Dans les jardins d'Alep, de petites silhouettes rappellent tristement la tragédie de la ville, déchirée et livrée aux combats pendant plus de quatre ans, entre 2012 et 2016. " On croise des enfants qui mendient, rapporte un habitant. Beaucoup sont orphelins ou ignorent où sont leurs proches. " Dans le chaos des bombardements et des mouvements massifs de civils, durant les derniers jours de la bataille, avant la chute des quartiers rebelles de l'est d'Alep, en décembre 2016, de dramatiques séparations ont eu lieu. Des enfants ont aussi été sortis des gravats, seuls. Des humanitaires tentent de retrouver des membres de leur famille. Des centres accueillent ces petits survivants, dans une ville qui panse ses plaies.
Le 22 décembre, Bachar Al-Assad annonçait la reconquête d'Alep. Le lendemain, l'armée se déployait dans la totalité des ex-quartiers rebelles. Depuis, le président ne s'est pas rendu dans la grande métropole du nord de la Syrie, comme il l'a fait ailleurs, dans des zones reprises à l'insurrection. Le paysage de ruines est toujours intact dans les faubourgs de l'est de la ville.
" Renouer avec le quotidien "Les grands axes sont de nouveau praticables, après avoir été déminés et asphaltés. Dans d'autres rues, les décombres ont été déblayés. Mais de nombreux immeubles ont été réduits à
néant ou ne ressemblent plus qu'à des squelettes, dans ces quartiers qui furent assiégés et brutalement pilonnés par les avions militaires syriens et russes, les tirs d'artillerie et les barils d'explosifs.
" La vue est surréelle, raconte, encore incrédule, une jeune Alépine, qui a visité sa ville natale il y a quelques mois.
Je n'oublierai jamais le regard de ceux qui découvraient l'état de leur maison. " Une autre chose l'a frappée
: " La force des gens pour recommencer, même s'ils ont tant perdu. " Selon les estimations les plus optimistes, près de 500 000 civils, soit la moitié des habitants de l'est d'Alep avant la guerre, auraient regagné ces faubourgs. Le nombre est sans doute plus bas. Certains, partis dès 2012, quand les combats ont gagné la ville, ne rentrent que temporairement. Des individus ou des associations tentent de rebâtir ce qui peut l'être.
" Les Alépins ont un courage incroyable, assure l'habitant d'Alep.
Ils ont retroussé leurs manches aussitôt les combats finis, pour tenter de renouer avec leur quotidien. Mais bien peu osent croire que la situation s'améliorera rapidement. "
Dans la vieille ville aussi, ancienne ligne de front, ravagée par les affrontements, des Alépins s'efforcent de ramener la vie.
" Mais les financements n'existent pas aujourd'hui pour lancer une véritable reconstruction. Les montants nécessaires pour Alep sont énormes : on parle d'une somme de l'ordre de 63 milliards d'euros. La ville n'a toujours pas son “plan Marshall” ", constate un expert syrien. Une partie de l'activité industrielle, qui faisait la fierté d'Alep, a repris. Mais la plupart des propriétaires d'usine de -textile, fer de lance de l'économie locale, ne sont pas rentrés de leur exil, en Egypte ou en Turquie.
Dans l'Ouest, toujours resté sous contrôle gouvernemental, les dégâts causés par les obus des rebelles sont moindres mais, là aussi, on s'active : des écoles ont été restaurées. Cette partie de la ville, la plus peuplée, est aujourd'hui le cœur battant d'Alep. Des restaurants et des cafés, populaires ou plus luxueux, ont ouvert.
" Avec mes amis, on n'a jamais cessé de sortir pendant la guerre, dit Kamal (pseudonyme), un étudiant de 19 ans.
Aujourd'hui, on se sent en sécurité. " Hostile au régime, il reste toutefois très attentif aux propos qu'il tient en public, mais ne l'empêche pas de compter parmi ses camarades des soutiens au pouvoir.
On entend parfois, la nuit, le son des combats qui se déroulent dans les zones rurales sous -contrôle rebelle à l'ouest de la ville. C'est trop loin pour troubler les habitants d'Alep, qui ont vécu dans le vacarme des armes pendant des années. La levée des checkpoints militaires à l'intérieur d'Alep, au début de l'année, a rendu le climat moins anxiogène. Des barrages volants sont encore dressés. Pour Kamal, l'un des défis est de gagner un peu d'argent pour aider sa famille, en même temps qu'il poursuit ses études à l'université. Le chômage est élevé, les salaires sont bas. Beaucoup d'Alépins continuent de dépendre de l'aide humanitaire. Les colis alimentaires leur permettent d'épargner, afin, par exemple, d'acheter un générateur, même si l'électricité est en partie revenue.
Aux côtés des natifs des quartiers occidentaux d'Alep vivent toujours des milliers de déplacés venus d'Alep-Est. Tant que les infrastructures ne seront pas rétablies près de leur ancien domicile, ils ne rentreront pas.
" Il n'y a pas de raison de se rendre dans les faubourgs orientaux, hormis si sa maison est toujours debout, ou pour rendre visite, quand on y a des parents, c'est le cas de nombreuses familles ", dit Kamal. Le jeune homme aime y faire des photos, donner un coup de main, flâner auprès des maisons de ses proches partis. L'un des clichés qu'il a pris montre des inscriptions en russe, assurant qu'une zone est sécurisée.
" Ils écrivent cela dans leur langue, pas en arabe. Ce n'est pas à nous qu'ils s'adressent, dit-il en soupirant.
On voit des soldats russes dans la rue, on peut parler avec eux. Mais il nous est interdit d'approcher de certaines de leurs positions. "
Les anciens faubourgs contrôlés par les rebelles, qui comptaient des groupes extrémistes, restent interdits à certains habitants : ceux qui ont été évacués en décembre 2016. Environ 35 000 personnes, dont 5 000 combattants et leur famille.
" Mort à l'intérieur "Modar, 29 ans, militant antirégime, était dans les premiers -convois d'évacuation. Il vit aujourd'hui en Turquie.
" On se sent mort à l'intérieur de soi-même, on a tout perdu ",dit-il. L'un de ses pires souvenirs, ce sont les
" frappes infernales " des forces prorégime, vers la fin. Tournant dans la guerre, la victoire du régime et de ses alliés à Alep a été suivie par d'autres gains militaires en Syrie.
La sœur et le frère aînés de Modar avaient, eux, fui vers l'ouest d'Alep, en décembre 2016. La première,
" enseignante d'arabe, a été radiée ". Le second,
" médecin, a été arrêté par le régime. Il avait travaillé dans un hôpital de campagne. Ma mère et d'autres proches, resté
s sur place, font tout pour le faire sortir de prison. " De nombreuses arrestations ont eu lieu durant cette période. Des maisons ont été pillées. Des hommes ont aussi été incorporés au service militaire, obligatoire, ou comme réservistes.
Les cœurs sont déchirés, mais il n'y a pas, dans l'ensemble, de haine entre civils, assurent plusieurs Alépins. L'un des enjeux qui se posent aujourd'hui à Damas est d'éviter que la ville ne se sente de nouveau marginalisée, comme elle l'a été pendant des décennies. Des habitants loya-listes ont dénoncé, durant l'été, les exactions des miliciens pro-régime. D'autres habitants des quartiers Ouest, épuisés par le conflit, ont profité que les routes soient rouvertes après la bataille pour abandonner Alep.
Laure Stephan
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