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jeudi 30 juillet 2015

Les Crises.fr - Grèce : La lutte continue, par Sebastian Budgen & Stathis Kouvelakis

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                                       Des images pour comprendre

31
Juil
2015

Grèce : La lutte continue, par Sebastian Budgen & Stathis Kouvelakis


Un dernier compte-rendu de ce qui s’est produit pendant les dernières semaines en Grèce, et ce qui se passera ensuite pour Syriza et la gauche européenne.
Par Sebastian Budgen & Stathis Kouvelakis
A Athènes, les militants de la campagne du “Non” agitent leurs drapeaux après les premiers résultats du référendum. Yannis Kolesids / EPA
Le dernier accord entre le gouvernement Syriza et les créanciers a choqué de nombreuses personnes de la gauche qui avaient suivi les événements en Grèce. Il semble que cela marque la fin de tout un cycle politique.
Dans cet entretien avec Sebastian Budgen, rédacteur de Jacobin, Stathis Kouvelakis, un des chefs de file de la “Plateforme de Gauche” interne au parti, raconte la dernière séquence, dans quelles mesures les espoirs ont été confirmés ou déçus, et les prochaines étapes pour l’aile gauche radicale du parti.
Kouvelakis profite de cette opportunité pour tirer plus largement le bilan de la stratégie de la “Plateforme de Gauche”, si les choses auraient pu être faites différemment, et quelles sont les perspectives pour une recomposition plus générale de la gauche.
Quelles étaient les causes du référendum de juillet ? Beaucoup ont dit que c’était quelque chose venu de nulle part, un joker sorti de la manche d’Alexis Tsipras. Mais il y a quelque incertitude sur ses motivations – certains ont même spéculé qu’il pensait qu’il perdrait.
Je pense que le référendum était clairement une tentative de sortir du piège dans lequel le gouvernement tombait lors du processus de négociation.
Il était assez évident, en fait, que pendant l’engrenage de concessions faites par le gouvernement, Tsipras a réalisé que quoi qu’il ait pu proposer cela ne suffirait jamais à la Troïka. Lors de la dernière semaine de juin, il était clair que l’accord qui prenait plus ou moins forme ne passerait pas le test interne à Syriza ni celui de l’opinion publique.
Des messages ont été envoyés aux équipes dirigeantes et à Tsipras lui-même de l’intérieur du parti, d’au-delà de le “Plateforme de Gauche”, selon lesquels l’accord n’était pas acceptable. Pendant les derniers jours de la semaine, le changement dans l’opinion publique aussi a été significatif, avec des gens lassés par ce processus d’interminables négociations. On a compris que la Troïka cherchait seulement à humilier le gouvernement grec.
Tsipras, dont il a été dit qu’il est une sorte de politicien joueur, pensait le référendum – une idée qui n’était pas entièrement nouvelle et qui avait été évoquée avant lui par d’autres personnes du gouvernement dont Yanis Varoufakis – non comme une rupture avec le processus de négociation mais un mouvement tactique qui pourrait renforcer son plan de négociation.
Je peux l’affirmer avec certitude, car j’étais dans le secret des rapports détaillés de la réunion cruciale de la soirée du 26 juin, quand le référendum a été annoncé.
Deux choses doivent être dites à ce stade. La première est que Tsipras et la plupart des gens proches de lui pensaient que ça allait être une promenade de santé. Et cela avait été plutôt le cas avant la fermeture des banques. La tendance générale était que le référendum serait gagné largement, avec plus de 70%.
C’était assez réaliste, sans la fermeture des banques le référendum aurait été facilement gagné, mais le sens politique du Non en aurait été changé, car cela se serait passé sans cette ambiance de tension et de drame créée par la fermeture des banques et la réaction des Européens.
Ce qui s’est passé pendant la réunion gouvernementale c’est qu’un certain nombre de personnes – l’aile droite du gouvernement, menée par le vice-premier ministre Giannis Dragasakis – désapprouvait cette opération. Dragasakis est celui qui a géré l’ensemble de la négociation du côté grec. Tout le monde au sein de l’équipe de négociation, à l’exception du nouveau ministre des finances Euclid Tsakalotos, lui était dévoué et il a été le principal partisan parmi ceux du gouvernement qui voulaient vraiment se débarrasser de Varoufakis.
Cette faction pensait que le référendum était une proposition à haut risque, et elle comprenait, contrairement à Tsipras, que ce serait un mouvement de grande confrontation qui déclencherait une réaction très dure du côté européen – et il s’avère qu’elle a eu raison.
Ces personnes craignaient également la dynamique sous-jacente qui serait générée par cette initiative. D’autre part, le leader de la Plateforme de gauche et ministre de l’énergie et du redressement productif, Panagiotis Lafazanis, a dit que le référendum était la bonne décision, bien qu’arrivant trop tard, mais il a aussi averti que cela reviendrait à une déclaration de guerre, que la partie opposée couperait les lignes de liquidités et que nous devions nous attendre sous quelques jours à fermer les banques. La plupart des personnes présentes se sont contentées de rire à cet avis.
Je pense que ce manque de prise de conscience de ce qui allait arriver est absolument primordial pour comprendre la logique d’ensemble du chemin que le gouvernement a pris jusqu’ici. Il ne pouvait simplement pas croire que les européens réagiraient comme ils ont effectivement réagi. D’un certain côté, comme je l’ai dit, l’aile droite de Syriza était beaucoup plus lucide sur ce à quoi le gouvernement s’attaquait.
Cela explique aussi ce qui s’est passé à ce niveau pendant la semaine du référendum. Tsipras était mis sous extrême pression par Dragasakis et d’autres pour qu’il annule le référendum. Il ne l’a pas fait, bien sûr, mais il a fait savoir clairement que ses prochaines orientations se feraient avec l’accord de l’aile droite, et que cette mesure n’était pas une rupture avec la ligne qu’il avait toujours suivie jusqu’ici, mais était plutôt une sorte d’opération tactique dans cet esprit.
Etait-ce l’explication de la marche arrière du mercredi avant le vote ?
Exactement. Ce mercredi, certaines personnes ont même parlé d’un coup d’état interne à venir, et à Athènes couvaient des rumeurs selon lesquelles Tsipras s’apprêtait à annuler le référendum. Pendant son discours, il a confirmé le référendum mais a aussi fait savoir qu’il était conçu comme un outil de pression afin d’obtenir un meilleur accord et que cela n’était pas la fin des négociations mais seulement la continuité dans de prétendues meilleures conditions. Et il est resté fidèle à cette ligne durant la semaine entière.
Une chose que je n’ai pas comprise au sujet du processus, même sous l’angle des relations publiques, est qu’il a appelé à un référendum sur une série de mesures proposées qu’il a ensuite appelé à rejeter et malgré ça, à l’approche du référendum, il a fait un pas vers les créanciers ce qui a semblé être sur certains aspects pire que les mesures qu’il appelait à rejeter.
Tout ceci a donné l’impression d’un amateurisme total et de chaos.
J’ai essayé de reconstituer les intentions de Tispras essentiellement pour répondre à votre question au sujet de l’idée qu’il pensait perdre le référendum et pour essayer de comprendre le sens que le référendum avait pour lui. Mais ce qui est indéniable est que cela a déchaîné des forces qui sont allées au-delà de ses intentions. Tsipras et le gouvernement ont été clairement dépassés par la dynamique créée par le référendum.
Ils ont tenté par tous les moyens de remettre le diable dans sa boîte. Le moyen pour Tsipras de gérer la pression exercée par Dragasakis – et la raison pour laquelle mercredi était si crucial – était d’accepter leur ligne et d’envoyer cette fameuse lettre à l’Euro-groupe, et avant ça d’envoyer la lettre demandant un nouveau prêt. Ce qui a ouvert la voie à ce qui devait arriver la semaine suivant le référendum.
