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vendredi 1 janvier 2016

LETTRE OUVERTE - Moi, Samir, binational

Libération

LETTRE OUVERTE

Moi, Samir, binational


Par  —  (mis à jour à )


                                   Le drapeau français, à Strabourg, le 16 novembre.
                                              Le drapeau français, à Strabourg, le 16 novembre. Photo Patrick Hertzog. Afp

«Avec l’annonce du retour de la déchéance de nationalité, je vais m’empresser la semaine prochaine de courir à l’ambassade revendiquer mon droit à la binationalité. Comme une réaction viscérale, comme un acte politique.»

Moi, Samir, binational

Monsieur le Président,
A 43 ans, je vous écris mon premier courrier. J’ai entendu à la radio, en rentrant de ma journée de travail, l’annonce du changement constitutionnel que vous envisagez sur la binationalité. Abasourdi, je me suis assuré de la réalité de l’information et voilà ce que je tiens à vous dire.
Je m’appelle Samir, Sam pour mes proches. Je suis français. Je suis né en France. J’ai grandi et vis à Marseille. Je suis non croyant. Mes parents sont d’origine algérienne. Ils m’ont éduqué dans le culte de l’intégration comme, à l’époque, tous mes camarades de classe de multiples nationalités. Avec le recul, je suis plutôt fier des valeurs qu’ils m’ont transmises même s’ils ont poussé le bouchon un petit peu trop loin en ne m’apprenant pas l’arabe, ce que je regrette aujourd’hui. Je dirige une association culturelle renommée et je suis très investi dans la vie locale au sein de plusieurs instances de représentation. Je voyage beaucoup et je me rends compte à quel point je suis imprégné de cette éducation typiquement française, ouverte au monde et un brin arrogante ; de cette culture et de cette histoire qui est la mienne.
Je suis devenu binational il y a un peu plus de dix ans par un triste concours de circonstances. En 2002, au décès de mon père, conformément à ses dernières volontés, j’ai pris en charge le rapatriement de sa dépouille en Algérie afin qu’il puisse être enterré au côté de sa mère. En me rendant au consulat, en pleines fêtes de fin d’année, on m’a expliqué qu’il était plus simple au regard de mes origines familiales de me délivrer en urgence une carte d’identité et un passeport algérien plutôt qu’un visa, plus long à obtenir. Hop, c’était fait. Le matin j’étais citoyen français, à midi j’étais, en plus, devenu citoyen algérien. Pratique la binationalité ! Voyages et passages en douane facilités des deux côtés, pas de coûteux et fastidieux visas à obtenir. Extrêmement utile pour un voyageur régulier comme moi. Et puis quel beau pays et quel beau peuple j’ai pu redécouvrir !
Jusque-là, je ne voyais que la dimension pratique que cela représentait pour moi. Je n’avais pas de revendication identitaire. Mes papiers algériens étaient d’ailleurs périmés depuis deux ans quand j’ai dû me rendre à Oran et à Alger, il y a deux semaines, pour débattre avec des jeunes sur le concept de citoyenneté méditerranéenne. Avec l’instauration du passeport biométrique, les délais et multiples démarches qu’il impose, j’ai plutôt opté pour le visa traditionnel avec mon passeport français et je n’avais pas prévu de renouveler mes papiers algériens.
Avec l’annonce de votre mesure, je vais m’empresser la semaine prochaine de courir à l’ambassade revendiquer mon droit à la binationalité. Comme une réaction viscérale, comme un acte politique, comme une tentative de réparation à l’insulte que vous faites aux valeurs républicaines que l’on m’a inculquées. Qu’essayez-vous de faire croire au peuple français ? Que cette mesure permettra de les protéger du terrorisme aveugle qui touche notre pays comme tant d’autres ? Non, je ne le crois pas. Certains de mes amis tentent de me convaincre de la nécessité tactique d’annoncer cette mesure au lendemain du dernier scrutin avant la présidentielle. Peut-on sacrifier nos valeurs fondamentales sur des simples motifs de stratégie politique ? Non, je ne le crois pas. Vous annoncez vouloir tenir votre parole faite au lendemain des attentats mais combien de fois n’avez-vous pas tenu parole aux Français depuis votre élection de 2012 ? Et puis, quels binationaux sont réellement visés par cette mesure ? L’islamisme radical n’est pas une nationalité à ma connaissance et je ne connais pas de personnes détentrices d’un passeport franco-terroriste. Dans ma région, je me bats, comme tant d’autres, contre un FN décomplexé qui était aux portes de la présidence de la région Paca. Je ne suis pas sûr que vous soyez mon allié dans ce combat. L’original sera toujours préféré à la copie surtout quand les mesures annoncées sont liberticides et démagogiques.
Monsieur le Président, je suis bien plus atteint par la violence symbolique de votre mesure que ne l’est n’importe quel terroriste en puissance. Depuis votre élection, je vous ai suivi sur vos différentes mesures politiques. Avec scepticisme souvent, mais j’ai suivi. Si vous faites voter cette mesure, vous me perdrez, définitivement. Vous perdrez la majorité des binationaux qui, nombreux, composent la société française, historiquement multiculturelle quoiqu’en disent certains. Vous perdrez tout simplement de nombreux Français qui ne vous suivront plus. Vous utiliserez une bombe qui, en voulant détruire un repaire de rats, détruira la cité. Et malheureusement, entre-temps, les rats, futés, se seront cachés ailleurs… peut-être derrière leur unique passeport français.
Réfléchissez vite et bien, monsieur le Président, mais surtout réfléchissez juste.
Samir Khebizi Franco-Algérien

