31 Jan2016
Le journal de 20H de samedi 30 janvier a fourni une illustration supplémentaire de la volonté de cette chaîne publique non pas d’informer, mais de manipuler l’opinion. On y était habitué depuis qu’elle s’est spécialisée dans le dénigrement systématique de tous les mouvements sociaux. Mais ses prétendus journalistes ont franchi un cap dans la lecture qu’ils ont donnée de ce qui se passe aux USA.
Dans une présentation des élections primaires qui vont commencer outre-Atlantique, la présentatrice et le correspondant local de la chaîne ont renvoyé dos-à-dos le démagogue Donald Trump et le socialiste Bernie Sanders au nom de ce qui est présenté comme un même « populisme ».
Historiquement, il y a toujours eu des acteurs politiques qui remettent en question le système. Ils le font au nom d’une idéologie, affichée ou pas. Ce fut le cas tout au long des 19e et 20e siècles par des socialistes et par des gens d’extrême-droite.
Mais depuis que la social-démocratie a renoncé à contester le système capitaliste pour adhérer au néo-libéralisme, on dérive en Europe vers un système à l’américaine où deux courants politiques adhèrent totalement au système et se concurrencent uniquement sur l’occupation du pouvoir. L’alternative est limitée à des choix de personnes. Désormais, les contestataires du système, qu’ils se réclament de l’idéal social ou de la tradition nationaliste, qu’ils expriment une analyse critique des inégalités sociales ou qu’ils flattent les passions les plus égoïstes, sont qualifiés invariablement par le prêt à penser dominant de « populistes ».
Il y a toujours eu, à l’occasion des primaires américaines, des populistes au sens traditionnel de ce terme qui désigne les démagogues flattant avec hystérie les passions les plus basses. Ils se situent le plus souvent à la droite des Républicains. Il y a eu un Barry Goldwater, plus récemment une Sarah Palin, aujourd’hui, c’est Donald Trump. C’est un classique du paysage politique américain.
La grande nouveauté des prochaines élections présidentielles, c’est l’émergence au sein du parti démocrate, d’un authentique discours de gauche. Après les grands espoirs et les immenses déceptions de la présidence Obama, la candidature de Mme Clinton est apparue davantage comme la perpétuation d’un système inique où les inégalités sociales s’accentuent, où l’emprise des firmes privées sur les choix politiques a atteint des sommets, en dépit de la crise de 2008. Obama a déçu parce qu’on attendait de lui une politique à la Franklin D. Roosevelt, celle du New Deal qui avait encadré le capitalisme après la crise des années trente, au siècle passé. Mais Obama a cédé devant Goldman Sachs. Et les plus faibles ont payé la crise provoquée par la rapacité des plus riches. Et voici que surgit Bernie Sanders, un homme dont tout l’engagement politique, jusque-là marginalisé, a été consacré à promouvoir la justice sociale. Et à la grande surprise des prétendus journalistes, son combat devient celui de millions de ses concitoyens. Un homme qui non seulement dénonce les injustices du capitalisme, mais fournit la démonstration que les valeurs du socialisme ont encore une pertinence.
Cela, bien entendu, c’est intolérable pour les défenseurs d’un système dont tous les efforts tendent à nous convaincre qu’il n’y a pas d’alternative, que le seul choix que nous ayons encore se limite à des choix de personnes. Il faut donc disqualifier un Bernie Sanders aux USA, un Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. Pour cela un mot : populisme. Une présentation : renvoyer dos-à-dos démagogues de la droite extrême et authentiques candidats de gauche. On a vu cela chez nous, en 2012. On le voit une nouvelle fois à l’occasion des primaires américaines.
Pourquoi payons-nous encore pour des stations de radio et des chaînes de télévision publiques qui nous intoxiquent au lieu de nous informer honnêtement ?
rmj
Un commentaire relevé à la suite de cet article :
Déclaration faite par le journaliste John Swinton, l’ex-rédacteur en chef du New-York Times, lors d’un banquet donné en son honneur à l’occasion de son départ à la retraite, en réponse à un toast porté à la presse indépendante (cité par Deirde Manifold dans « Towards World Government »). C’était le 25 septembre 1880, et ça n’a toujours pas changé, plus d’un siècle plus tard :
« Quelle folie que de porter un toast à la Presse indépendante !Chacun, ici présent ce soir, sait que la presse indépendante n’existe pas. Vous le savez et je le sais. Il n’y en a pas un parmi vous qui oserait publier ses vraies opinions, et s’il le faisait, vous savez d’avance qu’elles ne seraient jamais imprimées. Je suis payé 250 $ par semaine pour garder mes vraies opinions en-dehors du journal pour lequel je travaille.
D’autres parmi vous sont payés le même montant pour un travail similaire. Si j’autorisais la publication d’une bonne opinion dans un simple numéro de mon journal, je perdrais mon emploi en moins de 24 heures, à la façon d’Othello.
Cet homme suffisamment fou pour publier la bonne opinion serait bientôt à la rue en train de rechercher un nouvel emploi. La fonction de journaliste est de détruire la vérité, de mentir radicalement, de pervertir, d’avilir, de ramper aux pieds de l’élite et de se vendre lui-même, de vendre son pays et sa race pour son pain quotidien ou, ce qui revient au même, son salaire. Vous savez cela et je le sais. Quelle folie donc que de porter un toast à la presse indépendante. Nous sommes les outils et les vassaux d’hommes riches qui commandent derrière la scène. Nous sommes leurs marionnettes ; ils tirent les ficelles et nous dansons. Notre temps, nos talents, nos possibilités et nos vies sont la propriété de ces hommes.
NOUS SOMMES DES PROSTITUÉS INTELLECTUELS. »
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