Translate

mercredi 6 décembre 2017

Smic : vers l'abandon de l'indexation ? - " C'est une question sociale et non une question technique "

6 décembre 2017.

Smic : vers l'abandon de l'indexation ?

Un rapport d'experts préconise de mettre fin au système automatique de revalorisation

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Il faut revoir en profondeur les règles de revalorisation du smic, dont le caractère automatique tend à pénaliser l'emploi des personnes les plus fragiles. C'est la proposition choc contenue dans le rapport qu'un groupe d'experts indépendants vient de transmettre, comme tous les ans, aux partenaires sociaux membres de la commission nationale de la négociation collective (CNNC).
Ce document, dont Le Monde a pris connaissance, vise à éclairer les organisations de salariés et d'employeurs appelées à donner leur avis au gouvernement qui fixera ensuite le niveau du salaire minimum. Le groupe d'experts, dont la composition a été profondément renouvelée durant l'été et qui est désormais présidé par l'économiste Gilbert Cette, relance ainsi un débat récurrent depuis des années. Toute la question, maintenant, est de savoir si le pouvoir exécutif va reprendre à son compte cette préconisation, propre à soulever l'hostilité d'une partie de la gauche et de plusieurs centrales syndicales.
Effets perversChaque année, le smic est augmenté, automatiquement, en tenant compte de deux données : la progression, sur douze mois, de l'indice des prix (hors tabac) pour les 20  % de ménages les plus modestes et la moitié de l'évolution annuelle du pouvoir d'achat du salaire horaire de base ouvrier et employé (SHBŒ). Le gouvernement peut, éventuellement, y ajouter un " coup de pouce ". Depuis sa création, en  2008, le groupe d'experts s'était, le plus souvent, borné à dire s'il convenait d'accorder ou pas un tel " bonus " – et sur la période récente, sa réponse était " non ", généralement. Cette fois-ci, il est allé beaucoup plus loin en ouvrant la " réflexion à des pistes de réformes possibles ". Deux préoccupations l'ont guidé : " réduire le chômage " et " lutter efficacement contre la pauvreté ".
Pour lui, changer le mécanisme de revalorisation du salaire minimum " apparaît nécessaire ". Car la France est dans une situation " sans équivalent " si on la compare à d'autres économies développées : elle est la seule, avec " la Belgique, le Luxembourg et la Slovénie ", à appliquer une règle d'indexation automatique, parmi les 27  pays de l'OCDE (sur  35) qui ont un salaire minimum ; et le fait d'utiliser " simultanément " deux paramètres (l'inflation et la moitié du pouvoir d'achat du SHBŒ) est unique au monde.
Une telle procédure engendre des effets pervers, selon le comité d'experts, parce qu'elle nourrit une " forte circularité entre les hausses du smic et celles des salaires ". Dans les accords de branche sur les rémunérations, " le taux de revalorisation moyen des salaires minima est étroitement lié au taux de revalorisation du smic ", constate le rapport.
En outre, le salaire minimum dans l'Hexagone s'avère plus élevé que dans la plupart des Etats membres de l'OCDE : en montants bruts, il représente près de la moitié du salaire moyen (contre 25  %, par exemple, aux Etats-Unis, ou un peu plus de 40  % en Allemagne) ; seuls trois pays affichent des ratios plus élevés (Nouvelle-Zélande, Costa-Rica, Colombie).
Or, " les études portant spécifiquement sur le coût du travail pour les salaires proches du smic en France ont conclu à l'existence d'effets négatifs sur l'emploi ", souligne le groupe d'experts, qui ajoute : " Les relèvements du - salaire minimum - peuvent ainsi avoir un effet préjudiciable " sur l'activité des " personnes les moins qualifiées ", et donc sur " la pauvreté " de celles-ci.
Choix politiquesDu coup, les gouvernements " de toute appartenance politique " s'attachent, depuis près de vingt-cinq ans, à abaisser le coût du travail au niveau des bas salaires, à travers des mesures ciblées (exonérations de charges patronales, crédit d'impôt pour l'emploi et la compétitivité). Grâce à elles, la France, au sein de l'OCDE, se situe dans la moyenne, s'agissant du " coût du travail au niveau du - smic - , rapporté à celui du salaire médian ". Revers de la médaille : de telles aides aux employeurs absorbent des milliards d'euros et sont " coûteuses pour les finances publiques ".
Ces choix politiques se révèlent discutables, d'autant plus que la revalorisation du smic a des retombées limitées sur le sort des  plus modestes, enchaîne le groupe d'experts. Ainsi, une étude montre qu'un accroissement de 1  % du salaire minimum produit " un effet faible, voire nul, sur le revenu disponible des ménages " – l'augmentation de la rémunération étant, en tout ou partie, contrebalancée par une diminution des prestations et  une légère hausse de la taxe -d'habitation.
Pour combattre la pauvreté, insiste le rapport, il est plus efficace de majorer la prime d'activité – issue de la fusion de la prime pour emploi (accordée aux salariés chichement rétribués) et du RSA-activité (un complément de ressources pour les travailleurs pauvres).
Sur la base de toutes ces considérations, le groupe d'experts recommande " de modifier la formule de revalorisation du smic ". Deux options sont envisagées. La première consisterait à ne tenir compte que de l'inflation – et donc à éliminer toute référence au SHBŒ. La seconde, nettement plus radicale, se traduirait par la suppression de " toute règle d'indexation obligatoire ". Elle a certes comme " inconvénient de ne plus garantir le pouvoir d'achat " du salaire minimum, mais on peut cependant très bien imaginer que l'exécutif prenne l'engagement de préserver celui-ci, sur trois à cinq ans, mentionne le rapport.
Si cette solution était retenue, la France se convertirait à un régime " à peu près semblable à celui en vigueur dans la très grande majorité des pays où existe un salaire minimum national et où le gouvernement porte la totale responsabilité de sa revalorisation ". Une observation qui peut laisser supposer que le groupe d'experts penche plutôt en faveur de ce scénario.
Sarah Belouezzane, et Bertrand Bissuel
© Le Monde




