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vendredi 22 décembre 2017

" Il faut tourner la page de Notre-Dame-des-Landes "


22 décembre 2017/

" Il faut tourner la page de Notre-Dame-des-Landes "

Les trois médiateurs estiment qu'une évacuation rapide de la ZAD n'est pas adaptée à la complexité du site

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La mission de médiation sur le projet de transfert de l'aéroport de Nantes vers Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), installée par le gouvernement le 1er  juin, a rendu son rapport le 13  décembre. Les trois auteurs – la préfète Anne Boquet, l'ancien président de l'autorité environnementale Michel Badré, et le spécialiste aéronautique et transport Gérard Feldzer – expliquent au Mondel'importance de ne pas brusquer les événements, une fois le choix du gouvernement arrêté, c'est-à dire avant la fin janvier 2018. Ils préconisent de prendre le temps de définir un projet de territoire. La mission de médiation a formulé 37 propositions concrètes telles que la modification de l'angle des pentes pour les atterrissages, la création d'un fonds national d'intervention contre les nuisances sonores, ou encore la garde de la maîtrise foncière à Notre-Dame-des-Landes par l'Etat.


Dans le rapport remis à Edouard Philippe, vous avez retenu deux options. Quels en sont les avantages et les inconvénients principaux ?

Anne Boquet Aucune des deux solutions n'est parfaite, chacune a un handicap majeur. Du côté de la construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, c'est le problème de la maîtrise urbaine et de l'étalement. Pour le réaménagement de Nantes-Atlantique, c'est la persistance d'un certain niveau de nuisances sonores même si, dans les scénarios étudiés, on a constaté plutôt une réduction en la matière.
Nous avons analysé dix points de comparaison possibles entre les deux options " raisonnablement envisageables ", permettant d'évaluer l'enjeu environnemental, l'impact sur les projets d'urbanisme de Nantes, les conséquences en matière d'économie, d'emplois, de mobilité.


Au regard de tous ces enjeux, du coût aussi des projets, Notre-Dame-des-Landes présente-t-il plus de handicaps ?

A. B. Il ne nous appartient pas de nous prononcer. Et puis, tout dépend de la pondération des critères et des enjeux, ce qui relève d'un choix politique.
Michel Badré Sur le coût, il reste une forte incertitude liée à la question de l'indemnisation de Vinci, dans le cas de la résiliation du contrat si Notre-Dame-des-Landes est abandonné. Hors cette indemnisation, le coût du réaménagementest plus faible d'environ 300  millions d'euros, en tenant compte des accès terrestres. L'indemnisation, elle, peut varier de 0 à  350  millions, selon les analyses juridiques et les négociations avec Vinci. L'autre sujet non évalué est celui du coût du retour à l'ordre public, qui sera différent selon les options.


Sur ce dernier point, vous ne parlez pas d'évacuation mais de retour à l'ordre. Quelle est la différence ?

M. B. Nous parlons de retour à l'ordre républicain, car on ne peut pas avoir un site où l'on accepte que les gens soient hors la loi.


Dans le cadre d'une normalisation de la ZAD, quel délai faut-il laisser aux protagonistes pour discuter ?

A. B. La normalisation et le délai dépendent de la solution adoptée par le gouvernement. Si Nantes-Atlantique est retenu, cela laisse plus de temps. Le mot évacuation n'est pas adapté à la complexité de la ZAD actuelle. C'est une superficie très importante, de la dimension de l'emprise du projet, 1 600  hectares, avec des squats qui y sont implantés.
Des populations y vivent, avec une certaine ancienneté pour une partie d'entre elles, elles y ont créé des familles, des activités. Ces personnes devront bien, un jour ou l'autre, régulariser leur situation. A côté de ça, un certain nombre d'individus ont un discours et des actes radicaux et violents. Cette population très diverse demanderait, pour le retour à l'ordre, un traitement différencié.
Le ministère de l'intérieur devra étudier cette situation. Il y a des délais à respecter, des procédures de droit, comme la notification aux occupants illégaux qu'ils doivent partir. S'ils refusent, l'étape supérieure est le recours à la force publique. Mais on est loin de l'évacuation rapide, telle que certains l'imaginent.
Je pense qu'aucun gouvernement ne peut s'engager dans une opération d'évacuation sans vouloir maîtriser une escalade de la violence. Le risque humain existe, on l'a vu avec le malheureux décès de Rémi Fraisse - le 26  octobre 2014, lors d'une manifestation contre un barrage à Sivens (Tarn) - . Il existe aussi chez les forces de l'ordre. Tout cela demande de la modération, une grande maîtrise… et des propos nuancés.


Les élus, favorables, dans leur grande majorité, au projet de transfert, peuvent-ils se laisser convaincre en cas d'abandon de Notre-Dame-des-Landes ?

A. B. A partir du moment où le gouvernement aura décidé, je suis sûre que les élus se mettront autour de la table pour discuter de la mise en œuvre du projet et disposer d'un aéroport à même de concourir au développement économique de la région. Décider, c'est apaiser. Les quelque 300 personnes rencontrées lors de notre mission étaient unanimes sur un point : le gouvernement doit trancher. Les élus ont besoin que leur territoire se développe, d'un projet dynamique et porteur.
Gérard Feldzer Je suis un peu moins optimiste, il existe un vrai risque d'opposition politique frontale.


Le gouvernement doit-il prolonger la déclaration d'utilité publique (DUP), qui arrive à  échéance le 8  février 2018 ?

M. B. Si le choix du gouvernement est de poursuivre le projet de Notre-Dame-des-Landes, la DUP actuelle devra être prorogée. Dans le cas contraire du réaménagement de Nantes-Atlantique, une autre DUP sera probablement nécessaire pour l'aménagement des aires de stationnement des avions et l'éventuel allongement de la piste.


Le projet d'un nouvel aéroport est-il compatible avec des -objectifs de lutte contre le -réchauffement climatique ?

M. B. Le besoin aéronautique pour le Grand Ouest est réel, et cela n'aurait aucun sens de limiter volontairement, de brider le trafic aérien à Nantes en raison de l'accord de Paris. Pour les vingt-cinq prochaines années, on ne peut dissocier l'évolution du trafic aérien nantais de ce qu'il est ailleurs en France. Mais peut-on continuer à augmenter le trafic aérien pendant cinquante ans, la question se pose. La réponse est probablement non.
G. F. Nous n'avons aucune certitude à 100  %. On a des tendances mais on ne peut jurer de ce que réserve l'avenir. Aurons-nous des avions silencieux (électriques par exemple) ? Aura-t-on besoin, après 2040, d'une nouvelle infrastructure ?


Comment expliquer un tel fiasco dans la conduite du dossier NDDL, vieux de cinquante ans, soumis à l'indécision et aux expertises contradictoires ?

A. B. On a le sentiment que l'Etat et les collectivités avaient une forme de certitude sur la pertinence et l'efficacité de leur dossier et qu'ils n'étaient pas prêts à le réévaluer, à  entendre des -propos contradictoires. Il y a eu une sorte d'enfermement, un défaut d'écoute de tous côtés sur l'ensemble du processus, à toutes ses étapes.
G. F. Certaines données ont changé, comme la réglementation technique, les travaux à faire, ou les caractéristiques des avions (bruit réduit et capacités de passagers augmentées) modifiant la donne. Mais, globalement, on a été confronté à un -scénario classique : de nombreux élus locaux veulent leur aéroport au nom du développement -économique.
M. B. Il y a aussi une question de durée du dossier, sans même remonter jusqu'en  1965. Quand des maîtres d'ouvrage portent un projet durant de trop nombreuses années et que vous leur dites " il faudrait peut-être regarder les autres options raisonnablement envisageables ", ils refusent en disant qu'ils sont les meilleurs connaisseurs du projet.
G. F. Il faut maintenant tourner la page, refermer le dossier, sortir par le haut. Nous avons l'opportunité de construire le ciel du futur et l'agriculture du futur.
propos recueillis par Rémi Barroux
© Le Monde

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