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mercredi 1 novembre 2017

Les Crises.fr - SOS Corée, par William R. Polk

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                                  Les Crises - Des images pour comprendre
1
Nov
2017

SOS Corée, par William R. Polk


Source : Turcopolier, William R. Polk, 06-09-2017
L’Amérique au bord d’un conflit nucléaire (deuxième partie) : que devrions-nous faire ?
Dans la première partie de cet essai, j’ai donné mon interprétation sur le contexte de l’actuelle confrontation avec la Corée. J’ai avancé que, bien que le passé soit la mère du présent, celui-ci a plusieurs pères. Ce dont je me souviens n’est pas nécessairement ce dont vous vous souvenez ; donc, dans cette optique le présent forme ou reforme également le passé. Lors de mon expérience en tant que planificateur politique, j’ai découvert qu’on ne pouvait comprendre et traiter les actions et les idées du présent qu’en tenant compte de la perception des événements tels qu’ils sont retenus de façon différente par les participants. J’ai essayé de décrire les différentes visions du passé pour nous, pour les Nord-Coréens et pour les Sud-Coréens.
Je voudrais maintenant apporter des précisions sur les faits que j’ai exposés. Je voudrais d’abord montrer comment notre perception, l’interprétation que nous avons des événements qui tourbillonnent autour de nous, y ajoute un nouvel élément d’information. De façon consciente ou non, nous avons tendance à arranger les événements selon un schéma. Donc le schéma lui-même devient une partie du problème auquel nous sommes confrontés quand nous essayons de comprendre les événements. Définir un cheminement — une interprétation ou une théorie sur ce que signifient les éléments disparates et aléatoires ou comment les autres peuvent les interpréter ou agir sur eux — est une tâche complexe et incertaine. Le fait de se tromper peut nous égarer ou même se révéler très dangereux. En conséquence, l’interprète, le stratège, doit toujours être testé pour vérifier si son interprétation est sensée et si le chemin qu’il trace est celui que nous voulons parcourir. Je rendrai cela explicite plus loin. Mon expérience de ce qui a probablement été la situation la plus dangereuse que l’Amérique ait rencontrée, la crises des missiles de Cuba, m’a conduit à croire au moins que dans une crise, notre façon de conceptualiser les événements et ce que nous nous rappelons du passé déterminent souvent nos actions et peut constituer la différence décisive entre la vie et la mort. Je vais donc commencer ici par l’état d’esprit qui a sous-tendu la politique américaine dans le dernier demi-siècle.

* * *
Quiconque lit les journaux ou regarde la télévision est assailli par d’innombrables bribes d’information. D’après mon expérience au service du gouvernement, le déluge d’information est presque paralysant. Certains de mes collègues disaient par plaisanterie que le moyen de battre nos adversaires était de leur donner un accès à ce qui passait tous les jours sur nos bureaux. Cela les immobiliserait comme cela nous immobilisait parfois. C’était une tâche exigeante de distinguer ce qui était simplement intéressant de ce qui était important et de relier un événement aux autres. Les stratèges n’ont cessé d’essayer de les rendre utiles depuis plusieurs millénaires. Machiavel est celui que nous connaissons le mieux, mais il est loin d’être le premier [1].
La dernière et probablement la tentative récente la plus convaincante pour développer une sorte de cadre ou de matrice pour apporter un certain ordre et une capacité d’appréhender les événements a été la théorie de la dissuasion. Bien qu’il s’agisse « juste d’une théorie », elle a fixé la politique de l’Amérique envers l’Union soviétique durant la guerre froide. Elle fut développée pour comprendre et agir face à l’Union soviétique pendant la guerre froide, mais elle déterminera en grande partie ce que l’Amérique essaye aujourd’hui de faire avec la Corée du Nord.
Pour simplifier et résumer, les stratèges de la guerre froide dirigés par des hommes comme Henry Kissinger, Thomas Schelling et Bernard Brodies croyaient qu’en fin de compte les relations entre les nations étaient mathématiques. La dissuasion consistait ainsi à rassembler les éléments qui pouvaient s’additionner de part et d’autre. Si un pays « A » avait une puissance écrasante, le pays « B » serait dissuadé, dans son propre intérêt, de mener des actions qui lui seraient préjudiciables. Ne pas réussir, « faire les additions » correctement dans le « jeu des nations », c’était « mal jouer ». Les émotions et même la politique ne jouaient aucun rôle dans le monde réel. C’était la réalpolitik qui gouvernait. Autrement dit, les faibles additionneraient leurs capacités et céderaient obligatoirement devant les forts pour éviter d’être détruits. Il y a longtemps l’historien grec Thucydides a donné le ton : « le droit, dans le monde tel qu’il est », écrivait-il « n’est en question qu’entre ceux qui sont égaux en puissance ; les forts font ce qu’ils peuvent faire et les pauvres subissent ce qu’ils doivent subir ». C’est seulement en agissant avec cet état d’esprit que les intérêts nationaux, les intérêts réels de chaque pays seraient préservés et que la pays entre les nations serait établie.
La dissuasion a fonctionné assez bien jusqu’à et y compris pendant les crise des missiles de Cuba. Mais pendant cette crise, comme l’avaient soutenu certains critiques de la théorie, une faille potentiellement fatale apparut.
La faille est que « l’intérêt national » – ce qui peut être additionné ou quantifié comme les avoirs et ce qui lui donne sa puissance – ne coïncide pas toujours nécessairement avec « l’intérêt du gouvernement ». C’est-à-dire que les gouvernements peuvent ne pas être toujours guidés par un calcul rationnel de l’intérêt national. Il y a des situations où les dirigeants ne peuvent se permettre, même s’ils additionnent correctement les chiffres, d’agir suivant des motivations aussi lentes que l’intérêt national. Ils peuvent être soumis à des motivations tout à fait différentes et plus urgentes. Ils peuvent être émotifs ou irrationnels d’une autre façon, craindre pour leur vie ou inquiets de perdre leur position, ou bien ils peuvent être guidés par l’opinion publique ou par les calculs différents d’autres centres de pouvoir comme l’armée. Il peut alors être impossible d’être guidé par le calcul abstrait de l’intérêt national. Permettez moi d’illustrer cela par mon expérience dans la crise des missiles de Cuba, puis dans un jeu guerrier que le Département de la Défense (DOD) avait organisé pour réévaluer la crise des missiles, et enfin dans une réunion à Moscou avec mes homologues russes.
Durant la crise des missiles le Président Kennedy (certainement) et le président Khrouchtchev (probablement) furent tous deux soumis à une pression presque insupportable, non seulement pour imaginer comment gérer les événements, mais aussi à cause des avertissements, de l’intrusion, des demandes pressantes de leurs collègues, rivaux, partisans et de leurs chefs militaires. On ne sait toujours pas si chaque dirigeant risquait un coup d’État ou un assassinat, mais tous deux étaient potentiellement en danger car l’enjeu était littéralement le destin du monde, et les avis sur la façon de traiter la possibilité d’une guerre dévastatrice étaient défendus avec force. Évidemment, les pertes pour chacun de leur pays en cas d’un échange nucléaire auraient été catastrophiques et donc l’intérêt national de chacun était clair : éviter la guerre. Mais la façon de l’éviter était sujet à controverses. Et ce n’étaient pas les nations qui prenaient les décisions : c’étaient les dirigeants, et leurs intérêts coïncidaient seulement en partie avec l’intérêt national.
