Translate

vendredi 13 avril 2018

En Guadeloupe, le CHU en pleine crise.....Le risque de surmortalité au cœur des préoccupations......


13 avril 2018

En Guadeloupe, le CHU en pleine crise

Depuis l'incendie de novembre, la prise en charge des patients est chaotique et les soignants sont à bout

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
LES DATES
2017
28 novembre Incendie d'une partie du CHU de la Guadeloupe.
30 novembre Visite sur place de la ministre de la santé, Agnès Buzyn.
4 décembre Un hôpital de campagne (déployé en cas de catastrophe naturelle ou de guerre) est installé sur le site du  CHU. Il y restera jusqu'à fin janvier.
7 décembre Les locaux sont progressivement réinvestis, avant le nettoyage et la décontamination des zones touchées.
2018
Janvier Une plainte contre X est  déposée par la direction du  CHU. Une analyse conclut par ailleurs que la qualité de l'air de  l'hôpital est normale.
Mars Jusqu'à 400 soignants sont en arrêt maladie. Une centaine exerce son droit de retrait.
Avril Une deuxième analyse de la qualité de l'air conclut à l'" absence de danger grave et imminent ".
L'immense bâtisse à l'allure défraîchie se dresse vers le ciel au bout d'une allée plantée de palmiers. A l'entrée des urgences, deux grandes tentes ont été installées sur le parking. Une feuille collée sur la bâche indique les heures des visites. Depuis l'incendie qui a ravagé une partie du CHU de la Guadeloupe, le 28  novembre 2017, et le départde l'hôpital de campagne,fin janvier, c'est là que les patients sont gardés en observation. Ils peuvent y rester jusqu'à deux jours, à la vue des pompiers, des ambulanciers, du personnel soignant et des visiteurs qui s'y croisent en permanence.
Ce spectacle inhabituel ne rassure guère les Guadeloupéens. " Il y a des patients perfusés là-dedans, ça me fait flipper ", confie Robert, venu accompagner sa sœur aux urgences. Cet ancien aide-soignant à Paris, de retour sur l'île depuis sa retraite, se dit éberlué par " le décalage du niveau de soins entre ici et la métropole ". " Je n'arrive pas à croire qu'on est en France. On a l'impression d'être à Bagdad. On voulait absolument éviter de venir dans cet hôpital, mais on n'a pas eu le choix ", lance sa voisine, dont le père attend depuis cinq heures sur un brancard. La comparaison est excessive, mais elle témoigne du malaise qui règne au CHU, plus de quatre mois après le sinistre.
Une situation " indigne "Le feu, a  priori d'origine humaine – une enquête est en cours –, a dévasté la maternité, les urgences, la réanimation et les blocs opératoires, restés tels quels, dans un amoncellement de matériaux noircis. L'hôpital ne tourne plus qu'à 60  % de ses capacités.
En attendant les travaux, une partie de l'offre de soins a été délocaliséedans d'autres locaux au sein de l'établissement et dans deux cliniques voisines, où le CHU loue des salles d'opération pour 100 000  euros chacune par mois – des négociations sont en cours avec les assurances pour qu'elles prennent le coût en charge.
" Au début, on était dans la survie. Ce qui est scandaleux, c'est que ce soit toujours le cas ", affirme Mona Hedreville, cardiologue et porte-parole du collectif de défense du CHU. Elle dénonce une situation" indigne, qui aggrave la situation des patients ". Les urgences, centre névralgique de l'hôpital, sont en première ligne. " On fait une médecine de catastrophe.Il manque encore beaucoup de matériel, le personnel est épuisé physiquement et nerveusement, et le nombre de lits disponibles a chuté. Ces conditions dégradées rendent notre travail encore plus complexe ", explique Serge Ferracci, chef de service des urgences.
La prise en charge des patients s'en ressent. " La semaine dernière, une personne est arrivée avec une plaie de cinq centimètres provoquée par une tronçonneuse, raconte un brancardier posté devant les tentes. Elle ne sait toujours pasquand elle va être opérée parce qu'il n'y a pas de bloc disponible, alors qu'on ne doit jamais laisser une blessure ouverte aussi longtemps. Tout se fait au jour le jour. "
Un bloc opératoire a été mis en place au CHU pour les cas d'extrême urgence, mais pour la majorité des patients le parcours est pour le moins chaotique. Les listes d'attente s'allongent vertigineusement, quand les malades ne sont pas carrément transférés sur les îles voisines, faute de pouvoir être soignés sur place.
" Ils sont brinquebalés à droite et à gauche ", déplore Mona Hedreville. Si les pompiers amènent un accidenté de la route, il passe d'abord aux urgences, réaménagées tant bien que mal dans l'ancien local des consultations. En cas de danger vital, il doit être monté au deuxième étage pour le déchocage. Il sera ensuite transféré dans une clinique, à plusieurs kilomètres, afin d'être opéré, avant de revenir au CHU pour la réanimation.
" Les rats quittent le navire "Les bébés subissent le même sort. " Il faut les transporter sur trois sites différents. C'est une déperdition d'énergie, avec des répercussions sur les soins ", dit Jean-Marc Rosenthal, chef de service de médecine néonatale. La route défoncée -menant à l'une des cliniques a été refaite en mars pour éviter les secousses lors du transport : un enfant s'était retrouvé extubé pendant le trajet à cause des nids-de-poule. Une analyse commandée par l'agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe est en cours pour savoir si des décès sont imputables à la désorganisation de l'hôpital.
Le personnel soignant, déjà éprouvé par les cyclones Irma et Maria en septembre  2017, est à  bout. Au moins six médecins ont démissionné depuis l'incendie, déstabilisant encore davantage les services, et des dizaines d'autres menacent chaque jour de le faire.
" Les rats et les moutons quittent le navire, peste Christophe Laplace, chef de service de chirurgie pédiatrique, entre deux consultations. Mais sachez que ceux qui restent se battront jusqu'au bout pour assurer au maximum la qualité des soins. " Il devra compter sans le soutien des médecins intérimaires susceptibles de venir de la métropole pour remplacer les absents : ils refusent de venir, craignant pour leur santé.
Depuis que les locaux ont été réinvestisà partir de décembre  2017 – avant le nettoyage et la décontamination des zones touchées par l'incendie, malgré la mise en garde du préfet –, des salariés se sont effectivement plaints de malaises, de céphalées, de ver-tiges et de maux de gorge. Sur les 3 200  salariés que compte le CHU, jusqu'à 400  étaient en arrêt -maladie en mars, et plus d'une centaine d'entre eux avaient exercé un droit de retrait – des chiffres redescendus respectivement à 185  et 77  début avril.
" Danger grave ! Que respirons-nous ? ", interroge une affichette collée sur la porte d'entrée de -l'hôpital. Les services dévastés par le feu et la suie ont été confinés avec les moyens du bord, sans parvenir à stopper les allées et venues, favorisant la propagation des odeurs et des particules. La climatisation a été coupée et les gaines d'aération bouchées pour limiter les dégâts, mais des moisissures, dues à l'intervention des pompiers, ont fait leur apparition et ont contaminé l'air à leur tour.
" On n'a pas mesuré à quel point ce serait compliqué de revenir dans le CHU, notamment en ce qui concerne l'impact de l'incendie sur la qualité de l'air. C'est une situation hors norme, on avance au coup par coup ", concède Pierre Thépot, le directeur de l'établissement.
Une première analyse toxico-logique avait conclu, en janvier, à l'absence de danger. Face aux  inquiétudes croissantes,Valérie -Denux, la toute nouvelle directrice de l'ARSde Guadeloupe, a -demandé une deuxième expertise. " La conclusion est la même : il y a des particules fines de suie, des traces de chlore et des produits de combustion du PVC, mais pas de danger grave et imminent ", assure la médecin militaire, arrivée mi-mars pour gérer la crise. " Pour autant, il n'est pas question de laisser ça pendant des années, il faut nettoyer ", ajoute-t-elle aussitôt.
Des analyses sont en cours pour connaître l'impact du feu sur le bâti, et pour voir si le nettoyage et la décontamination, suspendus, peuvent reprendre en site occupé avec un confinement strict. A l'hôpital, beaucoup regrettent le temps perdu et le manque de transparence jusqu'à la reprise en main de la situation parValérie Denux.
" On ne nous entendait pas. S'il y avait eu une telle catastrophe en métropole, les autorités se  seraient bougées plus vite, et n'auraient jamais accepté une baisse de qualité des soins. Mais on est loin ", regrette Jean-Marc Rosenthal.
Au ministère de la santé, à Paris, on dit " comprendre les inquié-tudes, légitimes ", mais on récuse tout manque de transparence. " C'est une situation exceptionnelle, insiste-t-on. La première phase d'urgence et de sidération est passée. Celle de la reconstruction commence. "
Le CHU de Pointe-à-Pitre, déjà  vétuste avant l'incendie, paye  aussi le prix de plusieurs -décennies d'entretien insuffisant. La crise n'a fait qu'aggraver la situation. Médecins et habitants vont malgré tout devoir s'armer de patience : les travaux ne seront pas terminés avant au moins un an. En attendant, un plan d'action a  été lancé début avril pour réorganiser l'ensemble du système de  soins sur l'île et éviter aux -patients toute " perte de chance " de guérir ou de survivre. Son budget est en cours d'évaluation.
Faustine Vincent
© Le Monde


