignation survenant en plein blocage politique, Sergio Mattarella semble surtout vouloir gagner du temps. D'ailleurs, les premiers échanges entrepris dès mercredi après-midi n'ont fait que confirmer l'existence du blocage, la Ligue et le M5S campant obstinément sur leurs positions. Dans une déclaration, Luigi Di Maio (M5S) a ainsi rappelé qu'à ses yeux, la coalition dite
" de centre droit
" était " artificielle ", et qu'il était
" prêt à souscrire un contrat de gouvernement, mais seulement avec la Ligue ", tandis que Matteo Salvini (Ligue) affirmait que si ce tour exploratoire ne donnait rien,
" autant retourner voter tout de suite ". En réalité, il paraît bien que le président cherche surtout à laisser la situation se décanter d'elle-même. Dans une finale de partie d'échecs, on appelle ça un coup d'attente.
Les derniers jours ont été riches en enseignements. En particulier les déclarations très violentes de Matteo Salvini au lendemain des frappes aériennes menées par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, qui n'ont pas manqué d'inquiéter au sein même de l'alliance dite de " centre droit " qu'il dirige, mettant en lumière l'abîme séparant sa tendance atlantiste, représentée par Silvio Berlusconi, et l'aile souverainiste et prorusse incarnée par M. Salvini.
En confiant à une personnalité issue du monde berlusconiste le soin de ce premier tour exploratoire, Sergio Mattarella paraît vouloir lever définitivement l'hypothèque d'un gouvernement dirigé par la Ligue. Une fois rejetée cette hypothèse ne subsisteraient plus que deux scénarios pour éviter une impasse synonyme de retour aux urnes : celui d'une alliance entre le M5S et la gauche, ou celui d'une entente entre les grillinistes et la Ligue, sans Forza Italia.
Ainsi donc, l'inclassable mouvement protestataire, créé il y a moins de dix ans par un comique, Beppe Grillo, et un informaticien de génie, Gianroberto Casaleggio, dirigé par un homme de 31 ans, Luigi Di Maio, et fort des 32 % des voix obtenues le 4 mars, se retrouve-t-il au centre du jeu, comme la Démocratie chrétienne en ses plus belles heures. Le jeune chef de la formation – naguère – protestataire, engagé dans un improbable virage pro-européen et atlantiste, a multiplié ces dernières semaines les clins d'œil, allant jusqu'à reprendre, samedi, une métaphore bien connue de l'emblématique dirigeant démocrate-chrétien Giulio Andreotti (1919-2013), celle des " deux fours ", l'un pour sa gauche et l'autre pour sa droite.
Une rhétorique qui provoque la fureur de Matteo Salvini, mais semble à l'inverse rencontrer quelques échos à gauche. Cependant, pour que prenne corps l'hypothèse, encore bien fragile, d'un retournement d'alliance et d'un retour dans le jeu du Parti démocrate laminé lors des élections, sans doute faut-il encore laisser passer un peu de temps.
Jérôme Gautheret
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