Nous avons eu de la chance qu’au moins Kennedy ait pris conscience du dilemme et ait pris des mesures pour sa protection. Ce qu’il fit n’est pas bien compris, donc je vais brièvement résumer les points principaux. En premier lieu, il identifia le Général Lyman Lemnitzer, alors chef d’État-Major des armées (JCS) comme le principal faucon. Lemnitzer le poussait à la guerre nucléaire et avait dévoilé son jeu en présentant un plan « noir » (« Operation Northwoods ») qui devait être exécuté par le JCS pour déclencher une guerre avec Cuba. Réalisant apparemment que le plan pouvait facilement être transformé en coup d’État, Kennedy déplaça Lemnitzer aussi loin de Washington que possible (en Europe pour être un commandant de l’OTAN). Kennedy rassembla également un groupe d’hommes d’État plus âgés, dont la plupart avaient servi sous les administration Eisenhower et Truman à des postes supérieurs aux commandants de l’armée d’alors, et étaient réputés comme conservateurs – loin de l’image de libéral de Kennedy. Il sollicitait ostensiblement leur avis, mais en pratique ce qu’il recherchait était l’approbation de ses décisions. Il prit également soin d’informer le public dans son discours du lundi où il reconnu officiellement la crise pour la première fois, affirmant qu’il gardait fermement le contrôle et qu’il était déterminé à protéger les intérêts américains. Puis, lors de la résolution de la crise, quand il enleva les missiles américains de Turquie, il fit comme si leur retrait n’était pas un prix qu’il avait à payer pour mettre fin à la crise. Il neutralisa ainsi en plusieurs jours les critiques potentielles, au moins pendant le moment crucial de la crise. Mais, peu de temps après, il fut assassiné par des personnes, des forces ou des intérêts au sujet desquels comme sur les motivations de qui il y a encore beaucoup de controverses. Au minimum nous savons que des personnes influentes, y compris Lemnitzer, pensaient qu’il avait bradé les intérêts nationaux pour satisfaire l’intérêt de son administration.
Au même moment, à Moscou, M. Khrouchtchev risquait probablement sa vie en acceptant l’humiliation imposée à son régime par le retrait forcé des missiles russes de Cuba. Apparemment, car bien sûr nous n’en savons rien, il ressentit moins de danger immédiat que Kennedy parce que le système soviétique s’était toujours méfié et s’était protégé de ses chefs militaires. Un Lemnitzer en Russie aurait probablement été « éliminé » et non pas seulement poliment exilé. Et rôdant à côté de chaque officier supérieur de l’armée soviétique, il y avait un commissaire politique qui rendait compte à l’administration civile – c’est-à-dire aux dirigeants du parti communiste – sur chaque mouvement, chaque contact, presque chaque pensée de l’officier. L’armée faisait ce que les dirigeants civils lui disaient de faire.
Je suppose que Khrouchtchev croyait avoir ses collègues avec lui, mais cela n’a pas dû être très rassurant étant donné les antécédents du Politburo. Et à sa mort il eut un prix à payer : on lui refusa la distinction suprême du pouvoir soviétique ; il ne fut pas enterré avec les autres héros soviétiques dans la nécropole du mur du Kremlin. C’est là ce que nous savons ; ce que nous ne pouvons savoir, c’est s’il pensait ou non qu’il était, ou s’il était réellement en danger d’être renversé. Ce qui est clair c’est qu’il était assez fort – et qu’il n’était pas confronté à une action provocatrice ou destructrice de la part de l’Amérique – qu’il fut capable de surmonter « l’intérêt du gouvernement » pour protéger « l’intérêt national ». En bref, il ne fut pas acculé dans un coin.
S’il n’y avait pas eu la force et le courage des deux hommes, nous n’aurions peut-être pas survécu à la crise des missiles. Il est évident que nous ne pouvons pas être toujours aussi bien servis. Nous pouvons parfois dépendre d’hommes plus faibles, plus timorés et moins fermes. Cela n’est pas une question abstraite, et elle est venue nous hanter pendant le confrontation avec la Corée, comme elle le fera certainement à l’occasion d’autres confrontations. Comprendre cela peut être une question de survie. Cela n’est pas seulement mon opinion mais également l’inquiétude tenace du DOD [Département de la Défense, Ndt].
Ainsi, au lendemain de la crise, le Département de la Défense chercha à obtenir la garantie que la dissuasion avait fonctionné et continuerait à le faire. C’est-à-dire qu’il essaya de tester la théorie selon laquelle les dirigeants feraient les additions et seraient guidés par le résultat plutôt que par des critères politiques, émotionnels ou autres. A cette fin le Département de la Défense chargea les stratège des conflits Thomas Schelling de concevoir et d’organiser un jeu de guerre politico-militaire pour pousser l’expérience de la crise des missiles à son extrême, c’est-à-dire découvrir ce que les Russes feraient si on leur portait un coup nucléaire grave, douloureux et humiliant.
Le jeu de Schelling opposait deux petites équipes de hauts fonctionnaires américains complètement briefés qui s’affrontèrent dans le Pentagone. L’équipe rouge représentait l’URSS et l’équipe bleue les États-Unis. Chacune reçut toutes les informations que Khrouchtchev aurait eues. Peu après nous être réunis, on nous dit que l’équipe bleue avait détruit une ville de l’équipe rouge avec une arme nucléaire. Que ferait l’équipe rouge ?
Comme elle était beaucoup plus faible que les États-Unis, selon la théorie de la dissuasion elle aurait cédé et n’aurait pas riposté.
A la grande exaspération de Schelling, le jeu démontra le contraire. Il montra que l’action dépendait seulement en partie d’un calcul rationnel de l’intérêt national, mais serait plutôt guidée, dans un contexte de crise, par les impératifs politiques auquel le gouvernement serait confronté. J’ai abordé ceci en détail ailleurs, mais en bref, les membres de l’équipe rouge, qui comptait les hommes les plus expérimentés et les plus doués du Département d’État, de la Maison-Blanche, de la CIA et du Département de la Défense, présidée par l’amiral très conservateur qui était chef des Opérations navales, décidèrent à l’unanimité que l’équipe rouge n’avait d’autre choix que de se lancer dans un conflit généralisé aussi vite et avec autant de puissance que possible. Schelling arrêta le jeu en disant que nous « avions raté », et que si nous avions raison il devrait abandonner la théorie de la dissuasion. Nous exposâmes les raisons de notre décision.
Cette décision avait été prise pour deux raisons : la première était que l’acceptation n’était pas politiquement possible. Aucun gouvernement, russe, américain ou autre ne pourrait accepter l’humiliation de la perte d’une ville et survivre à la fureur de ceux qui se sentiraient trahis. Même à un coût ruineux, il contre-attaquerait. C’est une leçon qui n’ a toujours pas été apparemment apprise. En fait, cela pourrait causer la mort de chacun des lecteurs de cet essai si on l’appliquait dans la vie réelle avec une première frappe nucléaire, comme je le démontrerai bientôt en traitant de la crise coréenne.
La deuxième raison de la décision était que, malgré Kissinger, Schelling et d’autres défenseurs du « conflit nucléaire limité », il n’existe pas de conflit nucléaire dans le monde réel. Une frappe nucléaire entraînerait inévitablement une riposte, si possible nucléaire, et cette riposte entraînerait une contre-attaque. Dans le jeu de la guerre, l’équipe rouge avait réalisé que si M. Khrouchtchev devait riposter pour la destruction de Bakou par l’Amérique en incinérant Saint Louis, cela aurait représenté un défi que Kennedy n’aurait pu esquiver quel que fût le fautif ou quelles que fussent les chances de succès. Il aurait certainement été renversé, et presque certainement assassiné s’il n’avait pas riposté. Il aurait presque à coup sûr détruit une deuxième ville russe. Les représailles n’avaient pas de limite. Chaque riposte conduirait à la suivante et rapidement à un conflit généralisé. Donc l’équipe rouge choisit immédiatement la meilleure de ses mauvaises options : riposter immédiatement avec tout ce dont elle disposait : en bref, nous avions choisi le conflit généralisé.