6 décembre 2017

" C'est une question sociale et non une question technique "

Les syndicats sont pour la plupart opposés à une réforme du mécanisme de revalorisation. Le gouvernement ne se prononce pas

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Le gouvernement va-t-il réformer, voire abolir, le mécanisme de revalorisation du salaire minimum de croissance (smic), comme l'y invite le groupe d'experts sur le salaire minimum ? Impossible à dire, à ce stade : sollicités par Le Monde, ni l'Elysée, ni Matignon, ni le cabinet de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, n'ont exprimé, mardi 5  décembre, en milieu de matinée, d'intentions sur le sort qu'ils entendent réserver à ces propositions choc.
Parmi les syndicats, les commentaires sont, la plupart du temps, négatifs. La CFDT se dit " assez critique ", même si elle n'est pas opposée à une réforme. " Nous avons une vraie crainte : ça risque de faire décrocher le smic par rapport aux autres niveaux de salaire, explique Inès Minin, membre du bureau national. Pour nous, le smic est justement un outil qui doit permettre d'éviter un trop grand écart de salaire. " Pour son syndicat, il faut donc " le maintenir tel qu'il est et surtout ne pas le descendre en dessous de 60  % du salaire médian " : " Descendre en dessous, c'est mettre en difficulté des gens dans leur vie et dans leur pouvoir d'achat. "
Secrétaire confédérale chargée de la négociation collective à Force ouvrière (FO), Marie-Alice Medeuf-Andrieu ne décolère pas à la lecture de ce rapport qu'elle juge " explosif ". Pour son organisation, il est tout simplement " inacceptable ", vu ses " conclusions libérales "" Il s'agirait d'un recul seulement pour donner des gages au Medef ! C'est une revendication patronale depuis des années ", s'exclame-t-elle, en rappelant que " les salariés qui ne s'en sortent pas sont ceux qui sont au smic "" On ne peut qu'inviter le gouvernement à ne pas suivre les conclusions de ce rapport ", exhorte-t-elle.
Même réaction du côté de la CGT, qui trouverait " inacceptable " un changement du mécanisme automatique de revalorisation. " Il s'agirait d'en faire une variable d'ajustement pour tirer les salaires vers le bas ", dénonce Fabrice Angei, membre du bureau confédéral. Pour lui, " le smic est une question sociale et éminemment politique, et non une question technique portée par un groupe d'experts qui doivent servir d'habillage politique ".
" Dimension humaine "" C'est toujours plus pour les actionnaires et toujours moins pour les salariés ", s'indigne François Hommeril, président de la CFE-CGC. A ses yeux, la préconisation du groupe d'experts s'inscrit dans une volonté de " modération salariale ", déjà affirmée à l'échelon de l'Union européenne par le biais du pacte Euro Plus de 2011 sur la coordination des politiques économiques. " Tout cela fait basculer un peu plus l'économie dans le non-sens, estime M.  Hommeril. Nous estimons nécessaire de maintenir un système d'indexation afin que le travail reste un moyen d'intégration sociale pour les personnes les moins qualifiées. "
" Nous avons toujours été réservés sur ce groupe d'experts, qui est un peu monocolore, avec des économistes défendant des idées dans la même veine, enchaîne Philippe Louis, le patron de la CFTC. Nous avions d'ailleurs demandé que sa composition évolue. " D'après lui, le rapport laisse " complètement de côté la dimension humaine " de ces questions. Et d'ajouter : " Ça paraît surréaliste, alors même que les revenus se précarisent de plus en plus, avec un nombre important de personnes dont le salaire est inférieur au smic. Tout le problème est de savoir comment faire pour que les gens vivent dignement de leur travail. "
Du côté des organisations patronales, les réactions oscillent entre la prudence et la bienveillance. Au Medef, on indique ne pas avoir de " position établie à ce stade " sur ce dossier. L'organisation présidée par Pierre Gattaz trouve, cependant, qu'il y a là un " vrai sujet à regarder ", tout en étant consciente " des conséquences sociales que ça pourrait avoir pour les personnes concernées ".
" Ces histoires de revalorisation automatiques posent question, nous n'avons pas un système pareil sur le reste des salaires ", indique une source à l'organisation patronale. Et de poursuivre : " On a cependant bien conscience que socialement, c'est compliqué : il est objectivement difficile de vivre avec le smic. C'est le genre de débats importants mais sur lequel il faut discuter mais surtout pas se précipiter. "
Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin affirme son attachement à un dispositif " interprofessionnel " qui garantit un revenu minimum à l'ensemble des salariés. Mais " il faut arrêter de jouer avec le smic ", notamment à travers la pratique des " coups de pouce " qui ont pu être donnés dans le passé, car " cela peut détruire de l'emploi ", en particulier dans les secteurs exposés à la concurrence étrangère.
Pour M.  Asselin, l'idée de " lisser les hausses " sur plusieurs années, quitte à geler, sur certains exercices, le smic, doit être envisagée, d'autant que cet effort peut être compensé, pour les salariés les plus modestes, par l'octroi de la prime d'activité.
Raphaëlle Besse Desmoulières, S.B. et B.Bi.
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire