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29
Sep
2017
« Pas d’accord » entre l’Allemagne et Elsevier : quelles seraient les conséquences ? Par David Matthews
Source : Times Higher Education, David Matthews, 03-08-2017
Les institutions allemandes et le géant de l’édition ont encore échoué à s’entendre sur un nouvel accord. Cela pourrait-il devenir définitif ?
Oubliez le Brexit — il y a une autre négociation européenne en cours qui devrait intéresser au plus haut point les universitaires.
Cela fait maintenant plus de huit mois depuis que le géant de l’édition hollandais Elsevier et les institutions de recherches allemandes devraient être parvenus à un accord sur la renégociation de leurs licences d’abonnement. Mais nous voilà en août et il n’est toujours pas question d’un accord. Au contraire, les déclarations des deux côtés semblent plus acerbes qu’entre Bruxelles et Londres.
« Nul ne peut mettre en doute que nous prenions cela au sérieux », a déclaré en juin Horst Hippler, le président de la Conférence des recteurs des universités allemandes, à propos des demandes des institutions allemandes. Pour sa part, Elsevier a accusé la partie allemande d’avoir « unilatéralement » annulé un récent atelier de discussion, un geste qu’il a qualifié de « décevant et préoccupant ».
Ce conflit est important parce que c’est sans doute actuellement la plus importante tentative de chercheurs pour obtenir d’Elsevier, croque-mitaine de nombreux universitaires qui estiment qu’il bénéficie de profits excessivement élevés et a traîné les pieds quant au libre accès, qu’il change son modèle économique.
L’Allemagne veut un libre accès total aux articles rédigés par ses universitaires; une baisse générale des coûts; et, de la part d’Elsevier, de facturer en réalité chaque article publié, en déduisant les coûts de fabrication de l’article des frais d’abonnement.
Cette dernière exigence peut se révéler un point d’achoppement particulièrement difficile. L’éditeur a catégoriquement insisté pour garder séparés ces deux formes de tarifs de publication —l’abonnement et l’accès ouvert. Il semble que si on parvient à un accord, une des parties devra reculer par rapport à une ligne rouge.
Un peu comme pour le Brexit, le résultat d’une négociation dépend de jusqu’où l’une ou l’autre partie peut se permettre de reculer.
Les universités allemandes peuvent-elles vraiment jeter entièrement par-dessus bord Elsevier? Celles-ci, de leur côté de la table des négociations, tiennent certainement un discours musclé. En mars dernier, un membre du groupe de négociation allemand a dit qu’il était enclin à « laisser tomber » Elsevier. Ils prétendent qu’il est possible d’obtenir l’accès aux articles Elsevier par d’autres sources, comme des dépôts universitaires, des réseaux sociaux universitaires ou même le site pirate Sci-Hub.
Au moins une dizaine d’institutions allemandes (plus petites) ont commencé l’année sans au moins un accès partiel aux revues Elsevier (seuls les contrats de certaines institutions ont expiré au début de l’année, donc tout le monde n’est pas affecté par l’impossibilité d’accepter un accord de remplacement national). Chose intéressante, dans les six semaines, Elsevier a rétabli l’accès gratuitement, une façon de dire nous ne savons pas à long terme comment les universités feront face.
Quand j’ai questionné Elsevier sur un scénario « pas d’accord », ils ont indiqué que sans accès, les classements universitaires allemands et leur capacité d’attirer des universitaires talentueux pourraient en souffrir.
En effet, vous pouvez imaginer qu’avec un accès aux articles devenu plus compliqué en Allemagne que dans d’autres pays, cela pourrait à la limite dissuader les meilleurs chercheurs et ralentir le système scientifique du pays (ralentissement qui dépend de la facilité avec laquelle les chercheurs allemands peuvent obtenir des articles d’autres sources). Mais si les abonnements d’Elsevier sont vraiment aussi exorbitants que le côté allemand l’affirme, l’argent économisé pourrait-il valoir le coup ?
Qu’en est-il de l’autre part ? Comment l’option « pas d’accord », pourrait-elle affecter Elsevier?
Ce serait évidemment un coup financier gênant de perdre beaucoup de contrats avec des universités du pays le plus riche d’Europe. Mais cela gripperait à peine les rouages. Selon les comptes 2016 de la société mère d’Elsevier, le Groupe RELX, à peine plus d’un quart du revenu de l’éditeur provient d’Europe; les profits étaient en hausse l’an passé de 3 pour cent car l’entreprise a sorti 64 revues supplémentaires. La marge bénéficiaire de l’éditeur — 36,8 pour cent — reste assez élevée pour faire grimacer beaucoup d’universitaires.
Mais si d’autres pays voyaient l’Allemagne se soustraire à un scénario « pas d’accord », pourraient-ils en faire autant avec des ramifications beaucoup plus grandes pour l’éditeur ?
Et finalement, une des plus grandes inconnues est, en cas de « non accord » les chercheurs allemands continueront-ils à publier dans des revues d’Elsevier ? Il n’y aurait rien pour les empêcher de continuer de le faire, même si leurs bibliothèques n’y avaient pas accès, particulièrement si la publication dans des revues « prestigieuses » reste un moyen d’obtenir de la promotion. Mais si « pas d’accord » signifiait qu’un des plus grands pays de recherche au monde a commencé à se détourner d’Elsevier, les universitaires d’autres pays prendraient-ils autant au sérieux leurs revues?
Pour autant que les bruyants communiqués de presse d’universités allemandes menacent de rompre leurs contrats, nous pouvons tout aussi bien terminer par un compromis, peut-être une sorte d’engagement à l’accès ouvert partiel (comme celui que les Hollandais ont organisé pendant leurs pourparlers) et une esquive sur la façon dont les coûts sont calculés qui sauvera les apparences.
Cependant, rien n’a été encore réglé. Dès la fin de l’année, de grandes universités à Berlin et Baden-Württemberg rompront leurs contrats. Le temps presse.
Source : Times Higher Education, David Matthews, 03-08-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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