Heureusement ce scénario ne fut pas testé. Dans la vraie crise des missiles cubains aucune ville ne fut incinérée. Ni Kennedy ni Krouchtchev ne fut poussé au-delà des « calculs ». Mais il s’en fallut de peu. Mon intuition personnelle après avoir été l’un des quelque 25 civils étroitement impliqués dans la crise réelle, est que Kennedy et son équipe n’auraient pas pu tenir bon plus longtemps que le jeudi ou le vendredi de cette terrible semaine. Les implications sont claires – et terrifiantes – mais ni Schelling ni les autres partisans de la guerre froide ne les ont acceptées. Nous abordons aujourd’hui le conflit en Corée avec l’état d’esprit dont notre jeu de guerre a démontré qu’il était fatalement faillible.
J’eus l’occasion de tester le résultat du jeu de guerre quand je fis une conférence sur la planification stratégique et participai à un séminaire sur la crise des missiles avec les membres de ce qui était alors le principal groupe de conseillers auprès du Politburo, l’Institut de l’économie mondiale et des affaires internationales de l’Académie des Sciences soviétique. En un mot, mes vis-à-vis étaient d’accord avec l’analyse que je viens d’exposer : Krouchtchev n’aurait pas pu accepter une attaque nucléaire américaine. Il aurait riposté même s’il réalisait que les avantages écrasants — les « chiffres » — étaient contre lui.
Ils furent également d’accord qu’en termes pratiques il n’existait pas de conflit nucléaire limité. Une frappe nucléaire « limitée » serait inévitablement le premier pas vers un conflit généralisé.
J’émettrai ci-dessous des hypothèses sur la manière dont les événements réels de la crise des missiles cubains, et le résultat du jeu de guerre pourrait s’appliquer au conflit actuel en Corée. Ici, laissez moi anticiper en disant que nous n’avons aucune raison de croire que les hommes qui trancheront la question sont du calibre de Kennedy et Krouchtchev. Kennedy comme Krouchtchev étaient des hommes forts, pragmatiques, expérimentés et bien soutenus. Dans le conflit actuel entre les États-Unis et la Corée du Nord, ni Donald Trump ni Kim Jong-un ne montrent des qualités similaires. Certains critiques mettent même en question leur équilibre psychique. Mais ce sont eux qui prendront les décisions, donc je me concentrerai sur eux, leurs motivations et leurs capacités. Je commence avec M. Trump.
* * *
Je n’ai jamais rencontré M. Trump et nos expériences sont très différentes, donc je suis amené à deux manières de le comprendre, que j’admets être incomplètes et discutables. La première de celles-ci est sa propre description de son processus de pensée et de sa façon d’agir. Les trois caractéristiques qui semblent les plus pertinentes dans les affaires étrangères et plus particulièrement dans la confrontation avec la Corée sont celles-ci :
  • Le 12 novembre 2015 M. Trump a déclaré « j’adore la guerre ». En fait, comme l’ont montré les archives, il se donna énormément de mal pour se priver des plaisirs d’affronter le danger pendant la guerre du Vietnam. Et maintenant, s’il devait décider d’entraîner l’Amérique dans la guerre, il ne mettrait pas sa propre vie en danger. A l’époque où j’étais à Washington, ces « amoureux de la guerre de loin » étaient souvent désignés comme « des faucons dégonflés ». Ils adoraient parler de la guerre et y pousser les autres mais, tout comme M. Trump, ne s’engageaient jamais dans l’action et ne s’attardaient pas sur les horreurs du combat réel. Pour eux la guerre n’était qu’un épisode de série télévisée où les bons se faisaient un peu malmener, mais gagnaient toujours.
Vraisemblablement M. Trump désignait par le terme de « guerre » quelque chose de très différent de la vraie guerre puisqu’il expliquait, « … je suis bon à la guerre. J’ai mené beaucoup de guerres à moi tout seul. Je suis vraiment bon à la guerre. J’adore la guerre d’une certaine façon mais seulement quand nous gagnons. »
Pour M. Trump, comme ses actes le montrent, toute transaction commerciale était une sorte de guerre. Il la menait comme ce que les stratèges militaires appellent un jeu à somme nulle : le gagnant prenait tout et le perdant n’avait rien. Il y avait peu ou pas de négociations. Le mode opérationnel était « l’attaque » et son adversaire serait conduit à la défaite par la menace de la ruine financière. Ceci était la « certaine façon » qu’il appelait ses nombreuses « guerres à moi tout seul ». Les faits corroborent ses dires. Il accablait ses rivaux avec des milliers de poursuites judiciaires contre lesquelles ils devaient se défendre à un coût ruineux, les convainquait que s’ils n’acceptaient pas il les détruirait, et était impitoyable. Il était très bon à cela. Il fit fortune dans cette forme de « guerre ». Il semble croire qu’il peut appliquer son expérience dans les affaires aux affaires internationales. Mais les nations ont moins de chances de faire faillite que les rivaux rencontrés dans les transactions immobilières, et certaines d’entre elles sont équipées d’armes nucléaires.
  • M. Trump a exposé à plusieurs reprises sa conception du rôle des armes nucléaires. En 2015, en tant que candidat, on le cita pour avoir dit, « Pour moi, l’arme nucléaire est juste la puissance, la dévastation est très importante pour moi ». Mais je ne trouve aucune preuve qu’il réalise ce que « la dévastation » signifie réellement. C’est une chose de conduire un rival en affaire à la banqueroute, et une tout autre de superviser la mort par le feu de centaines de milliers ou de millions de personnes et d’en réduire encore plus à être sans abri dans un environnement dévasté. On suppose qu’il est conscient de ce qui s’est passé à Hiroshima et Nagasaki, mais ces exemples sont trompeurs. Les armes nucléaires modernes sont beaucoup plus puissantes : par exemple, une arme d’une mégatonne est environ 50 fois plus puissante que l’arme qui a détruit Hiroshima. Ceux d’entre nous qui ont affronté la menace de conflit nucléaire pendant la crise des missiles de Cuba étaient conscients des effets de telles armes « standard ». Je ne vois aucun indice que M. Trump sache ce qu’une guerre nucléaire ferait réellement. En effet, on le cite pour avoir dit, « A quoi cela sert d’avoir des armes nucléaires si on ne les utilise pas ? » Il trouvera toujours des conseillers qui lui diront qu’elles doivent être utilisées. Le fantôme du Général Lemnitzer rôde près du bureau ovale.
  • M. Trump s’enorgueillit de son imprévisibilité. L’imprévisibilité était sa stratégie en affaires. Comme il a dit à un journaliste de CBS le 1er janvier 2016, « Vous voulez être imprévisible… Et quelqu’un a dit récemment — j’ai fait une bonne affaire. Et la personne de l’autre camp a été interviewée par un journal. Et comment Trump a-t-il fait ça ? Et ils ont dit, il est tellement imprévisible. Et je ne savais pas s’il le disait dans un sens positif ou négatif. Il s’est avéré qu’il l’avait dit dans un sens positif ». A une autre occasion il a dit à la télévision, « Je veux être imprévisible. » La documentation montre son utilisation du stratagème, mais peut-être que c’est plus qu’un stratagème. Peut-être que c’est une manifestation de sa personnalité, aussi je veux analyser sa signification.
Il y a quelques années, j’ai été informé que la CIA entretenait une équipe de psychanalystes pour profiler les dirigeants étrangers. Si le bureau existe toujours, les médecins ne pratiquent probablement pas leur art sur les responsables américains, et certainement pas sur le président. Selon leur code de déontologie, les psychiatres ne sont pas censés faire un diagnostic sur quelqu’un qu’ils n’ont pas examiné, et je doute que quiconque réussisse à faire allonger M. Trump sur le divan. Mais, comme les psychiatres Peter Kramer et Sally Satel l’ont fait remarquer, M. Trump s’est montré « »impulsif, erratique, belliqueux et revanchard », donc « de nombreux experts pensent que M. Trump a un trouble de la personnalité narcissique ». En réaction au fait d’avoir un tel dirigeant ayant accès au bouton rouge, le député du Maryland Jamie Ruskin a présenté un projet de loi pour établir « une commission de surveillance de la capacité présidentielle » (H.R. 1987) comme le permet le 25ème amendement à la constitution. Cela n’a pas été suivi d’effets et permet au président de se « pardonner ».
Puisque ses actes et les efforts des autres n’offrent pas beaucoup d’informations, je suggère que ses actes se prêtent à une analogie peut-être instructive, le « chicken game » [jeu de la poule mouillée, Ndt].
  • Dans le jeu de la poule mouillée, deux conducteurs lancent leurs voitures l’une contre l’autre en accélérant. Celui qui recule, se détourne, ou (comme le Secrétaire d’État Dean Rusk me l’a formulé pendant la crise des missiles de Cuba) « cligne des yeux » est la poule mouillée. Le gagnant est le conducteur qui convainc le perdant qu’il est irrationnel, sourd à toute prière et aveugle au danger. Il ne peut pas s’écarter. Dans la stratégie guerrière de M. Trump, l’homme irrationnel gagne parce qu’il ne peut être atteint par aucun avertissement, argument ou conseil. Sachant cela, l’autre homme perd précisément à cause de sa rationalité.
Trois choses découlent de cette analogie. Elles semblent évidentes dans l’approche de M. Trump des questions de guerre et de paix :
  • la première et que l’irrationalité devient de façon ironique une stratégie rationnelle. Si quelqu’un arrive à convaincre ses adversaire qu’on ne peut le raisonner, il gagne. Cela a fonctionné pendant des années dans les affaires pour M. Trump, je ne vois aucune raison de croire qu’il l’abandonnera.
  • La deuxième est que le conducteur de la voiture n’a pas besoin d’informations ni de conseils. Ils sont superflus ou même nuisibles à sa stratégie. Ainsi, nous voyons que M. Trump ne prête aucune attention aux professionnels qui dirigent les 16 agences établies par de précédentes administrations pour fournir des informations ou des renseignements. L’Iran est un exemple où son plan d’action revendiqué défie l’évaluation des services de renseignement. Ainsi que l’ancien directeur adjoint l’a trouvé « déconcertant », M. Trump a affirmé de façon répétée que l’Iran ne respectait pas les termes de l’accord américano-iranien sur les armes nucléaires avant « d’avoir trouvé les renseignement pour le prouver ». Mais cela est inhérent à la stratégie de confrontation de Trump. Il sait certainement – mais n’en a rien à faire – que la communauté du renseignement toute entière soutient que l’Iran a respecté l’accord. Dans l’esprit de Trump, les analystes du renseignement sont des « copilotes » et devraient se taire. En mettant en question son aveuglement, ils suggèrent au conducteur de l’autre voiture que M. Trump pourrait faire une embardée pour l’éviter. Ainsi ils menacent l’irrationalité qui est l’essence de sa stratégie.
  • Et troisièmement, ce dont M. Trump, le « conducteur » a vraiment besoin dans la confrontation de la « poule mouillée », c’est une loyauté absolue. Ceux qui sont assis à côté de lui ne doivent jamais remettre en question sa façon de conduire. Toute allusion montrant qu’ils essayent de le dissuader de ses actions menace de détruire sa stratégie. Ainsi, comme nous le voyons presque quotidiennement, à chaque soupçon de désaccord, il pousse ses copilotes hors de la voiture. En effet au moins un d’entre eux a eu à peine le temps de monter dans la « voiture » avant de se faire jeter par la portière.
Ses actions dans les affaires comme à la présidence illustrent ces point. Il s’enorgueillit de ses actions irrationnelles, passant d’une position à une autre sur ce qui semble être un caprice. Il dédaigne les conseils, même ceux des services de renseignement et aussi de membres vraisemblablement loyaux de son entourage proche. Ce qu’il exige est une loyauté absolue.
Enfin, il me semble que M. Trump a compris, beaucoup mieux que la plupart d’entre nous, que le public aime se divertir. La constance l’ennuie. Il ne prête pas beaucoup d’attention à l’explication ou à l’analyse. Et comme le succès financier de l’industrie télévisuelle et le triste bilan de l’industrie de l’édition de livres le montrent, le public veut du divertissement. M. Trump répond aux goûts populaires : chaque épisode est nouveau ; chaque remarque, simple ; chaque menace, dramatique ; et, peut-être l’élément le plus puissant de tous est qu’il fait écho à la colère, aux déceptions, aux blessures, aux désirs que bon nombre de ses partisans ressentent.
Ce mode de fonctionnement a fonctionné pour Trump dans le monde des affaires. Son image de dureté, de détermination et même d’irrationalité a conduit certains des plus grands rivaux potentiels à se dégager de son chemin et pour beaucoup d’autres à accepter ses conditions plutôt que de risquer une collision. Ce n’est pas Trump ou son mode de fonctionnement qui a changé, mais le contexte dans lequel il opère. La Citibank avec laquelle il s’est affronté n’avait pas d’armes nucléaires ; la Corée du Nord en a. Alors, comment Kim Jong-un se débrouille-t-il ?
Kim Jong-un appartient à la troisième génération de dirigeants nord-coréens. Cette position est presque au-delà de la compréhension des Occidentaux modernes. Les dynasties dirigeantes sont devenues démodées pendant la Première Guerre mondiale. Mais peut-être qu’il est possible de considérer la « dynastie » pour obtenir des aperçus utiles. Celui qui a essayé d’apprendre ce que la succession dynastique pouvait nous dire était le grand philosophe d’histoire médiéval d’Afrique du Nord, Ibn Khaldoun.
En observant les sociétés berbères et arabes, Ibn Khaldoun a constaté que la première dynastie, débarquant du désert, était composée d’hommes rudes et vigoureux ; leurs fils se souvenaient encore des temps difficiles et conservaient leur hardiesse, mais la troisième génération s’est habituée au confort et s’est installée dans le luxe. Ses dirigeants ont gardé le pouvoir en comptant sur des forces extérieures. La quatrième génération a tout perdu.
La comparaison avec la Corée est loin d’être exacte, mais elle est provocante. Kim Il-sung était un guerrier de la guérilla, un peu comme les chefs de tribus en guerre dont a traité Ibn Khaldoun. Débarquant à partir de la Sibérie, il prit le pouvoir (certes avec l’aide des Soviétiques), régna pendant près d’un demi-siècle et établit la dynastie ; à la deuxième génération, son fils Kim Jong-Il arriva sans heurt au pouvoir à sa mort en 1994. Bien qu’il ne partageât guère les expériences guerrières de son père, il semble avoir été un homme dur, comme Ibn Khaldoun s’ y attendait. Mais il ne donne qu’un aperçu du plaisir grandissant qu’il éprouvait dans ce nouvel environnement. Le luxe dont il jouissait était exactement ce qu’Ibn Khaldoun aurait pu prédire. Il prit pour maîtresse une belle danseuse. De cette union est né Kim Jong-un, la personnification de la troisième dynastie.