13 avril 2018

Le risque de surmortalité au cœur des préoccupations

Une analyse doit déterminer si l'augmentation du nombre de morts constatée est due à la désorganisation des soins depuis l'incendie

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Ce n'est pas le moment de tomber malade ou d'avoir un accident. " Depuis l'incendie qui a détruit une partie du centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe, le 28  novembre 2017, la réflexion revient en boucle sur l'île antillaise. L'inquiétude de la population s'est encore aggravée après la diffusion, le 26  mars, d'un reportage d'Europe  1 rapportant " 43  décès supplémentaires en deux mois et demi ", dont dix bébés, soit une " augmentation de 31  % par rapport à la même période l'an dernier ".
Ces chiffres ont été calculés par le syndicat UTS-UGTG du CHUen se fondant sur une copie du registre de la morgue entre le 1er  janvier et le 19  mars. " Le nombre de morts a augmenté à cette période par rapport à l'année précédente. C'est bien qu'il y a un problème de prise en charge des patients et de matériel depuis l'incendie ", affirme Véronique Courtois, secrétaire adjointe du syndicat et membre du collectif de défense du CHU.
Suspicion des habitantsLa question est cruciale, tant la crise qui secoue l'établissement depuis plus de quatre mois a généré la suspicion des habitants. L'agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe met toutefois en garde contre les conclusions hâtives. Sa directrice, Valérie Denux, insiste : " Ce chiffre de 43  morts ne veut rien dire ! Il faut corréler le taux de mortalité avec les causes des décès ; le registre de la morgue ne suffit pas.  Des personnes qui y sont enregistrées peuvent aussi être décédées ailleurs. "
De son côté, la commission médicale d'établissement, qui regroupe les médecins du CHU, s'est émue dans un communiqué de la diffusion " d'informations fausses et non vérifiées ". Scandalisé, -Michel Carlès, chef de service de réanimation et anesthésie, cite le cas d'un patient qu'il a suivi, et dont la fille a témoigné sur la radio nationale. " Selon la famille, il serait mort à cause d'un défaut de moyens chirurgicaux. Or, ce -patient, âgé de 75  ans, a eu tous les examens nécessaires, mais son état était trop grave pour qu'il -bénéficie d'une opération. Les chirurgiens ont donc décidé de ne pas la faire. Voilà comment on transforme une mort attendue en mort suspecte ", s'agace-t-il.
Le chef de service de médecine néonatale, Jean-Marc Rosenthal, a, lui aussi, mené son enquête pour en savoir plus sur la mort des dix bébés. Depuis le 28  novembre 2017, il en a recensé quinze. Pour deux d'entre eux, il affirme qu'il y a effectivement euune " perte de chance " (de guérir ou de survivre) à cause de la crise que traverse -l'hôpital – mais pas pour les autres.
" Le premier bébé a été transporté vers la Martinique parce qu'on ne pouvait pas le prendre en charge, détaille-t-il. Cela a augmenté les risques. L'autre, grand prématuré, est né à la polyclinique - où le CHU a été partiellement délocalisé - alors qu'il aurait dû naître ici en temps normal, comme tous les bébés de moins de 32  semaines. "
Une analyse, commandée par l'ARS, est en cours pour savoir si des décès sont effectivement imputables à la désorganisation du CHU depuis l'incendie, et dans quelle proportion. Selon nos informations, les premiers résultats indiquent qu'aucun décès supplémentaire n'est à déplorer entre la date de l'incendie et la mi-février par rapport à la même période un an plus tôt. Les données concernant les semaines suivantes montrent, en revanche, une augmentation du nombre de morts, mais doivent encore être analysées.
Selon les chiffres fournis au Monde par l'ARS, la morgue a enregistré dix morts de plus en févrierpar rapport à 2017,et vingt de plus rien qu'entre le 1er et le 11  mars. Valérie Denux remarque que " cela correspond à la période où on a vraiment eu des difficultés, en raison de l'absentéisme du personnel soignant et de la perte de confiance de la population ". Des malades préfèrent attendre le dernier moment avant de se présenter à l'hôpital, au risque d'entraîner un retard de diagnostic et d'aggraver leur état. D'autres ne viennent pas, persuadés qu'ils ne pourront pas être pris en charge faute de place. La diminution de l'offre de soins et la délo-calisation partielle de certains services, disséminés sur trois sites en attendant les travaux, sont aussi des facteurs de risque.
Une analyse est en cours -concernant les seize " événements indésirables graves ", correspondant à des dysfonctionnements (panne de climatisation, de matériel, erreur humaine…) relevés depuis la catastrophe, contre neuf à la même époque l'an dernier. " Evidemment, quand un CHU fonctionne mal, il y a des pertes de chances et des conséquences sur la santé ", reconnaît Pierre Thépot, le directeur. Les médecins s'attendent eux aussi à une surmortalité et une morbidité plus importante à l'issue des expertises et dans les prochains mois, notamment en cancérologie à cause d'éventuels retards de diagnostic et du report des opérations moins urgentes.
Dans ce climat de tension, des familles sont tentées par la voie judiciaire. " Très remonté ", Francky  B. envisage de porter plainte après la mort de son père, en mars, à la suite d'une occlusion intestinale. " Il est venu trois fois au CHU en quelques jours, raconte-t-il. La première fois, on lui a dit qu'il n'avait rien, la deuxième, que c'était des gaz. La troisième fois, il est mort. L'hôpital aurait pu le sauver s'il avait eu une échographie dès le début. " Le chef de service des urgences, Serge Ferracci, répond que " l'échographie n'est pas indiquée en cas de syndrome occlusif ", et fait valoir le secret médical concernant d'autres examens qui ont pu être pratiqués sur le patient.
F. V.
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire