Christian LE Moulec àLa Galerie de l'Histoire
Point il ne faut confondre la croisade des enfants (1212, entre la quatrième et la cinquième croisade officielles) avec celles des pastoureaux (1251 et 1320). A l’image des croisades de la chevalerie, on entend délivrer Jérusalem.
De telles entreprises sont certes impressionnantes, sans pour autant rencontrer le succès. En fait, il ne s’agit pas là véritablement d’enfants, même s’il y en eut ; mais il faut plutôt entendre par là « enfants de Dieu » ou « des hommes se trouvant en état de pauvreté ». Maints chroniqueurs ont d’ailleurs mis l’accent sur la misère du pèlerin.
Où en sommes-nous alors ? C’est une période d’échecs. En 1187 Saladin est maître de presque tout le « Royaume de Jérusalem » fondé en 1099. La troisième croisade (1189 à 1192) n’a rien pu faire. Quant à la quatrième (1204), ce n’était qu’une caricature de croisade qui s’est contentée de saccager Constantinople, pourtant ville chrétienne, et ce au grand bénéfice de la cupide Venise, cité des doges. Dans ces conditions, on peut comprendre que beaucoup de pauvres chrétiens d’Occident estiment qu’ils sont les plus aptes à délivrer la Terre sainte du fait de leur désintéressement, de leur humilité et leur pureté. Et voilà qu’en 1208, le pape Innocent III appelle à la croisade contre les Albigeois sous prétexte de lutter contre l’hérésie cathare. Chevaliers et ribauds du Nord de la France répondent à l’appel. C’est moins loin que la Palestine et le butin peut rapporter gros. Le roi Philippe Auguste ne participe pas, mais laisse faire. Enfin, en ce début d’année 1212, on organise des processions pour soutenir la soldatesque engagée dans la péninsule Ibérique contre les Sarrasins. La délivrance de Jérusalem passe donc en second plan.
Dans cette période agitée, deux personnages entrent en scène. Etienne de Cloyes, près de Vendôme, et Nicolas à Cologne. Nos deux hérauts se persuadaient que Dieu les conduirait à Jérusalem et que les eaux de la Méditerranée s’ouvriraient alors comme jadis ceux de la Mer Rouge pour une aussi noble cause.
Nicolas est âgé d’une trentaine d’années. On ne sait pas grand-chose quant à ses origines. Il clame à la foule qu’il suffit d’atteindre Gênes. A partir de là, on pourra poursuivre à pied puisque les eaux s’effaceront. On le cru, on chemina par les villes du Rhin et l’on mit le cap sur les Alpes. Parut en chemin une aurore boréale. Interprétée comme symbole du Saint-Esprit, elle augmenta l’enthousiasme des foules. 20 000 hommes ! Faim et maladie sévissent avant même que le cortège n’ait quitté l’Allemagne. Les Alpes sont franchies au col du Mont-Cenis. Les souliers manquent, la traversée du massif est extrêmement pénible, la météo s’en mêle, avalanches et froid…Hommes, femmes et enfants meurent par milliers. Seuls quelque 7 000 pèlerins arrivent en Italie.
A Gênes, point il n’y eut de miracle. La mer demeura impassible. Une partie de la croisade tenta de regagner l’Allemagne. Chemin faisant, une fraction est engagée sur place, comme travailleurs exploités. Une autre meurt. Enfin, ceux qui parviennent à regagner l’Allemagne sont accueillis par des quolibets. Il reste un millier de personnes avec Nicolas. Certains parviennent à s’embarquer. Nul ne sait ce qu’ils sont devenus. Quant aux autres, ils sont morts de maladies, tués par les bandits, vendus comme esclaves et les femmes ont fini dans des maisons closes. On a perdu la trace de Nicolas. On a brodé là-dessus tout un tas de légendes…
Plus obscure encore est l’épopée d’Etienne, berger de son état. Etienne se serait mis à la tête de 30 000 pèlerins. A Saint-Denis, il aurait rencontré Philippe Auguste. Rencontre ou pas, toujours est-il qu’icelui n’a pas donné son aval à la croisade, en vertu de l’avis des maîtres d’école de Paris. Du coup, tout le monde se serait dispersé. Mais le chroniqueur Albéric, moine en l’abbaye des Trois-Fontaines, conte que l’affaire ne s’est pas arrêtée là.
Que nous dit ce moine ? Les croisés piquent sur Tours, puis sur Lyon, puis sur Avignon. Dans cette ville, ils voient des troupes, lourdement armées, en partance pour l’Occitanie aux fins de renforcer les effectifs de Simon de Montfort. Les voilà enfin à Marseille. Comme pour la croisade germanique de Nicolas, les troupes d’Etienne ont été décimées par les famines et épidémies, bien qu’elles n’aient pas eu à affronter d’obstacles naturels. Pas plus qu’à Gênes, les eaux ne s’ouvrirent à Marseille. Vif désespoir ! Mais voilà que deux marchands de bonne réputation, Ferreus et Posqueres, qui possèdent des sièges à Acre, proposent sept navires aux croisés. Iceux tombent dans le panneau. Voilà donc 7 000 croisés survivants embarqués pour la Terre sainte. En pleine mer, on les enferme dans des cages. Entassement, manque d’air, puanteur, famine, infections et épidémies sont le lot des malheureux. De fait, ils sont aux mains de marchands d’esclaves.
Une tempête sévit et efface deux bateaux au large de la Sardaigne. Tous meurent, esclavagistes comme pèlerins. Les cinq bateaux restants jettent l’ancre dans le port de Bougie, puis dans celui d’Alexandrie. A chaque fois, les croisés sont vendus comme esclaves. Beaucoup moururent pour avoir refusé d’abjurer leur foi.
Bien entendu, on enregistre dans les écrits qui vont suivre deux prises de positions radicalement différentes. Ainsi, les communautés religieuses qui ont choisi de vivre dans la pauvreté délivrent ce message «regardez ce que ces pauvres paysans font et nous, nous dormons ! ». A contrario, les gardiens du dogme, conservateurs, cardinaux et évêques ont une tout autre lecture, car selon eux, ce mouvement indépendant des barons guerriers n’avait aucune chance de réussir. Ils ne sont d’ailleurs pas éloignés de parler d’hérésie !
Ci-dessous : La croisade de enfants, Gustave Doré. Ouvrage de Marcel Schwob.
LA CROISADE DES ENFANTS
Point il ne faut confondre la croisade des enfants (1212, entre la quatrième et la cinquième croisade officielles) avec celles des pastoureaux (1251 et 1320). A l’image des croisades de la chevalerie, on entend délivrer Jérusalem.
De telles entreprises sont certes impressionnantes, sans pour autant rencontrer le succès. En fait, il ne s’agit pas là véritablement d’enfants, même s’il y en eut ; mais il faut plutôt entendre par là « enfants de Dieu » ou « des hommes se trouvant en état de pauvreté ». Maints chroniqueurs ont d’ailleurs mis l’accent sur la misère du pèlerin.
Où en sommes-nous alors ? C’est une période d’échecs. En 1187 Saladin est maître de presque tout le « Royaume de Jérusalem » fondé en 1099. La troisième croisade (1189 à 1192) n’a rien pu faire. Quant à la quatrième (1204), ce n’était qu’une caricature de croisade qui s’est contentée de saccager Constantinople, pourtant ville chrétienne, et ce au grand bénéfice de la cupide Venise, cité des doges. Dans ces conditions, on peut comprendre que beaucoup de pauvres chrétiens d’Occident estiment qu’ils sont les plus aptes à délivrer la Terre sainte du fait de leur désintéressement, de leur humilité et leur pureté. Et voilà qu’en 1208, le pape Innocent III appelle à la croisade contre les Albigeois sous prétexte de lutter contre l’hérésie cathare. Chevaliers et ribauds du Nord de la France répondent à l’appel. C’est moins loin que la Palestine et le butin peut rapporter gros. Le roi Philippe Auguste ne participe pas, mais laisse faire. Enfin, en ce début d’année 1212, on organise des processions pour soutenir la soldatesque engagée dans la péninsule Ibérique contre les Sarrasins. La délivrance de Jérusalem passe donc en second plan.
Dans cette période agitée, deux personnages entrent en scène. Etienne de Cloyes, près de Vendôme, et Nicolas à Cologne. Nos deux hérauts se persuadaient que Dieu les conduirait à Jérusalem et que les eaux de la Méditerranée s’ouvriraient alors comme jadis ceux de la Mer Rouge pour une aussi noble cause.
