Cette fois, c’est sérieux. Jusqu’à présent la crainte suscitée par la montée du Front national avait comme limite la théorie du «plafond de verre», selon laquelle Marine Le Pen se heurterait, quoi qu’il arrive, à l’hostilité des deux tiers de l’électorat et donc qu’elle ne pourrait réunir sur son nom la majorité nécessaire à son accession au pouvoir, quand bien même le Front continuerait à progresser.
La campagne surréaliste qui se déroule sous nos yeux fait craqueler cette ancienne conviction. Les commentateurs ont déjà relevé les nombreux facteurs qui favorisent le parti lepéniste : la persistance de la crise sociale, les attentats terroristes, les difficultés européennes dans la gestion des réfugiés, les troubles en banlieue, le discrédit des institutions de Bruxelles, les affaires qui empoisonnent la vie démocratique, le rejet des élites… A cela s’ajoutent la victoire de Donald Trump et le Brexit, qui tendent à faire précédent en montrant que la victoire des courants nationalistes dans les grandes démocraties n’est plus une perspective abstraite. Jour après jour, l’actualité fait le miel des frontistes sans qu’ils aient besoin de faire campagne.
Solidement installée sur un socle de quelque 25% d’électeurs, Marine Le Pen fait figure de favorite pour accéder au second tour. Peut-elle gagner le duel qui s’ensuivra? Jusqu’ici on répondait non. Mais si l’on se livre au jeu des hypothèses, les certitudes chancellent. Dans deux cas au moins le risque prend corps. Si un Fillon affaibli parvient à se hisser dans la compétition finale, pourra-t-il rallier sur son nom les électeurs du centre et de la gauche sans lesquels il ne peut gagner? Pas si sûr. On peut craindre une abstention massive à gauche et une défection des classes populaires rebutées par la purge libérale proposée par la droite classique. Danger…
Si Benoît Hamon rassemble la gauche et franchit l’obstacle, on peut craindre symétriquement la désertion des électeurs du centre de la droite allergiques au programme du candidat socialiste, conjuguée avec le ralliement au FN de la fraction la plus identitaire du parti LR. Deuxième danger.
Reste Emmanuel Macron, désormais favori, qui réunit dans les enquêtes d’opinion environ 60% de l’électorat au second tour. Enquêtes fragiles à ce stade. Immanquablement, la rhétorique du Front fera de Macron le champion des «élites mondialisées». Comme Macron est effectivement soutenu par une partie de la classe dirigeante (mais pas seulement, loin de là…), l’électorat populaire peut être sensible aux arguments du FN, sur fond de rejet de l’Europe et de l’immigration.
En principe, il n’y a pas de majorité xénophobe en France et le spectre d’une destruction de l’Union européenne inquiète l’opinion, y compris dans les milieux populaires. En principe…
C’était hier
• Georges Fenech, frondeur LR, persiste et signe après la réunion qui a permis à
François Fillon de faire taire les oppositions au sein de son camp:
«J’ai assisté hier à nouveau à une séance de câlinothérapie autour de François Fillon où personne ne veut lui dire la vérité ou très peu de monde», a-t-il dénoncé.
«On est dans […] le bal des hypocrites, ou le bal des faux-culs», a-t-il ajouté.
«Il nous dit il n’y a pas de plan B, mais c’est lui qui nous le dit. On n’aurait pas pu imaginer […] peut-être aussi ce qu’on appelle un saut générationnel?», a lancé le député, citant en exemple
«François Baroin, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez (et) Valérie Pécresse.» Mais alors pourquoi le texte qu’il avait prévu de présenter a-t-il disparu?
• La lecture attentive du Figaro est souvent édifiante. Alors que le quotidien bétonne pour soutenir la candidature Fillon, ses lecteurs sont sur une autre ligne. Dans un sondage Internet, le Figaro demande à ses internautes s’ils sont d’accord avec Fillon quand il affirme qu’il n’y a pas de meilleure candidature que la sienne. Ce matin, 54% des quelque 100 000 personnes qui se sont exprimées répondaient non, contre 46% pour le oui. Autrement dit, une majorité de lecteurs pensent à l’inverse des éditorialistes qu’ils sont censés lire tous les jours. Fragile pouvoir des médias…
• Cette campagne est décidément sans précédent. En 2012, au même moment de la compétition, François Hollande avait déjà livré sa mémorable prestation au Bourget et sorti de son chapeau la proposition de taxer les salaires des dirigeants du privé à 80% (pour contrer la percée de Mélenchon). Sarkozy enchaînait les meetings (avec les conséquences que l’on sait sur ses comptes de campagne), Bayrou se démenait, tout comme Mélenchon. Aujourd’hui Hamon démarre sa campagne, Bayrou hésite, Fillon a du mal à tenir des meetings et on parle surtout d’emplois supposés fictifs.O tempora, o mores…
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