Est-ce l'ouverture de la tombe de Salvador Dali – en juillet, dans le cadre d'une demande de paternité finalement rejetée – qui a fait souffler un vent de surréalisme sur la Catalogne ? Lundi 30 octobre, l'ex-président de la Généralité, Carles Puigdemont, était introuvable. Destitué par Madrid le 27 octobre dans le cadre de l'application de l'article 155 de la Constitution espagnole, qui permet la mise sous tutelle de la région, après avoir fait voter une déclaration d'indépendance plus tôt par le Parlement catalan, il était encore à Gérone, sa ville, le dimanche.
Mais lundi, alors qu'à Barcelone les anciens ministres de la communauté autonome se soumettaient à leur destitution sans résister, personne ne semblait savoir où M. Puigdemont pouvait bien se trouver. Ce dernier avait laissé un faux indice en début de matinée : une photo du ciel vu depuis son bureau de la Généralité, postée sur Instagram. Mais les nuages ne correspondaient pas au temps radieux de Barcelone et les journalistes ont eu confirmation en début d'après-midi du départ de l'ancien président catalan. Sur Twitter, l'ancien député Lluis LLach parlait d'
" exil ".
Selon l'agence d'information espagnole Efe, le leader séparatiste a voyagé en voiture avec cinq de ses ministres destitués pour se rendre à Marseille, et de là prendre un vol – ou un train – pour Bruxelles. Mais jusque dans la soirée, la confusion la plus complète régnait dans la capitale belge, où les journalistes traquaient, en vain, leur éventuelle présence.
Le porte-parole de l'Alliance néoflamande (NVA), le parti nationaliste proche de longue date des indépendantistes, a démenti les avoir invités. Pas de commentaire, non plus, de Theo Francken, le secrétaire d'Etat (NVA) à la migration, qui avait indiqué la veille que M. Puigdemont pourrait déposer une demande d'asile à Bruxelles. Le premier ministre belge, le francophone Charles Michel, visiblement embarrassé, a cependant demandé à ses ministres d'éviter tout contact avec M. Puigdemont.
PoursuitesDans l'attente des explications de M. Puigdemont, sa fuite semblait répondre aux poursuites engagées par le parquet espagnol. Lundi, le procureur général de l'Etat, José Manuel Maza, a déposé une plainte pour
" rébellion, sédition, malversation et délits connexes " contre l'ensemble de l'exécutif catalan et les membres du bureau du Parlement qui ont soumis au vote la résolution indépendantiste du 27 octobre. Ces délits sont passibles de quinze à trente ans de prison. Il a demandé en outre qu'une caution de 6,2 millions d'euros soit fixée pour les vingt personnes poursuivies et qu'elles soient citées à comparaître
" au plus vite ".
Selon le parquet, les dirigeants indépendantistes ont encouragé un
" mouvement d'insurrection active " au sein de la population
" dans le but d'atteindre leur objectif sécessionniste ". L'organisation du référendum d'indépendance du 1er octobre est décrite comme un
" soulèvement violent encouragé par les inculpés " pour qu'un
" secteur de la population partisan de la sécession désobéisse publiquement et montre sa résistance collective à l'autorité légitime de l'Etat ". Les réquisitions considèrent que la déclaration d'indépendance cherchait à s'appuyer sur le
" contrôle exclusif des Mossos d'Esquadra - la police catalane -
, avec l'effet potentiellement intimidant que ceux-là représentent ".
Pour le gouvernement espagnol, la disparition de M. Puigdemont ne vient en rien entacher le succès de la mise sous tutelle de la région.
" Il est désespéré ", s'est contenté de commenter le coordinateur du Parti populaire (PP), Fernando Martinez Maillo.
" Mariano Rajoy a sauvé l'Espagne d'un plan de sauvetage de l'économie et maintenant il est en train de sauver la Catalogne sans avoir besoin d'en prendre le contrôle ", a-t-il ajouté. Le chef de l'exécutif, qui s'est gardé de faire des commentaires, savoure sa victoire. Même le chef de file du parti de la gauche radicale Podemos, Pablo Iglesias, l'a salué :
" Rajoy, pour une fois, a eu des réflexes et a agi avec audace ", a-t-il déclaré à propos de la convocation d'élections régionales dans moins de deux mois, une décision qui a pris les indépendantistes de court.
Alors que les séparatistes avaient parié sur une grande mobilisation sociale pour défendre les institutions qu'ils imaginaient prises d'assaut par la police nationale, et sur une mise sous tutelle prolongée qui leur aurait permis de continuer à chercher des soutiens internationaux, ils ont dû se résoudre à prendre rapidement une décision sur leur participation aux élections du 21 décembre. Et, malgré le recul et la contradiction que suppose le fait de se soumettre à ce scrutin local alors que la République vient d'être proclamée, ils n'ont pas douté longtemps.
" Pas peur des urnes "
" Notre priorité est de consolider une République qui est fragile ", a expliqué le porte-parole de la Gauche républicaine (ERC) catalane, qui a qualifié les élections de
" piège "tout en assurant que la formation
" trouvera une manière de participer ". " Nous n'avons pas peur des urnes car elles sont une opportunité de défendre notre projet de pays, a pour sa part déclaré Marta Pascal, la porte-parole du Parti démocrate de Catalogne (PdeCAT, droite nationaliste) de M. Puigdemont.
Nous chercherons la meilleure formule pour que les partis souverainistes obtiennent la majorité absolue. "
Dans la nuit de lundi à mardi, l'association indépendantiste Assemblée nationale catalane (ANC) a elle aussi rendu les armes. Alors que son président se trouve en prison préventive, accusé de sédition, tout comme le président de l'association Omnium Cultural, elle a demandé aux indépendantistes
" d'obtenir une victoire incontestable qui légitime la République ".
Seule la formation d'extrême gauche révolutionnaire Candidature d'union populaire (CUP) n'a pas encore confirmé sa participation au scrutin, qu'elle a qualifié d'
" illégitime "." Nous aimerions que soient approuvés les premiers décrets que doit prendre la nouvelle République, a déclaré sa dirigeante Mireia Boya,
que Puigdedemont soit ici, à Bruxelles ou ailleurs. "
Jean-Pierre Stroobants, et Sandrine Morel
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