L'avenir d'HEC peut-il se comparer à celui du PSG ? " Le Qatar a déjà acheté le PSG, et maintenant, en Chine, nous rencontrons des entreprises qui se disent intéressées par le rachat de nos écoles, d'HEC, de l'Essec, de l'ESCP Europe… ", a lancé le président de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) d'Ile-de-France, Didier Kling, lors d'une conférence de presse, le 14 décembre. Il s'agissait de jeter un pavé dans la mare, afin de dénoncer la baisse des transferts financiers de l'Etat aux chambres de commerce. Et même si cette vente est aujourd'hui statutairement impossible, M. Kling va jusqu'à évoquer les possibilités offertes par l'" ingénierie financière " pour contourner cette barrière…
La CCI évoque également une nouvelle hausse des frais d'inscription pour les élèves des écoles consulaires. En effet, la réforme de l'apprentissage, en cours de concertation, pourrait affecter les recettes des grandes écoles. Tactiques de négociation, ces déclarations traduisent un désarroi, à la mesure du changement de modèle auquel sont confrontées les grandes écoles de commerce françaises.
Diplômes payantsDepuis qu'elles se sont lancées dans la compétition mondiale avec les meilleures " business schools " de la planète, leurs coûts explosent. Alors que l'argent public se réduit plus vite qu'attendu, ces établissements font face à des mutations stratégiques accélérées. Pour exister dans le grand jeu de la concurrence mondiale, elles ont recruté des enseignants-chercheurs qui publient dans les revues académiques les plus prestigieuses. Plus les professeurs affiliés à une école publient, plus celle-ci est poussée vers le haut des classements, qui font de la -recherche un critère d'excellence. Et plus il leur est facile -d'obtenir les accréditations -internationales fournies par des " agences de notation " – comme l'AACSB, Equis, AMBA –, qui certifient la qualité des formations.
Une sorte de bulle financière s'est créée sur ce marché, qui risque de faire du programme dispensé aux étudiants un parent pauvre, car les retombées de cette recherche ne sont pas toujours utiles à l'enseignement. Ni même toujours " valorisables " auprès des entreprises. De plus, les écoles ont des besoins importants d'investissements afin d'ouvrir des campus à l'étranger, de transformer leur pédagogie en introduisant les nouvelles technologies, de développer l'entrepreneuriat…
Au faîte des classements internationaux, les " trois parisiennes " que sont HEC, l'Essec et ESCP Europe ne sont pas les moins bien armées dans la compétition mondiale. Mais leurs ressources n'atteignent pas celles de leurs concurrentes directes. Ainsi, le directeur général d'HEC, Peter Todd, assurait récemment tabler sur un budget de 160 millions d'euros en 2018-2019, en hausse de 15 millions sur l'exercice en cours. Il le comparait cependant avec les 450 millions d'euros dont dispose la business school américaine Yale avec qui l'école de Jouy-en-Josas (Yvelines) vient d'annoncer un accord de double diplôme. Or la concurrence est en train de s'intensifier doublement :
" D'une part, des acteurs du numérique comme OpenClassrooms vont proposer des parcours de formation diplômants construits avec les offres de différentes business schools. D'autre part, la Chine dispose désormais de nombreuses business schools accréditées Equis, qui vont devenir concurrentes de nos offres ", s'inquiète Jean-François Fiorina, directeur adjoint de Grenoble Ecole de management.
D'où l'appel lancé à l'Etat par les CCI, qui détiennent ou soutiennent encore bon nombre d'écoles de commerce. Or l'Etat, qui finance déjà les classes prépara-toires et peine à faire face au boom démographique qu'affronte l'université, n'est pas en mesure de voler à leurs secours. Et chaque nouveau signe de désengagement fait l'effet d'un chiffon rouge – notamment la réforme de la taxe d'apprentissage, qui pourrait supprimer le " hors quota ", la part attribuée librement par les entreprises aux établissements d'enseignement de leur choix.
" Les subventions publiques ne cessent de baisser depuis des années, alors ne touchons pas à la taxe dans le supérieur ! ", prévient ainsi Alice Guilhon, directrice générale de Skema (issue, en 2009, de la fusion des écoles de Lille et de Sophia Antipolis), pour qui ce
" hors quota " permet
" d'abaisser le coût d'une année pour les étudiants qui, sinon, se rapprocherait des 20 000 à 25 000 euros ". Faute de cadre stable, elle répète depuis la rentrée que la délocalisation du siège de son école à Singapour ou aux Etats-Unis serait
" une possibilité ", notamment par le biais d'une alliance…
Pour atteindre la taille critique d'une école telle que Skema, d'autres " sup de co " régionales ont à leur tour fusionné et pris leur indépendance juridique vis-à-vis des CCI, tel Kedge (Bordeaux et Marseille) ou Neoma (Rouen et Reims). Les écoles de commerce ont aussi augmenté leurs frais d'inscription – doublés en vingt ans –, accru leurs effectifs, créé de nouveaux diplômes payants de bachelors ou de mastères spécialisés, musclé leurs offres de formation continue, multiplié les collectes de fonds auprès des entreprises et des anciens… Mais le chemin de l'autonomie est de plus en plus escarpé.
En créant le statut d'établissement d'enseignement supérieur consulaire (EESC), qu'HEC a le premier adopté le 1er janvier 2016, la loi Mandon de décembre 2014 avait accompagné ce mouvement. Les EESC peuvent ouvrir leur capital, à condition que les CCI conservent la majorité, et sans que les actionnaires (aujourd'hui des fondations ou des associations) puissent recevoir de dividendes. Pour attirer plus d'investisseurs, nombre de responsables voudraient voir ces conditions assouplies. Avant de vendre HEC en bloc, bien d'autres voies peuvent donc être étudiées.
Adrien de Tricornot
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