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dimanche 1 avril 2018

De la concurrence à la coopération.....Le mythe du ruissellement de la richesse.............


1er avril 2018

De la concurrence à la coopération

La théorie économique dominante lie efficacité et compétition. Mais des modèles alternatifs indiquent que la coordination peut aussi se révéler efficace, observe l'économiste Gérard Fonouni

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LE CONTEXTE
Ouverture de la SNCF à la concurrence, assouplissement du marché du travail, allégement de la fiscalité des hauts revenus, promotion de l'innovation… La " remise en marche " tous azimuts qu'Emmanuel Macron et son gouvernement mènent au pas de charge se fait au nom de l'efficacité, de la rationalisation et de l'épanouissement de l'initiative individuelle et entrepreneuriale. Elle reprend de ce fait le cadre conceptuel et les prémisses d'une théorie et de modèles bien précis de la pensée économique, ceux de l'efficience des marchés et des anticipations rationnelles des agents. Mais, pour certains économistes, les nouveaux défis posés par le creusement des inégalités et les limites écologiques de notre mode de production nécessitent de changer le cadre intellectuel des prises de décisions politiques.
Au cœur de l'analyse économique, se trouve désormais le concept de l'efficacité, servant de fondement à toutes les politiques économiques. De simple moyen, il est devenu aujourd'hui une fin.
L'efficacité, mesurée par l'adéquation des moyens aux objectifs, est aussi recherchée par toutes les entreprises produisant dans un environnement concurrentiel. Dans cet environnement, les firmes parvenant à optimiser leurs ressources c'est-à-dire à maximiser leurs profits sous contrainte de coûts tout en recherchant à satisfaire les besoins de leurs clients, peuvent se développer, conquérir de nouveaux marchés ou encore se différencier des concurrents et donc créer des emplois. Alors que celles qui n'y parviennent pas, à défaut d'efficacité, sont éliminées par la concurrence. Telle est la loi du marché, celle du plus fort, à partir de laquelle se sont tissées les relations économiques entre les acteurs économiques et entre les pays.
La libre concurrence entre les entreprises privées permet, en théorie, de concilier les intérêts divergents des producteurs et des consommateurs grâce aux prix fixés librement en fonction de la loi de l'offre et de la demande. Elle garantit ce que les économistes appellent " l'allocation optimale des ressources ".
En effet, la concurrence contribue à stimuler l'esprit d'entreprise. Elle encourage aussi l'innovation et incite les entreprises à améliorer leur compétitivité prix ou hors prix. De plus, elle garantit la diversité des produits en offrant toujours plus de choix aux consommateurs.
Cette compétition entre les entreprises favorise la baisse des prix et améliore la qualité des produits. Elle profite ainsi, à la fois aux entreprises les plus compétitives et aux consommateurs dont les besoins sont satisfaits soit par les prix, soit par la qualité. Grâce à elle, le bien-être de chacun permet le bien-être de tous.
L'idée que la concurrence est un gage d'efficacité est au cœur de notre système économique. Elle demeure si puissante dans les discours politiques, qu'elle s'introduit désormais progressivement dans la gestion des services publics pour justifier la réduction des budgets, afin d'optimiser les ressources fiscales. Elle s'introduit aussi dans la gestion des entreprises publiques pour les contraindre à s'ouvrir à la concurrence afin d'améliorer leur rentabilité, comme le préconise, par exemple, le projet de réforme de la SNCF porté par le gouvernement.
Cependant, à côté de ses vertus incontestables, la concurrence, en institutionnalisant le " chacun pour soi ", ne conduit pas toujours à une harmonie optimale, comme l'a si bien démontré l'économiste américain John Forbes Nash en  1951 à travers la théorie des jeux, selon laquelle la coopération se révélerait plus efficace que la concurrence, et illustrée par le célèbre " dilemme du prisonnier ". Dans celui-ci, imaginé par le mathématicien Albert W. Tucker, deux suspects d'un meurtre pensent maximiser leur intérêt individuel en dénonçant l'autre, alors qu'ils obtiendraient une peine plus légère en s'abstenant de le dénoncer.
Ce dilemme nous montre que dans bien dans des cas, il est essentiel de coopérer pour maximiser le bien-être de tous plutôt que de rechercher la maximisation du bien-être individuel. Si chacun anticipe que les autres vont être égoïstes, et si les autres pensent de même, alors nous serons tous perdants. C'est l'exemple, parmi tant d'autres, de la surpêche ou de la surproduction laitière en  2016, provoquant une baisse des cours consécutivement à la levée des quotas. La maximisation du bien-être individuel permise par cette suppression d'une limitation a en fait conduit à l'appauvrissement de tous.
Prisonnier de la compétitivitéCette situation de non-coopération est le résultat d'un individualisme forgé dans notre économie par la compétition. Celle-ci, recherchée par les entreprises qui se livrent une concurrence, les oblige à réduire leurs coûts et plus particulièrement celui du travail, pour être compétitives. Cette recherche accrue de la compétitivité à travers la réduction du coût du travail, tend à opposer les intérêts de ceux qui achètent aux intérêts de ceux qui produisent, oubliant au passage que ceux qui produisent et qui achètent sont les mêmes agents économiques dénommés autrement.
Cette course effrénée à la compétitivité des prix précarisant le travail contraint les ménages à consommer moins cher, obligeant ainsi les entreprises à leur tour, à produire encore moins cher en comprimant davantage leurs coûts salariaux pour maintenir leur marge et trouver des débouchés. Elle enclenche ce cercle vicieux où plus de compétitivité entraîne moins de débouchés pour les entreprises faute de salaire suffisant. Elle appauvrit ainsi à la fois les entreprises et les ménages. C'est le dilemme du prisonnier de la compétitivité.
En revanche, avec une hausse coordonnée des salaires, décidée par l'ensemble des entreprises et des Etats de la zone euro, toutes les parties prenantes de l'activité économique seraient gagnantes en évitant le nivellement par le bas. La coopération serait donc beaucoup plus efficace que la compétition.
Il en est de même pour le dérèglement climatique. Face à la menace qui se précise davantage et aux signes qui se multiplient, nous avons tous collectivement intérêt à endiguer le dérèglement en cours. Mais nous avons tous également intérêt, en vue de maximiser notre bien-être individuel à court terme, à poursuivre nos habitudes de consommation et nos modes de production. C'est ainsi que chacun – Etats, entreprises et particuliers – retarde les mesures préventives et compromet l'avenir de la génération future par son individualisme.
Il en est ainsi également pour la gestion des services publics. Nous avons tous collectivement intérêt à développer nos hôpitaux, nos écoles, nos armées, notre recherche, nos lignes de chemin de fer, pour être bien soignés, bien éduqués, bien protégés, bien transportés. Et en même temps, nous voulons tous payer moins d'impôts en vue de maximiser notre bien-être individuel. C'est pourquoi l'Etat gestionnaire s'est substitué progressivement à l'Etat providence, fonctionnant selon les règles de la concurrence. Or, cette substitution limite son effet redistributif et amoindrit son efficacité pour réduire les inégalités.
La coopération permet une allocation optimale des ressources profitant à tous. Telle est la loi de l'entraide, l'autre loi du plus fort. Loi à partir de laquelle pourraient se tisser de nouvelles relations économiques entre les Etats et entre les agents économiques pour relever les défis économiques de demain.
Gérard Fonouni
© Le Monde



1er avril 2018

Le mythe du ruissellement de la richesse

Le cercle vertueux épargne-investissement-innovation-création de valeur vanté par les économistes n'est pas vérifié s'il s'accompagne du creusement des inégalités et de rentes renforcées, constate Jean-Luc Gaffard, professeur d'économie

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LaFable des abeilles, de Bernard Mandeville (1670-1733), est le plaidoyer le plus connu en faveur du ruissellement : elle entend nous convaincre que la consommation des riches, fût-elle ostentatoire, assure aux pauvres emplois et revenus. John M. Keynes, dans sa Théorie générale de l'emploi de l'intérêt et de la monnaie, s'en empare pour dénoncer les méfaits d'une épargne qui ne serait pas investie.
L'autre plaidoyer en faveur du ruissellement encense justement l'épargne, une épargne d'autant plus élevée que la répartition est inégalitaire, en invoquant le fait qu'en étant investie elle permet de développer l'entrepreneuriat. Les inégalités apparaissent ainsi comme le moteur de l'innovation et d'une croissance finalement bénéfique à tous. Dans cette perspective, les nouveaux biens voient le jour parce qu'ils sont demandés par les plus riches, lesquels sont disposés à payer des prix très élevés autorisant les entreprises à avoir des taux de marge élevés leur permettant de financer des dépenses de recherche et développement (R&D) très coûteuses. Ces mêmes biens se diffusent pour devenir des biens accessibles au plus grand nombre à mesure que les prix proposés diminuent une fois absorbés les coûts de R&D. Ainsi s'accomplirait le ruissellement.
Ce scénario favorable à la croissance, au demeurant tout à fait classique en termes d'incitations à innover, est cependant subordonné à une hypothèse fragile sur la nature des préférences exprimées par les plus riches quand à l'orientation de leur épargne et du type de dépenses qu'ils privilégient. Non seulement l'épargne alimenterait le financement d'investissements productifs, mais les biens du haut de la hiérarchie des besoins seraient des biens nouveaux appelant des dépenses de R&D plutôt que des biens aux caractéristiques ostentatoires, véritables marqueurs de l'existence de ce que l'économiste et sociologue américain Thorstein Veblen (1857-1929) dénommait " la classe de loisir ".
Réduction de la part des salairesSi tel n'est pas le cas, c'est un autre scénario qui l'emporte. Un accroissement des inégalités induit un accroissement du nombre de biens demandés au détriment de l'accroissement du volume de la demande de chaque bien, interdisant ainsi aux technologies de bénéficier de rendements croissants. La production artisanale des nouveaux biens prend le pas sur une production industrielle. La plus forte disposition à payer des plus riches fait que les nouveaux secteurs, qui produisent au sens propre des biens de luxe, enregistrent des hausses de prix plus que de quantités au détriment des gains de productivité, de l'emploi et de la croissance. Sans compter évidemment que l'excès d'épargne conduit à des achats d'actifs financiers alimentant une spéculation génératrice de bulles. A l'autre bout du spectre, les plus pauvres occupent des emplois précaires à faible qualification et consomment des biens à bas coûts produits dans les pays émergents. La croissance, si elle est au rendez-vous, n'est pas accompagnée de forts gains de productivité et ses fruits sont très inégalement partagés, comme on l'observe aux Etats-Unis. Il devient difficile de parler de ruissellement.
Certes, si le creusement des inégalités est le reflet d'un développement d'une activité industrielle porteuse de gains de productivité, il devient possible de parler de ruissellement… à condition que cette activité trouve un débouché extérieur, précisément là où existe une classe moyenne importante. Cette histoire est celle vécue par la Chine. En revanche, une société dans laquelle il existe une importante classe moyenne aux goûts homogènes réunit les conditions d'une création soutenue de richesses parce que la quasi-totalité de la demande s'adresse à des biens et services qui peuvent être produits dans des conditions garantissant des gains de productivité élevés.
Un dernier plaidoyer en faveur du ruissellement met en avant les effets de la libéralisation des échanges, qui conduirait à sélectionner les firmes les plus performantes, parfois qualifiées de firmes " superstars ". La réallocation des parts de marché qui s'ensuit est censée accroître la productivité globale et déboucher sur des gains de bien-être. Cette proposition néglige le fait que cette même réallocation des parts de marché au bénéfice des firmes plus productives est largement corrélée avec la chute de la part du travail dans le revenu global. La concentration accrue, qui résulte de la concurrence entre firmes hétérogènes et de l'accroissement des coûts d'entrée sur les marchés, fait que les firmes victorieuses ont des taux de marge plus élevés, réduisant la part des salaires. Cela tient notamment au fait que ces firmes externalisent de larges pans d'activité, contribuant à un dualisme accru du marché du travail. Il ne peut y avoir, là non plus, de ruissellement.
Mon propos n'est pas ici de dénoncer ceux qui, par l'entrepreneuriat et l'innovation, assurent l'abondance dans la société, mais de reconnaître que la redistribution aide à la création de richesses, ou encore que le détournement de ces richesses que l'on reproche tant aux bénéficiaires de la dépense publique est surtout le fait des individus les plus riches devenus des rentiers, ou des firmes dont les pouvoirs de marché se sont accrus.
Jean-Luc Gaffard

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