Les actualités judiciaire et politique se sont télescopées lundi 27 novembre dans la salle d'audience numéro un du palais de justice de Fontainebleau (Seine-et-Marne). Sur le banc de gauche, une adolescente de 14 ans, Dr Martens aux pieds, sucette à la bouche, queue-de-cheval blonde : Emilie (le prénom a été modifié). Sur le banc de droite, un professeur de mathématiques âgé de 31 ans, allure de gendre idéal, rasé de près, pull gris sur chemise blanche : Léo T.
Ce dernier comparaissait pour " atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans " envers celle qui était son élève de 4e l'an passé dans un collège de Champagne-sur-Seine, à quelques kilomètres de là. En plein débat sur l'âge minimum du consentement à un acte sexuel, notion encore inexistante dans le droit, mais que le gouvernement souhaite instaurer en 2018 et fixer entre 13 et 15 ans, cette affaire avait des airs de cas d'école.
Par ailleurs, deux décisions dans des dossiers impliquant des filles de 11 ans et des hommes majeurs ayant récemment secoué l'opinion – un acquittement pour un viol présumé dans un cas, la qualification d'" atteinte sexuelle " et non de " viol " retenue dans l'autre –, la conjoncture promettait de mettre les juges de Fontainebleau sous pression. Ils n'y ont pas cédé, en prononçant une peine de dix-huit mois de prison avec sursis, alors que le prévenu encourait jusqu'à dix ans ferme.
Ce jugement traduit la réalité complexe d'une affaire plus nuancée que la caricature qui pouvait en être faite. L'histoire de Léo T. et d'Emilie n'est pas celle d'un pédophile et d'une proie sans défense, a décidé le tribunal, mais celle de deux êtres manifestement dépassés par leurs sentiments, ce qui a abouti, pour l'un des deux, à franchir les limites de la loi.
L'affaire débute en février. L'élève contacte son professeur sur Instagram et lui déclare sa flamme.
" Je ne veux pas finir en prison, il ne se passera jamais rien entre nous ",répond-il. Elle insiste. Il concède :
" J'étais clair au départ. Et puis en avril j'ai dit non, mais moins clairement. Je disais qu'il ne se passerait rien tant qu'elle n'aurait pas 18 ans. "
" On s'aimait "La porte est ouverte, la correspondance se poursuit.
" Je me suis attaché à elle. "Premiers baisers et premières relations sexuelles en juin, dans le plus grand secret. La relation dure tout l'été. Emilie fait le mur la nuit pour voir son professeur, qu'elle retrouve aussi parfois en journée. Il l'emmène au Parc Astérix et la couvre de cadeaux. Les choses se compliquent quand la jeune fille s'éprend d'un garçon de son âge, ce qui rend Léo T. terriblement jaloux.
L'histoire prend fin début novembre, lorsqu'un copain de la collégienne informe la famille de la situation. Deux jours plus tard, le beau-père d'Emilie – qu'elle considère comme son vrai père – surprend le professeur en train de rôder près de chez eux. Il appelle la police après l'avoir brutalisé et enfermé dans sa voiture – ce qui lui vaudra d'être jugé en février 2018 pour violences et séquestration.
A la barre, l'enseignant semble se rendre compte de l'ampleur de sa faute au fil des questions de la présidente.
" Pour vous, c'était une relation amoureuse classique ?
– Oui.
– Vous aviez occulté son âge ?
– Quand j'étais avec elle, son âge n'avait aucune importance. On s'aimait. Et on était plutôt heureux ensemble.
– Ne pensez-vous pas qu'Emilie était une ado fragile - elle était alors dépressive, et avait par ailleurs été victime d'abus sexuels commis par
son père dans son enfance -
, et que vous avez profité de sa fragilité ? "
Silence.
" Vous n'avez pas compris la question ?
– Si. "
Silence.
" Effectivement, oui, sûrement, maintenant… Je ne sais pas -comment j'en suis arrivé là.J'ai complètement dérapé. Je m'en -excuse. Il faut que je suive une thérapie. " C'est prévu par l'obligation de soins figurant dans le jugement, au côté de l'interdiction d'exercer une activité impliquant un -contact avec un mineur. Léo T., dont l'expert psychiatre a souligné le décalage entre
" hyper-maturité intellectuelle et immaturité affective ", a été jugé
" curable et réadaptable ".
Emilie se présente à son tour à la barre, alors que, deux mètres derrière, le maquillage coule sur les joues de sa mère, qui avait elle-même rencontré le père de sa fille à 14 ans alors qu'il en avait 26, et était tombée enceinte à 17. Lors de son audition par la police, quarante-huit heures après les faits, la collégienne avait pris la défense de son ancien professeur, quelqu'un de
" doux, gentil, attentionné " : " Il ne m'a jamais obligée à avoir des relations sexuelles, j'étais toujours consentante. " Elle avait menacé de se suicider s'il allait en prison.
Au tribunal, le discours a changé.
" Je pense avoir été manipulée ", lance-t-elle d'emblée. La présidente recadre gentiment l'adolescente, qu'elle soupçonne d'avoir appris par cœur un texte dicté par ses parents ou son avocate, et lui demande de se concentrer sur les faits,
" pas sur des choses ingérées, digérées et répétées ".
" Quels sentiments aviez-vous vis-à-vis de lui ?
– J'étais amoureuse.
– Pour vous, c'était votre petit -copain ?
– Oui.
– Mais vous saviez que c'était -interdit, il vous l'avait dit ?
– Oui. "
L'élève de 3e, qui cherche aujourd'hui un nouveau collège, conclut son audition en se disant
" salie, parce qu'il m'a fait faire des choses qui n'ont pas lieu d'être à mon âge ". " Il n'y a pas eu de -contrainte morale ", estime quant à elle la procureure, qui avait requis cinq ans, dont deux avec sursis :
" Emilie, lorsqu'elle a compris l'interdit, a consenti librement à cette relation amoureuse. Mais ce professeur n'avait absolument pas le droit de profiter de cette situation d'autorité. Cette relation, même si Emilie avait la capacité d'en être consciente, est interdite. " Le tribunal a condamné cette relation avec mesure, sans céder à la pression du débat qui agite la société française, ni transformer ce procès en tribune.
Henri Seckel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire