Au cœur de l'analyse économique, se trouve désormais le concept de l'efficacité, servant de fondement à toutes les politiques économiques. De simple moyen, il est devenu aujourd'hui une fin.
L'efficacité, mesurée par l'adéquation des moyens aux objectifs, est aussi recherchée par toutes les entreprises produisant dans un environnement concurrentiel. Dans cet environnement, les firmes parvenant à optimiser leurs ressources c'est-à-dire à maximiser leurs profits sous contrainte de coûts tout en recherchant à satisfaire les besoins de leurs clients, peuvent se développer, conquérir de nouveaux marchés ou encore se différencier des concurrents et donc créer des emplois. Alors que celles qui n'y parviennent pas, à défaut d'efficacité, sont éliminées par la concurrence. Telle est la loi du marché, celle du plus fort, à partir de laquelle se sont tissées les relations économiques entre les acteurs économiques et entre les pays.
La libre concurrence entre les entreprises privées permet, en théorie, de concilier les intérêts divergents des producteurs et des consommateurs grâce aux prix fixés librement en fonction de la loi de l'offre et de la demande. Elle garantit ce que les économistes appellent " l'allocation optimale des ressources ".
En effet, la concurrence contribue à stimuler l'esprit d'entreprise. Elle encourage aussi l'innovation et incite les entreprises à améliorer leur compétitivité prix ou hors prix. De plus, elle garantit la diversité des produits en offrant toujours plus de choix aux consommateurs.
Cette compétition entre les entreprises favorise la baisse des prix et améliore la qualité des produits. Elle profite ainsi, à la fois aux entreprises les plus compétitives et aux consommateurs dont les besoins sont satisfaits soit par les prix, soit par la qualité. Grâce à elle, le bien-être de chacun permet le bien-être de tous.
L'idée que la concurrence est un gage d'efficacité est au cœur de notre système économique. Elle demeure si puissante dans les discours politiques, qu'elle s'introduit désormais progressivement dans la gestion des services publics pour justifier la réduction des budgets, afin d'optimiser les ressources fiscales. Elle s'introduit aussi dans la gestion des entreprises publiques pour les contraindre à s'ouvrir à la concurrence afin d'améliorer leur rentabilité, comme le préconise, par exemple, le projet de réforme de la SNCF porté par le gouvernement.
Cependant, à côté de ses vertus incontestables, la concurrence, en institutionnalisant le " chacun pour soi ", ne conduit pas toujours à une harmonie optimale, comme l'a si bien démontré l'économiste américain John Forbes Nash en 1951 à travers la théorie des jeux, selon laquelle la coopération se révélerait plus efficace que la concurrence, et illustrée par le célèbre " dilemme du prisonnier ". Dans celui-ci, imaginé par le mathématicien Albert W. Tucker, deux suspects d'un meurtre pensent maximiser leur intérêt individuel en dénonçant l'autre, alors qu'ils obtiendraient une peine plus légère en s'abstenant de le dénoncer.
Ce dilemme nous montre que dans bien dans des cas, il est essentiel de coopérer pour maximiser le bien-être de tous plutôt que de rechercher la maximisation du bien-être individuel. Si chacun anticipe que les autres vont être égoïstes, et si les autres pensent de même, alors nous serons tous perdants. C'est l'exemple, parmi tant d'autres, de la surpêche ou de la surproduction laitière en 2016, provoquant une baisse des cours consécutivement à la levée des quotas. La maximisation du bien-être individuel permise par cette suppression d'une limitation a en fait conduit à l'appauvrissement de tous.
Prisonnier de la compétitivitéCette situation de non-coopération est le résultat d'un individualisme forgé dans notre économie par la compétition. Celle-ci, recherchée par les entreprises qui se livrent une concurrence, les oblige à réduire leurs coûts et plus particulièrement celui du travail, pour être compétitives. Cette recherche accrue de la compétitivité à travers la réduction du coût du travail, tend à opposer les intérêts de ceux qui achètent aux intérêts de ceux qui produisent, oubliant au passage que ceux qui produisent et qui achètent sont les mêmes agents économiques dénommés autrement.
Cette course effrénée à la compétitivité des prix précarisant le travail contraint les ménages à consommer moins cher, obligeant ainsi les entreprises à leur tour, à produire encore moins cher en comprimant davantage leurs coûts salariaux pour maintenir leur marge et trouver des débouchés. Elle enclenche ce cercle vicieux où plus de compétitivité entraîne moins de débouchés pour les entreprises faute de salaire suffisant. Elle appauvrit ainsi à la fois les entreprises et les ménages. C'est le dilemme du prisonnier de la compétitivité.
En revanche, avec une hausse coordonnée des salaires, décidée par l'ensemble des entreprises et des Etats de la zone euro, toutes les parties prenantes de l'activité économique seraient gagnantes en évitant le nivellement par le bas. La coopération serait donc beaucoup plus efficace que la compétition.
Il en est de même pour le dérèglement climatique. Face à la menace qui se précise davantage et aux signes qui se multiplient, nous avons tous collectivement intérêt à endiguer le dérèglement en cours. Mais nous avons tous également intérêt, en vue de maximiser notre bien-être individuel à court terme, à poursuivre nos habitudes de consommation et nos modes de production. C'est ainsi que chacun – Etats, entreprises et particuliers – retarde les mesures préventives et compromet l'avenir de la génération future par son individualisme.
Il en est ainsi également pour la gestion des services publics. Nous avons tous collectivement intérêt à développer nos hôpitaux, nos écoles, nos armées, notre recherche, nos lignes de chemin de fer, pour être bien soignés, bien éduqués, bien protégés, bien transportés. Et en même temps, nous voulons tous payer moins d'impôts en vue de maximiser notre bien-être individuel. C'est pourquoi l'Etat gestionnaire s'est substitué progressivement à l'Etat providence, fonctionnant selon les règles de la concurrence. Or, cette substitution limite son effet redistributif et amoindrit son efficacité pour réduire les inégalités.
La coopération permet une allocation optimale des ressources profitant à tous. Telle est la loi de l'entraide, l'autre loi du plus fort. Loi à partir de laquelle pourraient se tisser de nouvelles relations économiques entre les Etats et entre les agents économiques pour relever les défis économiques de demain.
Gérard Fonouni
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