Le jeune Kim Jong-un grandit dans ce qui était, en termes coréens, le comble de l’abondance et, étant enfant, on lui permit de jouer au jeu des soldats. Ses soldats, cependant, n’étaient pas des jouets ; ils étaient réels. Il n’ y a pas d’information certaine, mais on pense qu’il a été fait officier supérieur dans l’armée nord-coréenne quand il n’était qu’un enfant. A 12 ans, son père l’envoya dans une école privée en Suisse. Disposant d’un chef cuisinier personnel pour cuisiner les plats coréens ainsi que d’un tuteur et d’un chauffeur-garde du corps, il ne semble pas avoir vraiment été « en » Europe. Il fut retiré de l’école suisse à l’âge de 15 ans et placé dans une école publique en Corée. Le peu de personnes qui l’ont connu ont dit qu’il était extrêmement patriotique. Conformément au choix de son père, bien qu’il ne fût pas le fils aîné, il fut choisi comme successeur, l’homme de la troisième génération.
Malgré ce passé inhabituel, il ressemble remarquablement à un écolier américain ordinaire : il aimait le sport, en particulier le basket-ball, passait beaucoup de temps à regarder des films et était un élève indifférent. C’est à peu près tout ce qu’on sait sur son passé. Il n’est apparu en public qu’à peu près au moment où son père mourait. En 2009, on pense qu’il a épousé une belle jeune femme qui a été décrite de différentes façons comme chanteuse dans un groupe de musique populaire, pom-pom girl dans un événement sportif et candidate au doctorat dans une université coréenne. Lorsque son père est finalement décédé en 2011, Kim Jong-un, 32 ans, est devenu le dirigeant de la Corée du Nord. Mais en prenant le pouvoir, il s’est montré plus impitoyable, plus déterminé et plus absolu qu’Ibn Khaldoun ne l’aurait prédit. Presque immédiatement, il purgea le général en chef de son père parmi d’autres hauts fonctionnaires, et il aurait ordonné ou toléré le meurtre de son frère aîné, qu’il aurait certainement considéré comme un rival potentiel. Plus généralement, il s’est montré habile dans l’organisation des souvenirs amers de la guerre de Corée parmi son peuple pour soutenir son régime.
Pour expliquer en partie l’incohérence de ce qu’il a fait et ce qu’on attendait de la troisième génération, je dirais qu’il a dû constamment avoir devant lui la leçon de Saddam Hussein qui n’avait pas d’armes nucléaires, ne pouvait pas se défendre et a été pendu. En voyant ces événements, Kim Jong-un, jeune homme, doit avoir été convaincu qu’il ne pouvait pas se permettre de s’abandonner au luxe. Comme ses adversaires l’ont dit, il peut avoir beaucoup de vices, mais la paresse n’en fait pas partie.
À partir de ce contexte sommaire des deux hommes dont les mains sont sur la gâchette nucléaire, je me tournerai vers leurs choix possibles. Autrement dit, quelle est la gamme de politiques qu’ils doivent envisager ou adopter pour atteindre leurs objectifs, selon eux.
* * *
Selon ce que je comprends ses objectifs, le dirigeant de la Corée du Nord est déterminé à protéger son régime (et bien sûr sa propre vie) et croit qu’il ne peut le faire que s’il a la capacité de porter un coup suffisamment douloureux à tout attaquant pour le dissuader. Comme l’ a écrit Siegfried Hecker, l’ancien directeur du Laboratoire national de Los Alamos, qui s’est rendu sept fois en Corée du Nord et a visité ses installations nucléaires (Bulletin of the Atomic Scientists, 7 août 2017), Kim Jong-un « est déterminé à mettre au point une dissuasion efficace pour tenir les États-Unis à l’écart ». Sa réponse est une arme nucléaire transportée par un missile. A l’inverse, l’objectif annoncé par le président Trump (qui fait généralement écho à celui des administrations précédentes) est d’amener le gouvernement nord-coréen à arrêter son développement d’armes nucléaires et de missiles. Théoriquement, il dispose d’un éventail de politiques pour atteindre son objectif.
En reprenant mon ancien rôle de planificateur de politiques, je diviserais les mesures américaines possibles, le coût de chacune et sa probabilité d’être accomplie de la façon suivante :
  • La première politique possible est ce qu’on pourrait appeler « fanfaronnades et menaces sans action militaire ». C’est ce que le président Trump fait aujourd’hui. Ses débordements semblent bien passer avec ses fidèles partisans, mais ses paroles n’ont apparemment pas eu d’effets sur Kim Jong-un.
Cependant, ses propos ont donné le pire résultat possible : ils ont accru la crainte de l’invasion américaine par la Corée du Nord, renforcé la détermination de Kim Jong-un à mettre au point une capacité d’armement nucléaire transportable, et probablement stimulé la fièvre guerrière des Coréens. Thomas Schelling, avec qui je n’étais pas d’accord sur d’autres points, a eu raison sur cela. Comme il l’ a écrit dans The Strategy of Conflict, [La stratégie du conflit, Ndt] « les fous, comme les jeunes enfants, ne peuvent souvent pas être contrôlés par des menaces » et « s’il ne doit pas réagir comme un lion piégé, [un adversaire] doit avoir un recours tolérable. Nous nous sommes rendu compte qu’une menace de représailles totales donne à l’ennemi toutes les raisons, au cas où il choisirait de ne pas tenir compte de la menace, d’amorcer sa transgression par une attaque totale contre nous ; elle élimine les lignes de conduite moins sévères et l’oblige à choisir entre les extrêmes. »
Alors qu’il faisait ce choix, Kim Jong-un a entendu le président Trump menacer « du feu et de la fureur, comme ce monde n’en a jamais vu auparavant ». (Kim a réagi en menaçant de bombarder la base aérienne américaine sur l’île de Guam « pour donner une bonne leçon aux États-Unis… ») M. Trump a déclaré que l’Amérique était « verrouillée et chargée » et que … « c’en était fini de sa patience… » Et, en plus des remarques sur Internet et devant des auditoires dans toute l’Amérique, il a autorisé un exercice de guerre simulé (connu sous le nom de Foal Eagle 2017) par quelque 300 000 soldats armés de munitions réelles dans le Sud et ses environs. Mais les États-Unis n’ont pas alerté leurs troupes en Corée du Sud, ni leurs avions à Guam, ni leurs navires en mer qu’une flambée des hostilités était imminente. Bref, la menace semblait consister en paroles mais pas en actions.
Le sénateur John McCain, un homme qui a de l’expérience dans le combat, a déclaré que la récente rhétorique enflammée du président Trump sur la Corée du Nord ne ferait qu’attiser le feu pour une éventuelle confrontation, mais rien d’autre. Comme l’écrivait le commentateur politique conservateur Anthony Cordesman le 5 août 2017, « On peut espérer que la ’’crise’’ nord-coréenne s’éloigne des fanfaronnades et contre-fanfaronnades… [puisqu’] une réaction exagérée et des menaces vides discréditent les États-Unis en termes de soutien de leurs alliés et ne constituent pas un outil de négociation utile pour traiter avec d’autres matamores comme Kim Jong Un. »
Conclusion : la probabilité que cette ligne d’action atteigne l’objectif déclaré de la politique américaine est proche de zéro, mais les coûts sont doubles : premièrement, la menace d’une intervention oblige le gouvernement nord-coréen à accélérer l’acquisition des armes mêmes que l’Amérique souhaite le voir abandonner et sert à les conserver pour maintenir ses forces armées en alerte, de peur que les Américains ne convertissent la menace en attaque ou n’entrent en guerre par accident ; deuxièmement, une telle politique porte atteinte à l’image que les Américains veulent donner de gardiens de la paix et de la stabilité, même si ce n’est pas toujours celle de la démocratie et de l’indépendance.
  • La deuxième option consisterait à attaquer certaines cibles, y compris des membres de son gouvernement, avec des forces spéciales et/ou des drones. L’emploi de telles tactiques, même dans des sociétés moins organisées, comme la Somalie, la Libye, l’Irak et l’Afghanistan, a créé le chaos, mais n’ a pas produit ce que leurs partisans avaient prévu. La Corée du Nord est un État enrégimenté avec un niveau de « sécurité » élevé comparable à celui de la Chine. Dans les années 1960, on m’ a ordonné une fois de découvrir ce que la CIA pourrait faire avec de option ou d’une option similaire pour ralentir le développement nucléaire chinois. La CIA envoyait alors des agents en Chine à partir de bases secrètes sur Quemoy et Matsu. J’ai demandé ce qu’ils avaient découvert. L’agent responsable de la CIA a répondu qu’il ne savait pas parce qu’aucun n’était jamais revenu. Cette expérience serait probablement répétée en Corée.
Conclusion : la probabilité qu’une telle action atteigne l’objectif déclaré de la politique américaine est proche de zéro, mais le coût pourrait être catastrophique : une attaque américaine, même si elle était niée et secrète, déclencherait presque certainement une réponse nord-coréenne qui pourrait provoquer une contre-attaque américaine qui pourrait dégénérer en guerre nucléaire.
  • La troisième politique possible serait d’encourager les voisins de la Corée du Nord à tenter de la contraindre à se désarmer et/ou à réduire sa politique militaire. Une telle politique pourrait avoir pour but d’amener la Chine à contrôler les Nord-Coréens et, éventuellement, d’encourager ou de permettre au Japon et/ou à la Corée du Sud d’acquérir des armes nucléaires et, ainsi, de représenter une menace pour la Corée du Nord et indirectement pour les intérêts chinois.
M. Trump a à plusieurs reprises demandé aux Chinois de se conformer à la politique américaine en Corée du Nord et il a exprimé sa déception qu’ils ne l’aient pas fait. Lorsque leurs propres intérêts étaient en jeu, les Chinois imposaient bien des sanctions et réduisaient les importations de charbon, de minerai de fer et de fruits de mer coréens. Mais on ne peut pas s’attendre à ce que la Chine se prête facilement à être un outil de la politique américaine. Elle a aussi des souvenirs de la guerre de Corée et des tentatives pour l’affaiblir ou renverser son régime. Aujourd’hui, elle considère également les États-Unis comme son rival dans le Pacifique. Il est donc peu probable que M. Trump si M. Trump dit qu’ils « ne font rien pour nous avec la Corée du Nord, ils se contentent de parler. Nous ne permettrons plus que cela continue » – il gagnera le soutien des Chinois.
Si ce n’est pas les Chinois, qu’en est-il des Japonais ? Comme je l’ai souligné dans la première partie de cet essai, le Japon est associé à près d’un demi-siècle de régime brutal en Corée. Les femmes coréennes « de réconfort », esclaves sexuelles, cherchent toujours réparation pour les souffrances qu’elles ont subies et l’évocation de leur sort est monnaie courante dans les médias coréens. Le Premier ministre Shinzo Abe, qui a fait pression pour le réarmement du Japon et qui est connu pour sa ligne dure sur la Corée du Nord, n’est pas un bon choix pour convaincre la Corée du Nord de coopérer avec l’Amérique. Encourager le militarisme au Japon suscitera des souvenirs amers dans toute l’Asie de l’Est.
De plus, si le Japon se réarmait avec des armes nucléaires ou si la Corée du Sud se voyait remettre les armes nucléaires, comme M. Cordesman pense que M. Trump pourrait se sentir obligé de le faire, les objectifs globaux et à long terme des États-Unis seraient gravement endommagés: « le remède serait pire que la maladie ». Nous n’avons pas besoin de plus de puissances nucléaires ; l’histoire politique de la Corée du Sud ne donne guère d’assurance d’une politique nucléaire « responsable » ; et il n’ y a aucune raison de croire qu’une Corée du Sud ou un Japon dotés de l’arme nucléaire auraient plus de succès qu’une Amérique dotée de l’arme nucléaire.
Pire encore, si la Corée du Sud et le Japon devaient mettre au point ou acquérir des armes nucléaires, une telle action risquerait de déclencher une ruée d’autres pays pour les acquérir. Le monde était déjà mortellement dangereux lorsque deux États seulement possédaient des armes nucléaires ; le danger d’une utilisation intentionnelle ou accidentelle s’est multiplié lorsque cinq autres États les ont acquises et si le nombre ne cesse d’augmenter, l’utilisation accidentelle ou délibérée deviendra presque inévitable. Il est contraire à l’intérêt national de l’Amérique que les armes soient encore plus répandues, même si certains conseillers du Président Trump semblent minimiser le danger et estiment qu’il est dans l’intérêt de la nation et de son administration que la force nucléaire soit renforcée au niveau national et que sa diffusion sélective à l’étranger est dans l’intérêt de la nation et de son administration.
Conclusion : la probabilité d’amener d’autres à atteindre avec succès les objectifs américains vis-à-vis de la Corée du Nord est proche de zéro. Confrontée à la Corée du Sud et au Japon dotés de l’arme nucléaire, la Corée du Nord accélérerait logiquement son programme d’armement plutôt que de le réduire. La Chine a ses propres politiques et il est peu probable qu’elle serve de substitut aux États-Unis. En outre, le coût de l’armement nucléaire de la Corée du Sud et du Japon est potentiellement énorme.
  • La quatrième option politique théorique serait une attaque contre la Corée du Nord par les américains ou par une « coalition » dirigée par les Américains, semblable à nos deux attaques contre l’Irak et à notre attaque contre l’Afghanistan. L’Amérique pourrait frapper le pays avec presque n’importe quel niveau de destruction, de l’anéantissement total à la démolition ciblée. Sachant qu’ils ne pouvaient pas empêcher les attaques, les Nord-Coréens ont adopté une politique qui ressemble beaucoup à la stratégie de l’Amérique contre l’Union soviétique, la destruction mutuelle assurée ou MAD. Qu’est-ce que cela représenterait dans le conflit coréen ?
Le coût de la guerre pour la Corée du Nord serait presque inimaginable. Si, comme il est fort probable, on utilisait des armes nucléaires comme le général MacArthur l’ a voulu pendant la Première Guerre de Corée, une grande partie de la Corée du Nord deviendrait inhabitable pendant une génération ou plus. Les Coréens qui auraient subi des pertes d’environ une personne sur trois au cours de la première guerre de Corée – tués uniquement par des armes classiques – subiraient des millions de victimes, peut-être de 8 à 12 millions de morts et plusieurs des 26 millions d’habitants blessés ou affectés par la maladie des radiations. Une fois lancée, l’attaque aurait fait ce dommage en quelques minutes ou quelques heures. Alors, comment réagirait la Corée du Nord ?
Leur gouvernement leur ordonnerait de riposter. C’est à cela qu’ils sont constamment entraînés. Comme la guerre de Corée l’ a démontré, les Nord-Coréens sont des combattants déterminés. Il serait idiot de s’attendre à ce qu’ils se rendent.