Nicolas est âgé d’une trentaine d’années. On ne sait pas grand-chose quant à ses origines. Il clame à la foule qu’il suffit d’atteindre Gênes. A partir de là, on pourra poursuivre à pied puisque les eaux s’effaceront. On le cru, on chemina par les villes du Rhin et l’on mit le cap sur les Alpes. Parut en chemin une aurore boréale. Interprétée comme symbole du Saint-Esprit, elle augmenta l’enthousiasme des foules. 20 000 hommes ! Faim et maladie sévissent avant même que le cortège n’ait quitté l’Allemagne. Les Alpes sont franchies au col du Mont-Cenis. Les souliers manquent, la traversée du massif est extrêmement pénible, la météo s’en mêle, avalanches et froid…Hommes, femmes et enfants meurent par milliers. Seuls quelque 7 000 pèlerins arrivent en Italie.
A Gênes, point il n’y eut de miracle. La mer demeura impassible. Une partie de la croisade tenta de regagner l’Allemagne. Chemin faisant, une fraction est engagée sur place, comme travailleurs exploités. Une autre meurt. Enfin, ceux qui parviennent à regagner l’Allemagne sont accueillis par des quolibets. Il reste un millier de personnes avec Nicolas. Certains parviennent à s’embarquer. Nul ne sait ce qu’ils sont devenus. Quant aux autres, ils sont morts de maladies, tués par les bandits, vendus comme esclaves et les femmes ont fini dans des maisons closes. On a perdu la trace de Nicolas. On a brodé là-dessus tout un tas de légendes…
Plus obscure encore est l’épopée d’Etienne, berger de son état. Etienne se serait mis à la tête de 30 000 pèlerins. A Saint-Denis, il aurait rencontré Philippe Auguste. Rencontre ou pas, toujours est-il qu’icelui n’a pas donné son aval à la croisade, en vertu de l’avis des maîtres d’école de Paris. Du coup, tout le monde se serait dispersé. Mais le chroniqueur Albéric, moine en l’abbaye des Trois-Fontaines, conte que l’affaire ne s’est pas arrêtée là.
Que nous dit ce moine ? Les croisés piquent sur Tours, puis sur Lyon, puis sur Avignon. Dans cette ville, ils voient des troupes, lourdement armées, en partance pour l’Occitanie aux fins de renforcer les effectifs de Simon de Montfort. Les voilà enfin à Marseille. Comme pour la croisade germanique de Nicolas, les troupes d’Etienne ont été décimées par les famines et épidémies, bien qu’elles n’aient pas eu à affronter d’obstacles naturels. Pas plus qu’à Gênes, les eaux ne s’ouvrirent à Marseille. Vif désespoir ! Mais voilà que deux marchands de bonne réputation, Ferreus et Posqueres, qui possèdent des sièges à Acre, proposent sept navires aux croisés. Iceux tombent dans le panneau. Voilà donc 7 000 croisés survivants embarqués pour la Terre sainte. En pleine mer, on les enferme dans des cages. Entassement, manque d’air, puanteur, famine, infections et épidémies sont le lot des malheureux. De fait, ils sont aux mains de marchands d’esclaves.
Une tempête sévit et efface deux bateaux au large de la Sardaigne. Tous meurent, esclavagistes comme pèlerins. Les cinq bateaux restants jettent l’ancre dans le port de Bougie, puis dans celui d’Alexandrie. A chaque fois, les croisés sont vendus comme esclaves. Beaucoup moururent pour avoir refusé d’abjurer leur foi.
Bien entendu, on enregistre dans les écrits qui vont suivre deux prises de positions radicalement différentes. Ainsi, les communautés religieuses qui ont choisi de vivre dans la pauvreté délivrent ce message «regardez ce que ces pauvres paysans font et nous, nous dormons ! ». A contrario, les gardiens du dogme, conservateurs, cardinaux et évêques ont une tout autre lecture, car selon eux, ce mouvement indépendant des barons guerriers n’avait aucune chance de réussir. Ils ne sont d’ailleurs pas éloignés de parler d’hérésie !
Ci-dessous : La croisade de enfants, Gustave Doré. Ouvrage de Marcel Schwob.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire