Pour Carles Puigdemont, c'est une grande victoire sur la justice espagnole. Non seulement le tribunal régional supérieur du Schleswig-Holstein n'a pas retenu, jeudi 5 avril, l'accusation de " rébellion " figurant dans le mandat d'arrêt européen (MAE) que l'Espagne avait émis contre le dirigeant indépendantiste catalan. Mais, contrairement à ce qu'avait requis le procureur général du Land, les juges ont autorisé sa mise en liberté, à condition qu'il se présente une fois par semaine à la police de Neumünster, la ville où il a été placé en détention le 25 mars, moyennant le versement d'une caution de 75 000 euros.
La somme a été payée quelques heures plus tard par la puissante association indépendantiste ANC, qui a déjà déboursé plus de 4 millions d'euros pour acquitter les cautions des différents responsables poursuivis par la justice espagnole.
" On se voit demain. Merci à tous ", a publié dans la soirée l'ancien président de la Catalogne sur son compte Twitter, alors que les sympathisants indépendantistes inondaient les réseaux sociaux de messages de célébration euphoriques.
La décision des juges allemands est capitale pour l'avenir judiciaire de M. Puigdemont. Certes, ceux-ci ont estimé que rien ne s'opposait à sa remise à la justice espagnole. Mais, en ne retenant contre lui que l'accusation de " détournement de fonds publics ", l'Allemagne prive Madrid de la possibilité de le juger pour " rébellion ", un crime passible de trente ans de prison.
Absence de violenceLes magistrats du Schleswig-Holstein ont tenu compte des arguments développés par les avocats de M. Puigdemont ainsi que par un certain nombre de juristes allemands et espagnols, pour qui cette accusation ne pouvait être retenue en raison d'absence de violence dans les actes qui lui sont reprochés.
" Nous sommes très heureux pour notre client ", ont déclaré, jeudi soir, les conseils catalans de M. Puigdemont, se félicitant que la justice allemande ne retienne pas le chef
" scandaleux " de
" rébellion ".
" En Allemagne, il y a une justice ", a réagi Josep Costa, premier vice-président du Parlement régional, sur Twitter.
La décision de la justice allemande est un sérieux revers politique et juridique pour Madrid. Le gouvernement de Mariano Rajoy a cherché à la minimiser, en assurant dans une note envoyée à la presse qu'il
" respecte les décisions des tribunaux, qu'elles lui plaisent ou pas ", et qu'il est
" convaincu que la justice espagnole adoptera les mesures les plus adéquates pour veiller au respect des lois du pays ".
La stratégie qu'il a adoptée contre les séparatistes ne cesse de se retourner contre lui. Non seulement les indépendantistes ont maintenu la majorité absolue au Parlement catalan lors des élections régionales imposées par Madrid en décembre 2017, mais les poursuites lancées contre les anciens dirigeants catalans répartis en Belgique, en Suisse, en Ecosse et en Allemagne leur ont permis de poursuivre un de leurs principaux objectifs : internationaliser le conflit.
La suite de l'histoire reste incertaine. En théorie, il revient maintenant au parquet du Schleswig-Holstein de donner son feu vert à une extradition. Une décision contre laquelle M. Puigdemont pourrait toutefois tenter de s'opposer en déposant un recours auprès de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Il est aussi possible que le juge du Tribunal suprême qui instruit l'affaire catalane, Pablo Llarena, préfère retirer le mandat d'arrêt européen plutôt que de voir limiter les chefs d'accusation contre celui qui est considéré comme le principal instigateur de la tentative de sécession d'octobre 2017 à un
" simple " détournement de fonds, passible de huit ans de prison.
" Si M. Puigdemont est remis uniquement pour ce délit, il serait paradoxal de juger les autres inculpés pour rébellion et leur chef pour malversation ", dit Ignacio Gonzalez Vega, porte-parole de l'association de magistrats progressistes Juges pour la démocratie.
" Puigdemont reste inculpé pour des délits graves pour avoir dynamité le statut d'autonomie catalan et la Constitution espagnole, a estimé, quant à lui, Carlos Carrizosa, porte-parole du parti unioniste Ciudadanos.
Les politiques ne peuvent pas agir en toute impunité. "
A l'inverse, les proches de M. Puigdemont ont célébré la nouvelle en sabrant du cava, le " champagne " catalan. Et le parti séparatiste d'extrême gauche CUP a demandé de soumettre de nouveau sa candidature au vote du Parlement catalan, afin qu'il soit reconduit à la tête de la " République catalane ". Dans un premier temps, les indépendantistes entendent continuer dans la voie explorée ces derniers jours : présenter de nouveau la candidature de l'ex-président de l'ANC, Jordi Sanchez, qui est en détention provisoire. Depuis le 23 mars, ce dernier se sent conforté par la décision du Comité des droits de l'homme des Nations unies qui a considéré comme recevable sa plainte contre Madrid pour atteinte à ses
" droits politiques ".
L'objectif de la candidature de M. Sanchez est de
" faire grossir le dossier judiciaire "contre l'Espagne, dit le responsable de la communication du parti Ensemble pour la Catalogne, Jaume Clotet, qui ne doute pas que la justice espagnole s'opposera de nouveau à son investiture. La guerre des nerfs entre Madrid et les indépendantistes catalans est partie pour durer.
Sandrine Morel, et Thomas Wieder
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