On dit que l’armée nord-coréenne est la quatrième du monde en nombre, environ 1 million d’hommes, et qu’elle est soutenue par une réserve active environ 5 à 6 fois plus nombreuse sur un effectif potentiel d’environ 10 millions. Cette force est équipée d’environ 10 000 chars et de canons auto-portés.
Les chiffres sont impressionnants mais, comme aux échecs, c’est la position qui compte dans la guerre. On estime que le Nord possède environ 12 000 canons et environ 2 300 roquettes à portée de la capitale de la Corée du Sud, Séoul. Séoul a une population d’un peu plus de 10 millions d’habitants et, en cas d’attaque américaine contre la Corée du Nord, les Nord-Coréens ont déclaré qu’ils l’effaceraient. Comme David Wood l’ a écrit le 18 avril 2017, « En quelques minutes, ces armes lourdes et de faible technicité pourraient commencer la destruction de la capitale sud-coréenne avec des tempêtes de débris de verre, des bâtiments effondrés et des pertes massives qui décimeraient cet allié américain dynamique et enverraient des ondes de choc à travers l’économie mondiale. »
En plus des Coréens du Sud qui souffriraient et mourraient, il y en a environ 30 000 soldats américains en zone d’armistice. Ils sont les otages de la politique américaine, ainsi que les centaines de milliers de personnes à charge, de sympathisants et de familles des soldats vivant à Séoul.
Les Nord-Coréens pourraient-ils mener de telles contre-attaques massives? Il semble qu’il y ait peu ou pas de doute qu’ils pourraient le faire même s’ils étaient soumis à des premières frappes massives, même avec des armes nucléaires. Les Nord-Coréens ont appris dès la première guerre de Corée à utiliser des lanceurs mobiles, difficiles à détecter ou à cibler, et à aller sous terre vers des points de tir préparés. Il est probable que beaucoup d’armes nord-coréennes seraient détruites, mais il y en a tellement que les pièces qui auraient survécu pourraient faire une quantité énorme de victimes. Des photos presque incroyables, tirées de la télévision nord-coréenne, publiées dans The Sun le 26 avril 2017, montrent des centaines de pièces d’artillerie nord-coréenne et de lance-roquettes bombardant la mer. En cas de guerre, ils tireraient sur Séoul.
Et puis il y a les missiles. Le Japon en général, et les bases américaines là-bas et sur l’île de Guam, se situent à portée des fusées nord-coréennes de moyenne portée. Et l’Alaska et la côte ouest des États-Unis sont déjà ou bientôt à portée de tir. La Corée du Nord les utiliserait-elle comme contre-attaque ? Le 7 août, comme l’ a déclaré Business Insider, « La Corée du Nord a lancé un avertissement sans équivoque aux États-Unis: si vous nous attaquez, nous riposterons avec des armes nucléaires ». D’après mon expérience de la crise des missiles cubains, je suis sûr que nous l’aurions fait. Il est peu probable que Kim Jong-un ferait moins que John F. Kennedy.
Si, en réponse à une attaque américaine, les Nord-Coréens frappaient les États-Unis, quel en serait les conséquences ? Loren Thompson a spéculé dans le numéro du 30 août 2017 de Forbes sur « Ce qu’une seule ogive nucléaire nord-coréenne pourrait faire à Los Angeles ». Il a choisi Los Angeles parce qu’elle est ou sera bientôt à portée des missiles nord-coréens et qu’elle serait un choix évident pour menacer de représailles. Avec une population de plus de 13 millions d’habitants, elle est la deuxième plus grande ville d’Amérique. Au moment où j’écris ces lignes, la Corée du Nord semble avoir fait la démonstration d’une arme thermonucléaire un peu moins puissante, environ 7 fois la puissance de la bombe qui a effacé Hiroshima, mais Thompson spécule sur le fait qu’elle aurait été frappée par une bombe qu’elle aura vraisemblablement bientôt, environ 33 fois plus puissante que la bombe d’Hiroshima.
Après une telle frappe, toutes les structures, aussi solidement construites en béton armé qu’elles soient, dans un rayon d’un demi-mille à partir du point zéro, « seraient détruites ou rendues inutilisables de façon permanente ». La quasi-totalité des équipements collectifs (réseaux électriques, conduites d’eau, moyens de transport, etc. seraient rendus inopérants et les services publics (services d’incendie, police, hôpitaux, écoles) seraient détruits ou gravement endommagés. Un nuage de matières radioactives s’étendrait sur une zone beaucoup plus vaste. Et peut-être qu’un million de personnes auraient été brûlées à mort immédiatement, avec beaucoup plus de blessés graves et incapables d’obtenir de l’aide. Et ce ne serait que dans les premières heures ou les premiers jours. Dans les jours qui suivirent, les blessés, souvent brûlés, affamés, assoiffés, terrifiés et désespérés, se réfugieraient dans les banlieues et les villes environnantes, submergeant leurs installations.
Los Angeles ne serait qu’une des cibles. La Corée du Nord n’aurait rien à perdre en utilisant tous ses missiles et ses bombes. Certains pourraient s’égarer ou mal fonctionner, mais d’autres pourraient frapper San Francisco, Seattle, peut-être Denver et plus loin Saint-Louis, Dallas et peut-être Chicago. S’ils atteignaient New York, les dégâts seraient bien plus importants qu’ à Los Angeles.
Conclusion : Comme Steven Bannon, l’ancien « stratège en chef » du président Trump, aurait dit : « Il n’ y a pas de solution militaire [aux menaces nucléaires de la Corée du Nord], oubliez ça. Tant que personne ne résoudra la partie de l’équation qui me montre que dix millions de personnes à Séoul ne meurent pas dans les 30 premières minutes à cause des armes conventionnelles, je ne sais pas de quoi vous parlez, il n’ y a pas de solution militaire ici, ils nous tiennent ». Et le lieutenant-général James Clapper, qui, en tant qu’ancien directeur du renseignement national, ne risquait pas de perdre son emploi, a déclaré à CNN que nous devons accepter « le fait qu’il s’agit d’une puissance nucléaire ». Une attaque contre la Corée du Nord, bien que certainement dévastatrice pour la Corée du Nord, serait certainement trop coûteuse pour l’Amérique. De plus, bien qu’elle empêcherait temporairement la Corée du Nord de poser une menace nucléaire, elle créerait une autre zone de chaos, comme ceux qui ont été créée en Irak, en Somalie et en Afghanistan. Attaquer la Corée du Nord n’est pas un choix rationnel.
  • La dernière option politique est la négociation. Qu’est-ce qui serait négociable et qu’est-ce qui ne le serait pas ? Quelles seraient les modalités? Qu’est-ce qui constituerait un succès et quel serait le résultat d’un échec ? Comment rendre un résultat crédible et comment l’appliquer ?
Je pense que nous devons commencer par reconnaître qu’il serait irrationnel pour la Corée du Nord de renoncer aux missiles et aux armes nucléaires. Malgré l’horreur que j’ai des armes nucléaires, elles sont très attrayantes pour les petits pays. Elles égalisent les règles du jeu. Un proverbe texan de ma jeunesse résume la situation : l’invention du pistolet du cow-boy par M. Colt « a rendu tous les hommes égaux ». L’arme nucléaire est un gros pistolet. C’est la défense ultime.
Si Kim Yong-un abandonnait ses armes nucléaires, alors que nous gardons les nôtres, et avons annoncé que nous avions l’intention de renverser son régime, cela équivaudrait pour lui à se suicider. Il peut être mauvais, comme beaucoup le croient, mais il n’ y a aucune raison de croire qu’il soit un imbécile.
L’Amérique ne pourrait-elle pas proposer au cours des négociations une série d’étapes progressives au cours desquelles, avec le temps, un ralentissement et une élimination définitive des missiles et des armes nucléaires pourraient être échangés contre la fin des sanctions et une aide accrue ? La réponse, je pense, est « oui, mais… » Le « mais » est que Kim Yong-un insisterait presque certainement sur trois choses : la première, c’est qu’il n’abandonnerait pas toutes ses armes et insisterait pour que la Corée du Nord soit reconnue comme une puissance nucléaire ; la seconde, c’est qu’il ne soit pas humilié dans la négociation ; et la troisième, c’est qu’une formule soit trouvée pour garantir l’accord. J’ai abordé les deux premières questions ci-dessus ; j’en viens maintenant à la troisième, à savoir comment garantir l’accord.
L’invasion de l’Irak par le gouvernement Bush en 2001 a montré que l’Amérique pouvait trouver des excuses pour annuler tout engagement qu’elle pouvait prendre, et fournir des excuses pour toute mesure qu’elle souhaitait prendre. L’actuelle poussée de l’administration Trump à renier le traité conclu avec l’Iran et inscrit dans la loi américaine par le Sénat, doit convaincre les Nord-Coréens qu’un traité avec l’Amérique n’est qu’un bout de papier. Ils doivent être convaincus qu’on ne peut pas faire confiance à l’Amérique. Mais si la Chine et la Russie étaient prêtes à garantir l’accord, si le Japon et la Corée du Sud y consentaient et renonçaient également à leur option de fabriquer ou d’acquérir par ailleurs des armes nucléaires, cela pourrait être la première étape d’une série d’étapes qui pourraient être productives. En même temps, l’Amérique devrait renoncer à ses sanctions inefficaces, mettre fin à des actes de provocation comme le jeu de guerre massif à la frontière et le déferlement de menaces, et entreprendre une sorte de plan Marshall pour sortir la Corée du Nord de la pauvreté et de la faim.
Conclusion : Je suis convaincu qu’il ne sera pas possible dans un avenir prévisible d’amener Kim Jong-un, ou tout autre successeur éventuel, à renoncer aux armes nucléaires. Ainsi, il ne peut y avoir de « succès », comme le décrivent les énoncés de politique actuels de l’administration Trump. Mais des arrangements peuvent être trouvés — en engageant la Chine et la Russie comme partenaires dans les négociations, et en renonçant aux menaces et à des politiques aussi nuisibles (et inefficaces) que les sanctions — pour créer progressivement une atmosphère dans laquelle la Corée du Nord peut être acceptée comme partenaire dans le « club » nucléaire. C’est évidemment un pari qui peut échouer. Ce qui est clair, cependant, c’est qu’aucune des solutions de rechange n’ a fonctionné ou ne saurait fonctionner. Pour s’engager dans cette voie, il faudra faire preuve d’une certaine habileté politique, ce que nous n’avons peut-être pas. Si le gouvernement des États-Unis devait décider d’essayer cette option, je pense que les mesures suivantes devront être prises pour entamer les négociations :
  1. Le gouvernement américain doit accepter le fait que la Corée du Nord soit une puissance nucléaire.
  1. Il doit s’engager formellement et irrévocablement dans une politique d’interdiction de la première frappe. C’était la politique envisagée par les Pères fondateurs lorsqu’ils ont refusé au chef exécutif le pouvoir de déclencher une guerre d’agression.
  1. Il doit supprimer les sanctions à l’encontre de la Corée du Nord, et commencer à offrir une aide par étapes pour atténuer les famines actuelles (et éventuellement futures) causées par les sécheresses et les mauvaises récoltes, aider la Corée du Nord à progresser vers la prospérité et réduire les craintes ; et
  1. Arrêter de proférer des menaces et abandonner les jeux de guerre improductifs et provocateurs sur la zone démilitarisée.
Est-ce qu’une administration américaine voudra, ou même pourra aller dans cette direction ? Je pense que la réponse dépendra en grande partie de l’éducation des chefs de gouvernement et du public, dont le niveau d’ignorance des coûts réels de la guerre, en particulier de la guerre nucléaire, est politiquement dévastateur.
Comme je l’ai dit, M. Trump a montré n’avoir aucune idée des coûts de la guerre dans un contexte nucléaire. Le grand public non plus. Les images d’enfants à Guam à qui l’on disait de ne pas regarder la boule de feu, rappellent un conseil ridicule aux écoliers américains pendant la guerre froide de se réfugier sous leur bureau.
La réalité d’une guerre moderne doit être expliquée et enseignée. Je ne sais pas si les enfants coréens reçoivent un tel enseignement, mais leurs parents ou grands-parents l’ont apprise dans leur chair. Cette génération d’Américains n’a jamais vu la guerre de près chez eux, bien que certains de leurs pères l’aient vue en Corée, au Vietnam, en Irak et en Afghanistan. Malheureusement, les souvenirs s’effacent et les Américains d’aujourd’hui ne veulent pas être informés du danger d’une nouvelle guerre. La fuite est l’un des grands dangers auxquels nous sommes confrontés.
Dans la tradition américaine, le président est aussi le professeur de la nation. Nous devons insister pour qu’il s’acquitte de cette tâche, sinon nous pourrions en payer le prix terrible d’une guerre nucléaire.
William R. Polk
Le 4 septembbre 2017
William R. Polk, Licence et Doctorat (Harvard), Licence et Master (Oxford) enseigna à Harvard jusqu’en 1961, date à laquelle le président John F. Kennedy lui demanda de devenir membre du Conseil de planification des politiques, responsable de la planification de la politique américaine pour l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. À ce titre, il a dirigé l’équipe spéciale inter-institutions qui a contribué à la fin de la guerre d’Algérie et a été l’un des trois membres du Comité de gestion de la crise pendant la crise des missiles à Cuba. En 1965, il démissionne pour devenir professeur d’histoire à l’Université de Chicago et, en 1967, il fonde l’Institut Adlai Stevenson des affaires internationales, dont il devient le président. En 1970, à la demande du Premier ministre israélien Golda Meir, il négocie le cessez-le-feu de Suez avec le président égyptien Gamal Abdel Nasser. Parmi ses livres sur les affaires internationales, on peut citer The United States and the Arab World ; The Elusive Peace : The Middle East in the 20th Century ; Neighbors and Strangers : The Fundamentals of Foreign Affairs ; Violent Politics : A History of Insurgency, Terrorism & Guerrilla War, From the American Revolution to Iraq ;Understanding Iraq ; Out of Iraq (avec le sénateur George McGovern) ; Understanding Iran ; et à paraître, Crusade and Jihad.
(1) J’ai traité ces questions en détail dans Neighbors and Strangers : The Fundamentals of Foreign Affairs (Chicago : University of Chicago Press, 1997).
(2) Curieusement, l’Opération Northwoods est à peine connue aujourd’hui. elle a été décrit par l’éminent spécialiste du renseignement, James Bamford dans Body of Secrets (New York : Doubleday, 2001), 82 ff, comme le « lancement d’une guerre secrète et sanglante du terrorisme contre leur propre pays afin d’inciter le public américain à soutenir une guerre mal conçue qu’ils entendaient lancer contre Cuba ». Lemnitzer a menti au Congrès, niant l’existence du plan, et a fait détruire de nombreux documents. Bien qu’il ait été démis de ses fonctions de président du JCS [Joint Chiefs of Staff, comité des chefs d’état major interarmées, NdT] par Kennedy, l’organisation qu’il a formée au sein du JCS a continué à planifier des actions secrètes. Il aurait été surprenant que Kennedy ne s’inquiète pas d’une éventuelle tentative contre son gouvernement.
Source : Turcopolier, William R. Polk, 06-09-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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