Déchéance de nationalité : ne pas franchir la ligne rouge...

Sam KHEBIZI 
MARSEILLE, France
Je m'appelle Samir, Sam pour mes proches. J'ai 43 ans, je suis français. Je suis né et j'ai grandi à Marseille. Je dirige une association artistique et suis très engagée dans la vie locale. J'ai raconté mon témoignage dans une lettre ouverte adressée au président Hollande qui a été publiée par le journal Libération (Lettre ouverte à Hollande).
Comme des milliers de citoyens français, au delà même des binationaux dont je fais partie, je me sens atteint par une mesure aussi inefficace que dangereuse. Je dénonce toute forme de terrorisme. Pour autant je n'accepte pas l'instrumentalisation politique qui en est faite par le gouvernement. Je n'accepte pas l'amalgame crée entre la nationalité  et le terrorisme. Je n'accepte pas la division des français en catégories.
Que cache réellement la réforme constitutionnelle relative à la déchéance de nationalité ? Annoncé comme un outil supplémentaire de lutte contre le terrorisme, le texte propose, entre autres, de déchoir un Français (même né en France) de sa nationalité française en cas de crime ou délit constituant un acte de terrorisme dans le cas où ce même Français possèderait une seconde nationalité.
Les problèmes que posent ce texte sont les suivants :
1)      Une mesure inefficace.  De l'aveu même du gouvernement, c'est une mesure "symbolique", qui ne protègera en aucun cas de nouvelles attaques. La nationalité n’a rien avoir avec le terrorisme et il n’existe pas de passeport "franco-terroriste" à ce jour. L'arsenal des nombreuses mesures anti-terroristes est déjà largement suffisant pour répondre à cette menace.
2)      Une mesure discriminatoire. Cette mesure remet en cause le principe de droit du sol et porte atteinte, dans la Constitution, à notre vision historique de la Nation française, une et indivisible. Binational ou pas, tout citoyen français attaché à nos valeurs fondamentales se doit de s’insurger contre une telle réforme. Notre diversité culturelle souffre bien assez de discriminations dans la réalité quotidienne pour qu’on s’autorise à les inscrire dans la Constitution.
3)      Une mesure stigmatisante. Ce texte est une insulte à l’ensemble des binationaux vivant en France ou à l’étranger, soit plus de 3 millions de personnes, en faisant de leur double culture un facteur de risque plutôt que de richesse. C’est aussi une mesure hypocrite parce qu’en réalité elle vise plus particulièrement les binationaux de confession musulmane qui ont déjà bien assez de soucis avec les amalgames du fait d’une infime minorité d’extrémistes radicaux.
4)      Une mesure digne de l'extrême droite. Il est inadmissible, inconcevable que le gouvernement actuel puisse faire voter un texte porté de longue date par le Front National et la droite extrême. Il y a des limites au n’importe quoi. Un gouvernement socialiste ne peut pas, et surtout ne doit pas voter une mesure FN.
5)     Une constitution doit unir et non diviser. On ne révise pas une constitution en plein état d'urgence, dans l'émotion ou le calcul politique. Le simple fait que cette mesure crée de la division justifie son retrait.
Je demande donc au gouvernement le retrait de cette mesure.
Au-delà de la signature de cette pétition et son relais, je vous invite à interpeller votre entourage mais également l’ensemble des députés sur cette mesure qui risque d’être votée dans le plus grand désintérêt. Le changement d'attitude face à ce séisme politique doit commencer par nous, en renforçant notre capacité de vigilance et d'interpellation jusqu'au débat du texte prévu début février.
Vous trouverez ici les adresses mail des députés.
Voulez-vous faire changer les choses ? Lancez une pétition.

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