Le gouvernement a beau s'en défendre, pour les uns, la réforme de l'entrée à l'université instaure une " sélection qui ne dit pas son nom ". Pour les autres, au contraire, elle garantit que le bachelier aura " le dernier mot " dans son choix d'orientation. Le plan Etudiants, annoncé lundi 30 octobre par le premier ministre, Edouard Philippe, et la ministre de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal, suscite de fortes divergences d'analyse. Pour ne pas dire un grand écart d'interprétation.
Pour mettre fin au tirage au sort pratiqué pour départager les candidats dans les licences dites " en tension ", où le nombre de places ne suffit pas à répondre à la demande, le gouvernement veut remettre à plat l'ensemble du système. Désormais, les universités fixeront un ensemble d'" attendus " – des compétences jugées nécessaires pour rejoindre leurs licences. Celles-ci pourront, après avoir examiné les dossiers des lycéens apporter différentes réponses à leur vœu. Soit un " oui ", soit un " oui, si " signifiant une acceptation dans la filière à condition de suivre une année de remise à niveau. Troisième possibilité, elles pourront placer les lycéens sur " liste d'attente " lorsque la filière est surchargée.
" Il ne sera pas possible de refuser un étudiant en licence à partir du moment où les capacités d'accueil seront suffisantes ", mais, quand elles seront atteintes,
" cela se fera en fonction de la motivation et des aptitudes ", a précisé Mme Vidal, lundi.
Déjà, le ton monte dans plusieurs organisations syndicales, qui appellent à la mobilisation le 16 novembre contre la
" sélection " à l'entrée de l'université.
" Désormais, les universités vont pouvoir dire non à un candidat ", dit Lilâ Le Bas, la présidente du syndicat -étudiant UNEF.
" Le gouvernement -entérine clairement la possibilité de sélectionner ", dénonce Hervé Christofol, du Syndicat national de l'enseignement supérieur. Avec, pour conséquence, d'après le président de l'organisation lycéenne FIDL, Valentin Heitzler, de
" réserver l'enseignement supérieur aux “premiers de cordée” – pour reprendre l'expression d'Emmanuel -Macron. Toute une partie de la jeunesseva se retrouver discriminée ".
Vigilance
" Le tirage au sort et l'échec en licence étaient déjà une forme de sélection. Nous préférons cette autre sélection, plus vertueuse, pour la réussite des étudiants ", réagit, à l'inverse, Gilles Roussel, à la tête de la Conférence des présidents d'université (CPU).
Pas de mot
" sélection "
, en revanche, dans l'interprétation de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), premier syndicat étudiant :
" La réforme marque la concrétisation du principe du dernier mot au bachelier, se réjouit Jimmy Losfeld, le président.
C'est une victoire idéologique qui va dans le sens d'une université ouverte, alors qu'on partait de loin avec un discours d'Emmanuel Macron pro-sélection. "
La FAGE concède toutefois un point de vigilance concernant ces filières en tension :
" Il est hors de question que le manque de places occasionne de la sélection, avertit M. Losfeld.
La seule solution, c'est d'augmenter les capacités d'accueil des licences et de développer des pédagogies permettant d'accueillir le plus grand nombre. " La ministre s'est engagée à créer 130 000 places dans l'enseignement supérieur durant le quinquennat – avec un soutien financier de 500 millions d'euros.
Une autre garantie de non-sélection, selon certains, est apportée par le rôle donné au recteur d'académie : lorsqu'un lycéen n'aura reçu aucune réponse favorable à ses vœux, une commission présidée par celui-ci devra lui proposer une formation.
" Le dernier mot va revenir au bachelier, estime Franck Loureiro, du SGEN-CFDT.
Le recteur est désormais garant du droit à la poursuite d'études de chaque bachelier ; il pourra, in fine, imposer l'inscription dans la filière que l'élève souhaitait rejoindre. "Une interprétation que contestent les présidents d'université : pour eux, pas question de se voir imposer ainsi des étudiants.
L'annonce de la réforme a provoqué de la même manière des lectures antagonistes dans la classe politique. L'ancien ministre de l'éducation Benoît Hamon a estimé
dans
Libération que
" le gouvernement généralise la sélection à l'université pour tous les étudiants ". La France insoumise a dénoncé ce
" tri sélectif " et appelle la jeunesse à se mobiliser contre le projet. Chez les élus de droite, en revanche, on déplore les
" demi-mesures ", des mots d'Annie Genevard, secrétaire générale adjointe de LR (Les Républicains), avec un
" dernier mot aux élèves " et le " libre choix qui reste la règle ".
Le projet de loi, qui sera présenté en conseil des ministres le 22 novembre pour mener cette réforme, ne manquera pas d'être scruté à la virgule près. Particulièrement le sort qu'il réservera à l'article 612-3 du Code de l'éducation, qui encadre la marche à suivre lorsque le nombre de candidats dépasse celui des places en licence et selon -lequel
" les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection " à l'université
.
Au-delà du débat autour de la sélection, reste de nombreuses interrogations sur la faisabilité de cette réforme dans un calendrier serré – le nouveau système doit être mis en place dès janvier 2018.
" On ne sait pas encore très bien comment nous allons pouvoir examiner les dossiers de l'ensemble des lycéens ", reconnaît Gilles Roussel. Alors qu'on peut s'attendre, en 2018, à plus de deux millions de vœux que recevront les universités. Quels outils seront mis en place pour aider les universités à gérer ce flux ? Quels critères seront automatisés ? Tout reste à définir.
De même, comment les universités vont-elles pouvoir, dans des délais si courts, mettre en place les nouveaux parcours de remise à niveau ? L'enveloppe de 500 millions – à laquelle s'ajoutera une partie des 450 millions du grand plan d'investissements – paraît largement
" insuffisante ", aux yeux des représentants du monde universitaire, alors que 40 000 étudiants de plus sont attendus en 2018.
Enfin, quel sera le poids du -conseil de classe, qui devra désormais formuler des
" recommandations " sur l'orientation demandée par chaque lycéen et rendre un avis qui sera transmis aux universités ?
" Je ne vois pas comment, nous, professeurs de terminale, on peut se prononcer sur la capacité d'un élève à intégrer l'une ou l'autre des quelque 12 000 formations existantes, estime Claire Guéville, du SNES-FSU
. Cela revient à donner aux enseignants le pouvoir d'accorder ou non un droit de poursuite d'études. Un exercice qui nous semble périlleux. "
Aurélie Collas et Camille Stromboni
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