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dimanche 10 septembre 2017

En France, une semaine décisive pour la réforme du travail.....

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En France, une semaine décisive pour la réforme du travail

Après les récentes ordonnances destinées à libéraliser le marché du travail, les chefs d’entreprise français sont dans le collimateur des organisations syndicales. Vont-ils répondre à ces premières réformes par des embauches et des investissements accrus?
Publié dimanche 10 septembre 2017 à 16:16, modifié lundi 11 septembre 2017 à 08:12.

Massey Ferguson et Toyota. Un constructeur de tracteurs et le numéro deux mondial de l’automobile. Point commun? Deux sites de production en France: à Beauvais (Oise) et Valenciennes (Nord)… et des annonces de création d’emplois. Pour AGCO, le vrai nom de l’entreprise qui fabrique les tracteurs Massey Ferguson dirigée par un patron allemand, Martin Richenhagen: plus de 500 embauches d’ici un an. Chez Toyota, dont l’usine de Valenciennes est dirigée par le Nordiste Luciano Biondo, 300 intérimaires seront bientôt intégrés, et plusieurs centaines d’emplois suivront si l’usine française qui produit les Yaris accueille, à partir de 2018, la production d’un autre véhicule de la marque nipponne.
Lire également notre éditorial: Les «fainéants» et les réformes
Vent d’optimisme sur les entreprises? «Le risque de licenciements massifs à la faveur de la libéralisation du marché du travail ne me paraît pas tenir la route», juge Philippe Gudin, économiste chez Barclays, convié par le Ministère français du travail à commenter les chiffres du chômage, toujours très élevés (près de 10%) mais en recul et au niveau le plus bas depuis le 1er trimestre 2012. «La France est dans une conjoncture positive – 1,6% de croissance attendu pour 2017 – et le gouvernement a entamé de suite les réformes. Si l’on ajoute le changement dans la perception de l’Hexagone à l’étranger, l’aspect positif l’emporte.»

Besoin d'oxygène

L’enjeu est décisif. Ce mardi aura lieu la première journée de manifestation contre les cinq ordonnances présentées le 31 août pour libéraliser le marché du travail. Or, depuis, le front social s’est durci. Ce week-end, dans la Creuse, les salariés du sous-traitant automobile GM&S ont de nouveau protesté pour dénoncer le plan de reprise validé par le Tribunal de commerce de Poitiers, qui prévoit le maintien de 120 salariés sur 277.
A Saclay (Essonne), les syndicalistes de Nokia sont sur le pied de guerre depuis l’annonce d’une réduction de 10% des effectifs dans l’Hexagone. Cela, alors que la reprise pointe et que les 40 entreprises de l’indice boursier parisien CAC 40 ont accumulé 51 milliards de profits depuis janvier, soit 25% de plus qu’un an auparavant…
«Nous avons besoin d’oxygène. Sans embauches, nous risquons de nous fracasser sur deux obstacles: la colère sociale, et la rébellion de la majorité parlementaire qui ne restera pas sourde au mécontentement venu d’en bas», reconnaît un cadre du Ministère du travail. Le gouvernement, prudent, s’est d’ailleurs gardé d’ouvrir les vannes qui auraient pu conduire les grandes entreprises à débaucher, ou à ne pas prendre leurs responsabilités en matière d’emploi.
Les 35 heures hebdomadaires, qui peuvent être renégociées au sein des entreprises, restent en vigueur. L’exonération des charges sur les heures supplémentaires – mesure très populaire chez les patrons instaurée par Nicolas Sarkozy puis abrogée par François Hollande – a été reportée à 2018. Les ordonnances facilitent surtout le dialogue social et limitent les risques pour les patrons en cas de licenciement.

Une rupture

Un bon point pour l’ancien PDG de la SNCF et d’Elf Loïk Le Floch-Prigent, blogueur très suivi sur l’industrie: «L’objectif de Macron est de desserrer l’étau sur les PME. C’est très bien vu. C’est là que les décisions d’embauche peuvent être prises vite. Est-ce assez pour les patrons? Non. Est-ce une rupture? Oui.»
Jean-Philippe Hubsch dirige Assurances Conseils, une PME en Moselle. «Je suis convaincu que les ordonnances n’augmenteront pas le nombre de licenciements, mais fluidifieront les embauches grâce au plafonnement des indemnités en cas de recours aux Prud’hommes. C’est la fin de la loterie juridique. C’était indispensable», expliquait-il aux Echos après les annonces gouvernementales. Plusieurs PME familiales tricolores en bonne santé financière – comme la Vie Claire, Babolat ou Eric Bompard – ont aussi témoigné de leur «envie d’embauche» lors de l’université d’été du Medef, l’organisation faîtière du patronat.
Promesse crédible? «On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, nuance Xavier Timbeau, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La réalité est qu’en France, la qualité de l’emploi s’est fortement dégradée. L’intérim et le temps partiel ont beaucoup augmenté. L’intégration de ces employés sera le premier test.»
L’expert en relations sociales Raymond Soubie, ex-conseiller de Sarkozy, ajoute: «L’appréciation des difficultés économiques au niveau national en cas de licenciements est un autre déclencheur. Cela va rassurer les investisseurs internationaux qui ne comprenaient pas la prise en compte de leur situation au niveau mondial pour décider de l’emploi en France.» Soit.
Et après? Comment convaincre les Français, contraints d’attendre la réforme de l’assurance chômage (Emmanuel Macron a promis de l’élargir aux salariés démissionnaires et aux indépendants), qu’ils n’ont pas tout perdu au change en ce début de quinquennat: «Les trois prochains mois vont être décisifs, avouait récemment auMonde le patron de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar. A l’heure des choix, la main d’Emmanuel Macron, comme celle des patrons, ne doit pas trembler.»

«Les patrons français doivent se montrer solidaires et généreux»

Pour le communicant Richard Attias, qui organisait à Paris le 1er septembre son premier «forum de l’économie positive», le secteur privé doit répondre aux initiatives du gouvernement
Chez Publicis, Richard Attias fut longtemps chargé de l’organisation du Forum économique mondial de Davos. Il a créé, depuis, le New York Forum Africa et a inauguré à Paris, le 1er septembre, le premier Forum global de l’économie positive avec Jacques Attali. Spécialiste de l’attractivité, il livre au Temps les raisons de son optimisme sur les transformations françaises en cours.
Le Temps: Parler «d’économie positive» en France en ce début de quinquennat Macron, c’est un choix délibéré?
Richard Attias: Nous avions, avec Jacques Attali, envisagé ce forum bien avant l’élection du nouveau président français. L’idée est simple: mettre en avant les entrepreneurs innovants, pionniers, porteurs de nouvelles formes de solidarités internationales. Nous avions juste mis une condition: pas question d’organiser un tel événement en France en cas d’élection de Marine Le Pen! Après l’accession d’Emmanuel Macron à l’Elysée, tout s’est donc passé très vite. Le président de la République nous a d’emblée accordé son parrainage, puis il nous a reçus pour préparer l’édition 2018. Il est clair que cet axe de l’économie positive est le sien. C’est de cette façon, nous a-t-il expliqué, que la France peut «renverser la table» et se transformer.
- A vous entendre, l’essentiel est fait. Place à la «nouvelle France»?
- Nous n’en sommes pas là. Mais, vu de l’étranger, je constate que la donne a radicalement changé en quelques semaines. Nous étions nombreux à penser que ce pays ne pouvait plus continuer avec un tel niveau d’endettement, de déficit et d’obstacles à la liberté d’entreprendre. Pour moi, et je l’ai souvent dit, la France est condamnée à se réformer parce qu’elle doit se transformer. Ce n’est pas une possibilité. C’est une obligation. Ce qui se passe aujourd’hui est par conséquent un grand moment de vérité. Pour la première fois, une équipe bipartisane gauche-droite est aux commandes du pays. L’accent mis sur les petites et moyennes entreprises correspond aux besoins de la nouvelle économie et du secteur numérique. Tout peut bouger très vite si tout le monde rame dans le même sens et si deux éléments indispensables sont au rendez-vous: la pédagogie et le dialogue. Les Français ont besoin qu’on leur explique les raisons de ces indispensables bouleversements.
- Vous militez pour une plus grande liberté d’entreprendre, et pour une baisse des charges. Mais les patrons n’ont-ils pas, eux aussi, des devoirs pour transformer la France?
- Les patrons français se sont fait beaucoup cracher dessus. On ne peut pas non plus les obliger à embaucher. C’est une réalité. Mais ils doivent répondre aux initiatives gouvernementales actuelles. Le secteur privé a les moyens. Les entrepreneurs, comme les dirigeants de grandes entreprises, doivent se montrer solidaires et généreux. C’est fondamental et c’est d’autant plus indispensable que la reprise économique se confirme en Europe. D’autres réformes doivent suivre, en particulier sur le plan fiscal. Les taxes doivent être allégées. Mais il faut bouger et agir. Maintenant.

Des syndicats divisés, une opinion indécise

Les deux appels à manifester du 12 puis du 23 septembre démontreront si la France est, ou non, toujours tentée par la confrontation sociale
Un livre plutôt que des discours: ces jours-ci, les délégués syndicaux CGT de Nokia France brandissent un ouvrage aux reporters qu’ils rencontrent. Dans Les Enchaînés (Ed. Les Arènes), le journaliste Thomas Morel décrit son expérience d’un an comme travailleur précaire, dans cinq entreprises consécutives de la région lilloise: une fabrique de chocolats en boîte, un centre d’appels, une société de rachats de crédit et une usine automobile… A chaque fois, l’auteur y a été embauché pour quelques semaines seulement, pour un salaire mensuel entre 1500 et 1700 francs.
«Voilà la société qu’ils nous préparent et contre laquelle nous défilerons le 12 septembre», lâche Jean, de la CGT Nokia. L’entreprise, qui a racheté en 2015 Alcatel-Lucent, vient d’annoncer le 6 septembre la suppression de 600 emplois d’ici à 2019 sur 5000 en France, après 400 licenciements en 2017. La CGT, premier syndicat de France avec 600 000 adhérents, compte mardi sur plus de 150 manifestations à travers l’Hexagone, avec le soutien de Solidaires et de la FSU. La CFDT et Force ouvrière, les deux autres syndicats français les plus puissants, resteront en marge, convaincus qu’ils peuvent davantage peser grâce aux nouvelles possibilités de négociations dans les branches ouvertes par les ordonnances Macron. La CFDT rassemblera ses militants le 3 octobre, après l’entrée en vigueur des textes.
Pour la CGT, l’objectif est «une lutte dans la durée» jusqu’à fin 2017. Le syndicat reste toutefois en dehors de l’autre grande journée sociale du 23 septembre, à l’appel de La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon qui, après avoir dénoncé un «coup d’Etat social», promet «une nouvelle vague dégagiste». Plusieurs anciens ténors du Parti socialiste, dont le candidat à la présidentielle Benoît Hamon, défileront ce jour-là. Avec une question: la volonté des Français à se mobiliser. Selon deux sondages publiés après la divulgation des ordonnances, l’incertitude est de mise. 42% y sont favorables et 58% opposés, selon Louis Harris Interactive, tandis qu’une enquête Odoxa indique que 52% des personnes interrogées croient à des conséquences «positives» sur l’emploi. Six Français sur dix environ, d’après les deux sondages, concèdent que les Français détestent les réformes. Et 60% jugent qu’Emmanuel Macron ira jusqu’au bout «de toute façon». De quoi expliquer les divisions syndicales.

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