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dimanche 8 avril 2018

Au Brésil, la justice ordonne l'incarcération de Lula


7 avril 2018

Au Brésil, la justice ordonne l'incarcération de Lula

L'ancien chef de l'Etat condamné pour corruption dénonce l'empressement des juges à l'emprisonner

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Fidèle à sa réputation de " shérif " anticorruption, le juge Sergio Moro n'a pas attendu pour dégainer. Peu après 18  heures, jeudi 5  avril, soit moins de 24  heures après que la Cour suprême eut refusé l'habeas corpus – le droit de ne pas être emprisonné tant que tous les recours judiciaires ne sont pas épuisés – demandé par Luiz Inacio Lula da Silva, le magistrat en charge de l'opération " Lava Jato " (lavage express) réclamait l'exécution immédiate de la peine de l'ancien président brésilien, condamné en janvier à douze ans et un mois de prison.
L'ancien syndicaliste, figure iconique de la gauche, devait avoir jusqu'à vendredi  17  heures, heure de Brasilia, pour se livrer à la police. Eu égard au respect de sa fonction passée, le juge Moro précise dans son mandat avoir interdit l'usage de menottes et lui avoir réservé une salle éloignée des autres détenus, " sans risque pour son intégrité physique et morale ".
Entre rage et passionAbasourdi par l'empressement du juge, l'ancien métallo, d'abord résolu à se livrer aux forces de l'ordre, se serait laissé convaincre de mener une " résistance pacifique ". Une décision " insensée ", a-t-il confié à un journaliste brésilien, qui ne viserait, selon lui, qu'à accomplir le " rêve " du juge Moro.
Aux avocats de l'ex-président qui pensaient pouvoir bénéficier d'un ultime sursis lié à l'examen d'un recours dit d'" embargo de déclaration " (une demande d'éclaircissement), Sergio Moro a offert un démenti cinglant. " Il n'existe plus de recours avec effet suspensif de la condamnation en deuxième instance ", écrit-il.
Dans un Brésil déchiré entre la rage et la passion, écartelé entre la haine envers le " bandit " et l'adoration pour le " père des pauvres ", la mise à exécution du droit ne va pas de soi. L'ex-chef de l'Etat, immodeste, affirmait lors d'un meeting fin 2017 : " Lula n'est pas Lula. Lula est une idée. " Or, pour ses fidèles, une idée ne va pas en prison. " Lula est légaliste, ses militants peut-être moins ", souffle un proche du Parti des travailleurs (PT, gauche) de Lula, redoutant que les esprits ne s'échauffent.
Dès 19  heures, à Sao Bernardo do Campo, ville industrielle de la périphérie de Sao Paulo, la résistance s'organisait. Une foule avançait vers le syndicat des métallurgistes, où Lula était reclus. Ce lieu, berceau du PT et de la lutte ouvrière, où a démarré la carrière politique de Lula sous la dictature militaire (1964-1985), devait se transformer en bunker.
Déterminés à protéger leur héros d'une  justice qu'ils estiment " arbitraire ", les sympathisants de gauche entendaient camper devant le bâtiment jusqu'à expiration du délai imposé par le juge Moro. L'enjeu est d'obliger la police fédérale à pénétrer de force dans le local pour y cueillir Lula.
" Tous à Sao Bernardo ! (…) La maison de Lula, lieu de résistance ", enjoignait Gleisi Hoffmann, présidente du PT, fustigeant la " haine ", la " rancœur " et " l'obsession " du juge Moro envers Lula. " Il y aura une mobilisation et une résistance pour la démocratie ", affirmait aussi Guilherme Boulos, figure montante de la politique et précandidat à l'élection présidentielle d'octobre pour le Parti socialisme et liberté (PSOL, gauche).
Au sein de la classe politique, rares étaient ceux à applaudir la chute précipitée de Lula." On ne peut célébrer la prison d'un ex-président ", commentait notamment Rodrigo Maia, président de la Chambre des députés, reflétant l'état d'esprit d'une grande partie des parlementaires. Au-delà d'une réelle empathie envers l'ancien chef d'Etat, Brasilia tremble, redoutant de subir, tôt ou tard, le même sort que lui.
Selon le décompte du site de suivi de l'actualité parlementaire Congresso em foco, 40  % des députés et sénateurs sont en délicatesse avec la justice. " Aucun politicien, sympathisant ou non de Lula, ne pensait que “Lava Jato” irait si loin. L'ambiance est à la panique et à la perplexité ", observe Sylvio Costa, fondateur du site. L'investigation judiciaire, historique, a mis au jour les pratiques crapuleuses liées au financement de campagnes électorales, jetant le discrédit sur les grands partis de gauche et de droite. Lula n'a pas échappé aux accusations. Mais, profitant de son aura, il restait le favori des sondages pour la présidentielle, avec plus de 35  % d'intentions de vote.
Sa sortie de piste laisse un vide, plongeant le pays dans l'incertitude. " Contrairement à l'image qu'il donne parfois, Lula était un élément pacificateur de la scène politique ",dit Mathias Alencastro, éditorialiste à Folha de Sao Paulo.
Déboussolée, une partie des électeurs pourrait se détourner définitivement de la politique. Une autre pense avoir déjà trouvé " le sauveur de la patrie ", à même de remettre de l'ordre dans une démocratie à la dérive, en la personne de Jair Bolsonaro. Le candidat d'extrême droite, militaire de réserve, défenseur du port d'arme et de la peine de mort, a été accueilli jeudi soir à l'aéroport régional de Caxias do Sul, dans l'Etat du Rio Grande do Sul, par les hourras de la foule.
Claire Gatinois
© Le Monde

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