Mais d’un autre côté, afin de justifier le fait qu’il ne pouvait pas annuler le référendum sans se ridiculiser complètement, il devait avancer quelques raisons à cette initiative. Il devait parler du combat contre les mesures d’austérité prévues dans l’offre de Juncker, du chantage effectué par la troïka et de l’ultimatum qu’il avait reçu. Et bien sûr, la dynamique qui se développait depuis la base à ce moment s’est saisie de cette opportunité, l’a pris au mot, et s’est élancée pour engager le combat contre la troïka.
Voilà un parfait exemple d’une initiative prise d’en haut, du fait de contradictions internes, qui a eu pour conséquence de libérer des forces qui allaient bien au-delà des intentions du dirigeant concerné. C’est très important, parce qu’il faut aussi bien comprendre que l’une des principales difficultés que Tsipras va devoir affronter maintenant après la capitulation de l’accord d’hier, est la très douteuse légitimité de ce changement de position après le référendum.
Nous devons comprendre qu’il est complètement illusoire de prétendre que le référendum n’a pas eu lieu. Il a eu lieu, et il est clair à la fois pour l’opinion publique internationale et pour la société grecque que Tsipras trahit un mandat populaire.
Donc, le grand débat qui est – Tsipras est-il un genre de génie tactique machiavélique, ou bien plutôt un joueur invétéré dépassé par les événements – vous êtes dans le second camp ?
Eh bien, je suis définitivement dans le second camp, à condition de clarifier le point suivant : en réalité, Tsipras et son équipe dirigeante ont constamment suivi la même ligne depuis le début. Ils pensaient qu’en combinant une approche “réaliste” des négociations, et une certaine fermeté rhétorique, ils obtiendraient des concessions des Européens.
Cependant, ils étaient de plus en plus coincés par cette ligne, et quand ils ont réalisé le piège, ils n’avaient aucune stratégie alternative. Ils ont constamment refusé tout autre stratégie, et ont de plus rendu pratiquement impossible l’émergence d’une autre approche quand il en était encore temps.
Maintenant, dans l’entretien qu’il a donné il y a quelques jours au New Statesman, Varoufakis dit qu’une petite équipe de collaborateurs a travaillé durant la semaine du référendum sur un projet alternatif qui incluait un contrôle étatique des banques, l’émission d’IOU, et la déconnexion de la banque centrale grecque de la BCE à Francfort, et donc sur une forme de sortie progressive. Mais ce projet est clairement arrivé trop tard, et a été rejeté par pratiquement tout le reste de l’équipe économique du gouvernement, ce qui signifie principalement Dragasakis. Et Tsipras, bien sûr, a validé la décision.
Ainsi, il nous faut souligner la continuité de la ligne de Tsipras. C’est également la raison pour laquelle je pense que le mot “trahison” n’est pas adéquat, si on veut comprendre ce qui se produit. Bien sûr, on peut objectivement dire que cela a été une trahison du mandat populaire, que le peuple se sent légitimement trahi.
Cependant, la notion de trahison signifie habituellement qu’à un moment donné on prend la décision consciente de renier ses propres engagements. Je crois en réalité que Tsipras a cru honnêtement qu’il pouvait obtenir une issue positive en mettant en avant une approche centrée sur les négociations et en faisant preuve de bonne volonté, et c’est aussi la raison pour laquelle il a toujours dit ne pas avoir d’autre plan.
Il pensait qu’en se présentant comme un “européen” loyal, exempt de tout “agenda secret”, il obtiendrait une quelconque récompense. D’un autre côté, il a montré pendant des mois une capacité à résister à la pression croissante et fait quelques coups imprévisibles tels que le référendum ou le voyage à Moscou.
Il pensait que c’était le bon dosage pour aborder le problème, et il s’avère que si vous suivez fidèlement cette ligne, vous vous retrouvez dans une position telle qu’il ne vous reste plus que les mauvais choix.
Et les racines de cette stratégie : dans quelle mesure est-ce de l’aveuglement idéologique, et dans quelle mesure est-ce de l’ignorance pure ? Beaucoup de personnes sont perplexes du fait qu’il s’agit d’un gouvernement formé d’un grand nombre d’intellectuels, de personnes qui ont passé toute leur vie à étudier les politiques économiques capitalistes contemporaines, tant théoriques qu’expérimentales, des personnes qui sont des activistes politiques.
Comment justifier ce qui semble être de la naïveté quant à leurs opposants politiques ? Est-ce de l’idéologie profondément ancrée, ou bien simplement un manque d’expérience de la “haute politique” ?
Je pense qu’il faut distinguer deux éléments au sein du gouvernement. Le premier est la frange la plus à droite du gouvernement, menée par deux des principaux économistes, principalement Dragasakis, mais également Giorgos Stathakis. Et ensuite le leadership central, Tsipras et son entourage.
Le premier groupe a une ligne constante depuis le début – il n’y a absolument aucune naïveté de leur part. Ils savaient pertinemment que les Européens n’accepteraient jamais une rupture avec le mémorandum.
C’est la raison pour laquelle Dragasakis a fait dès le début tout ce qu’il a pu pour ne pas modifier la logique de l’approche globale. Il a clairement saboté toutes les tentatives de Syriza d’avoir son propre programme économique, fût-il inclus dans le cadre qui avait été approuvé par la majorité du parti. Il pensait que la seule chose qu’il pouvait obtenir était une version améliorée du cadre du mémorandum. Il voulait avoir les mains libres pour négocier l’accord avec les Européens, sans pour autant être sous le feu des projecteurs ; il est parvenu à contrôler l’équipe de négociations, surtout une fois Varoufakis mis sur la touche.
À l’été 2013, il a donné une interview très intéressante qui a fait beaucoup de bruit. Il ne proposait pas une version adoucie du programme de Syriza, mais en réalité un programme différent qui était une amélioration légère de l’accord existant que Nouvelle Démocratie avait signé.
Il y a ensuite l’autre approche, celle de Tsipras, qui était effectivement ancrée dans l’idéologie de l’européisme de gauche. Je pense que la meilleure illustration en est Euclid Tsakalotos, une personne qui se considère comme un dévoué marxiste, une personne qui provient de la tradition communiste européenne, nous étions dans la même organisation pendant des années. Sa citation la plus représentative, qui trahit tant son idéologie que la perspective donnée au gouvernement par la présence de tous ces érudits est ce qu’il a dit dans une interview au site français Mediapart en avril.
Interrogé sur ce qui l’avait le plus frappé depuis qu’il était au gouvernement, il a répondu qu’il était un universitaire, son travail était d’enseigner l’économie à l’université, donc quand il s’est rendu à Bruxelles, il s’était préparé très sérieusement, il avait préparé toute une série d’arguments, et s’attendait à une contre-argumentation tout aussi exactement élaborée. Mais à la place de cela, il avait dû faire face à des personnes qui récitaient sans cesse des règles, des procédures et ainsi de suite.
Tsakalotos s’est dit très déçu du faible niveau de la discussion. Dans son interview au New Statesman, Varoufakis relate des choses très similaires de sa propre expérience, même si son style est plus agressif que celui de Tsakalotos.
Partant de là, il est tout à fait clair que ces personnes s’attendaient à ce que la confrontation avec l’UE soit semblable à un congrès académique où vous vous rendez avec un bel article et vous vous attendez à la présentation d’une sorte de beau contre-article.
Je pense que cela nous renseigne sur ce qu’est la Gauche aujourd’hui. La Gauche est pleine de personnes bien intentionnées mais qui sont totalement incapables en matière de politique réelle. Mais cela nous renseigne également sur le type de dévastation mentale provoquée par la croyance quasi-religieuse en l’européisme. Cela signifie que, jusqu’à la fin, ces personnes ont cru qu’elles pouvaient obtenir quelque chose de la Troïka ; elles pensaient qu’entre “partenaires” elles trouveraient une sorte de compromis, qu’elles partageaient certaines valeurs fondamentales telles que le respect des mandats démocratiques ou la possibilité d’une discussion rationnelle fondée sur des arguments économiques.
Toute l’approche de la posture plus agressive de Varoufakis revient en fait au même, mais emballée dans le langage de la théorie des jeux. Il disait qu’il fallait jouer la partie jusqu’à la toute, toute, toute fin, et, qu’ensuite, ils battraient en retraite, parce que les dégâts qu’ils auraient à endurer s’ils ne l’avaient pas fait auraient été trop grands pour eux.
Mais ce qui s’est en réalité produit était plus proche d’un combat entre deux personnes, où l’une risque d’avoir la douleur de perdre un orteil, et l’autre ses deux jambes.
Il est donc vrai qu’il y a eu un manque de réalisme élémentaire, et cela est directement relié au problème principal auquel la gauche doit faire face aujourd’hui : notre propre incapacité.
Et cet européisme que vous décrivez dans la frange centrale du leadership de Syriza, quelle est sa nature idéologique ? Parce qu’ils ne sont ni des libéraux ni même des fédéralistes – ce sont les personnes qui se qualifient la plupart du temps de marxistes ? Y a-t-il une influence de Habermas ou Étienne Balibar ?
Je pense que, dans ce cas, Balibar est sans doute plus approprié que Habermas. Une fois encore, je pense qu’il faut prendre Tsakalotos au mot. Il a donné une interview à Paul Mason le lendemain même de l’envoi des contre-propositions extrêmement humiliantes du Président de la Commission Européenne Jean-Claude Junker.
Quand Mason l’a interrogé sur l’euro, Tsakalotos répondit qu’une sortie serait une catastrophe absolue et que l’Europe revivrait les années 30, avec un retour de la compétition entre les monnaies nationales, et la hausse de divers nationalismes et fascismes.
Ainsi, pour ces personnes, le choix est le suivant : soit être “Européen”, et accepter le cadre existant, ce qui, d’une certaine façon, représente objectivement un pas en avant par rapport à la vieille réalité des états-nations ; ou bien être “anti-européen”, ce qui équivaut à une rechute vers le nationalisme, un pas réactionnaire et régressif.
C’est l’un des moyens faibles qui sert à la légitimation de l’Union Européenne – ce n’est peut être pas idéal, mais c’est mieux que tout le reste sur la table.
Je pense que dans ce cas, on peut clairement voir laquelle des idéologies est au travail. Bien que vous n’adhériez pas totalement au projet, et que vous ayez de sérieux doutes quant à l’orientation néolibérale et la structure verticale des institutions européennes, vous adoptez néanmoins ses codes et ne pouvez imaginer mieux en dehors de ce cadre.
C’est là la signification des dénonciations d’un Grexit qui serait un genre de retour aux années 30, ou une sorte d’apocalypse. C’est le symptôme du propre enfermement des dirigeants dans l’idéologie de la Gauche européiste.
La fin du capitalisme est-elle plus simple à imaginer que la fin de l’Union Européenne, ou même de l’euro ?
Tout à fait, je l’ai écrit il y a quelques années.
Et pourtant, cette espèce de mollesse envers l’Union Européenne ne correspond pas aux propres idées de Nicos Poulantzas, bien que certains intellectuels utilisent Poulantzas pour défendre la position gouvernementale.
Effectivement, Poulantzas a écrit sur l’intégration européenne dans la première partie de son livre sur les classes sociales dans le capitalisme contemporain, il y analyse les processus d’internationalisation du capital, et il considérait clairement la communauté économique européenne comme l’exemple d’une forme impérialiste d’internationalisation du capital européen dans le cadre de ce qu’il regardait comme étant la nouvelle structure d’hégémonie des États-Unis dans l’après-guerre.
Parlons une nouvelle fois du référendum lui-même. Le référendum est survenu dans un contexte de crise de liquidité, de fermeture des banques, de réactions hystériques des médias, et d’autres partis faisant pression en faveur du “Oui”. Mais alors, quelque chose s’est produit qui a déclenché une contre-réaction à une échelle considérable de la part des Grecs ordinaires.
Etaient-ils poussés par la fierté nationale, était-ce principalement une question de classe sociale ou est-ce que, selon les spéculations de Paul Mason et d’autres, la mémoire de la guerre civile a joué un rôle ? Quelles sont les raisons déterminantes de ce “Non” ?
De tous les facteurs que vous avez mentionnés, le moins pertinent est celui de la guerre civile. Nous devons constater que le “Non” domine même dans des zones du pays traditionnellement à droite telles que la Laconie, près de Sparte, Messinia ou d’autres zones en Grèce centrale où la droite domine. Le “Non” est majoritaire dans toutes les régions de Grèce.
La dimension de classe était clairement la plus importante des trois que vous avez mentionnées et que je vais analyser par ordre d’importance. Même les commentateurs conventionnels reconnaissent que c’était le scrutin le plus socialement clivé de l’histoire de la Grèce. Dans les quartiers ouvriers on obtient plus de 70 pour cent pour le “Non”, et dans les quartiers riches, plus de 70 pour cent pour le “Oui”.
La réaction hystérique des forces dominantes et la situation dramatique provoquée par la fermeture des banques, la limitation des retraits, etc. ont créé au sein des classes populaires une simple assimilation au camp du “Oui” de tout ce qu’elles détestaient. Le fait que le camp du “Oui” ait mobilisé pour leur campagne tous ces politiciens, experts, dirigeants d’entreprises et célébrités médiatiques détestés, n’a fait qu’exacerber cette réaction de classe.
Le deuxième élément qui est tout autant impressionnant est la radicalisation de la jeunesse. C’est la première fois depuis la crise que la jeunesse dans son ensemble fait une déclaration unifiée. Quatre-vingt-cinq pour cent des 18 à 24 ans ont voté « Non », ce qui montre que cette génération, qui a été totalement sacrifiée par le mémorandum, est très consciente de l’avenir qui se prépare et a une attitude claire vis-à-vis de l’Europe.
Dans le quotidien français Le Monde, un article demande comment ces jeunes, qui ont grandi avec l’euro, les programmes Erasmus et l’Union Européenne en sont venus à se retourner contre elle, et la réponse de toutes les personnes interrogées était simple : nous avons vu ce qu’est l’Europe, et l’Europe, c’est l’austérité, l’Europe, c’est le chantage envers les gouvernements démocratiques, l’Europe, c’est la destruction de notre avenir.
Ceci explique les manifestations massives et combatives de cette semaine, culminant particulièrement avec les rassemblements de ce vendredi 3 juillet à Athènes et autres grandes villes en Grèce
Et le troisième aspect est certainement celui de la fierté nationale. Cela explique pourquoi en dehors des grands centres urbains où les limites entre les différentes classes sociales sont plus floues, dans la Grèce rurale et les petites villes, même là, le « Non » a été majoritaire. C’était un « Non » à la Troïka, un « Non » à Juncker. On a vu que même pour ceux qui sont sceptiques vis-à-vis du gouvernement et ne s’identifient pas à Syriza ou Tsipras, il s’agissait clairement d’une tentative d’humilier un gouvernement élu et maintenir le pays sous le règne de la Troïka.
Vous vous êtes rendu sur plusieurs lieux de travail pour faire campagne pour le « Non ». Pouvez-vous nous en parler un peu et nous dire quel accueil vous avez reçu ?
Cela a bien sûr été une expérience unique. Il y avait une grande disparité de situations – l’atmosphère était dure au sein des chemins de fer, une compagnie qui a été déjà largement démantelée et dont ce qui subsiste sera privatisé. Les travailleurs savaient que le gouvernement avait déjà accepté la privatisation des chemins de fer. Cela était même inclus dans la première liste de réformes annoncées par Varoufakis après l’accord du 20 février.
Mais malgré les contextes variés, dans tous ces lieux, la discussion tournait autour de deux questions : pourquoi le gouvernement a-t-il fait si peu jusqu’à présent, pourquoi a-t-il été si timide ? Et aussi qu’allez-vous faire après la victoire du “Non” ?
Il était tout à fait clair pour ces personnes que le “Non” allait l’emporter car la campagne du “Oui” était invisible sur les lieux de travail, et parmi la classe ouvrière d’une manière générale, de sorte qu’il n’y avait aucun doute sur le résultat à venir. Mais il y avait une très grande anxiété concernant ce qui se produirait après la victoire.
Ainsi, les questions étaient : Quels sont vos plans ? Qu’allez-vous faire ? Pourquoi parlez-vous encore de négociations alors que depuis cinq mois et demi nous avons vu cette approche échouer clairement ?
J’étais dans une situation très embarrassante, parce qu’en tant que porte-parole de Syriza et membre du comité central, je ne pouvais pas apporter de réponses convaincantes à tout cela.
Le “Non”, bien sûr, l’a massivement emporté. Avez-vous été surpris par l’ampleur de cette victoire ?
Oui, je ne m’attendais pas à ce que le “Non” atteigne le seuil des soixante pour cent. Il faut dire que parmi les cadres dirigeants de Syriza, seul Lafazanis avait prédit un tel résultat et très peu au sein de la Plateforme de Gauche étaient d’accord avec lui. La plupart s’attendaient à un score comme cinquante-cinq pour cent.
La première conséquence immédiate de cette victoire massive du “Non” a été d’accroître la désintégration des partis de l’opposition.
Le soir même du vote, ces gens étaient complètement vaincus. C’était de loin la plus grave défaite des partisans de l’austérité depuis le début de la crise. C’était bien plus clair et bien plus profond que les élections de janvier, parce même en regroupant et mobilisant toutes leurs forces ils avaient malgré tout essuyé une défaite dévastatrice. Il n’y a pas une seule circonscription en Grèce qu’ils aient gagnée.
Le leader de Nouvelle Démocratie et ancien Premier ministre Antonis Samaras a démissionné immédiatement. Ensuite, à peine quelques heures plus tard, tout ce camp avait ressuscité et avait été légitimé par Tsipras lui-même lorsqu’il a convoqué le “conseil des leaders politiques” sous les auspices du président de la république, un supporter déclaré du “Oui”, qui avait été nommé par la majorité de Syriza au parlement en février.
A cette réunion une chose extraordinaire s’est produite : le chef de ceux qui avaient gagné a accepté toutes les conditions de ceux qui avaient perdu. Cela, il faut le dire, est un évènement unique dans l’histoire politique. Je ne pense pas qu’on ait déjà vu ça avant.
Peut-être le gouvernement a-t-il été surpris par la force du “Non”, et le comportement de classe qu’ils ont dû comprendre par ailleurs, mais en a conclu que cela ne faisait que confirmer ses plans initiaux ? Rien n’indiquait que quelque chose de plus profond était à l’œuvre ?
Je ne peux pas vraiment me prononcer sur la manière dont ils ont interprété le référendum, parce que tout le monde a été très absorbé par les prétendues négociations, qui ne relèvent que de la plaisanterie évidemment. Je pense que la meilleure formule pour qualifier ces négociations est celle rapportée par le correspondant du Guardian à Bruxelles, Ian Traynor, qui a écrit qu’un responsable de l’UE les avaient appelées un “exercice de torture psychologique”.
Ce qui est clair, en revanche, c’est que le gouvernement a immédiatement pris ces initiatives pour désactiver la dynamique qui était en train d’émerger à la suite du référendum. Et c’est pour cette raison que quelques heures après l’annonce du dernier recours, a été convoquée cette réunion de tous les chefs de parti, qui a fixé une ligne politique complètement différente de celle exprimée par le “Non”.
Le contenu de cette nouvelle ligne était que, quoi qu’il arrive – c’était déjà en route évidemment dans des mesures inspirées par Dragasakis la semaine précédente – la Grèce devait rester dans la zone euro. Et le point le plus ancré de la déclaration commune approuvée par tous les chefs de parti – à l’exception du Parti Communiste Grec (KKE), qui a refusé de signer, et des Nazis, qui n’ont pas été invités à la réunion – était que ce référendum n’était pas un mandat pour une sortie de la zone mais un mandat pour négocier un meilleur accord. Donc dès ce moment le désastre était en marche.
Y a-t-il des indices que les positions des gens sur la question de la zone euro changeaient pendant le temps du référendum ?
Bien sûr qu’elles changeaient. L’argument qui a été constamment ressassé par les médias, par les dirigeants politiques du camp du “Oui”, mais aussi par tous les dirigeants européens qui ont manifestement interféré sur le référendum de la plus flagrante des façons pendant cette semaine, était que voter “Non” était voter contre l’euro. Donc il est totalement irrationnel de prétendre que les gens qui ont voté “Non” n’étaient pas de ceux qui prenaient le moins le risque d’une possible sortie de l’euro quand c’est le moyen pour eux de dire “Non” à plus de mesures d’austérité.
Il faut préciser que ce qui s’est produit au cours de cette semaine a été un processus de radicalisation de l’opinion publique. Vous pouviez le sentir et l’entendre dans les rues, les lieux de travail, tous les types d’espaces publics. Partout, les gens ne parlaient que du référendum, si bien qu’il était très facile de percevoir le sentiment populaire.
Je ne prétends pas qu’il était homogène. Les gens faisaient valoir que voter “Non” donnerait vraiment au gouvernement une carte de plus pour les négociations. Je ne dis pas que cela n’est pas vrai. Mais nous devons aussi comprendre que le caractère massif du “Non” dans le pays signifie que les gens, plus particulièrement dans les classes laborieuses, dans la jeunesse, et dans les classes moyennes appauvries, ont eu le sentiment qu’ils n’avaient plus rien à perdre, qu’ils pouvaient prendre des risques et livrer bataille.
L’esprit combatif des rassemblements du vendredi fut un autre signe de cela. J’ai été très impressionné. Personnellement, je n’ai rien vu de tel en Grèce depuis les années 1970.
Parlons du vote du 11 juillet au parlement concernant les propositions envoyées par le gouvernement grec à l’Euro-groupe. Il est devenu clair à ce moment que le gouvernement avait accepté la perspective d’un nouveau plan d’austérité.
Ces propositions ont finalement été approuvées par 251 députés sur 300, avec le soutien massif des partis pro-austérité.
L’une des conditions posées par les créanciers était que les propositions du gouvernement grec devaient être approuvées par le Parlement, sachant que cela n’avait aucun sens. Ce n’est même pas constitutionnel à proprement parler, parce que le parlement ne peut se prononcer que sur des lois ou des accords internationaux et intergouvernementaux, il ne peut pas voter un simple document servant de base à des négociations et qui peut être modifié n’importe quand au cours des négociations.
Mais cela a été un acte symbolique qui a donné carte blanche au gouvernement pour négocier sur des bases dramatiquement affaiblies. Les propositions du gouvernement étaient seulement une version allégée du plan Juncker qui avait été rejeté par le référendum. Donc, en fait, ce que le gouvernement demandait était l’approbation de sa volte-face au cours de la semaine.
Mais le tableau au sein du groupe parlementaire de Syriza semble plus complexe. Donc évoquons les dissensions dans les rangs de Syriza et la position adoptée par la Plateforme de Gauche.
La position de la Plateforme de Gauche fut significativement débattue en interne, notamment au sein de la principale composante de la plateforme, le courant de Gauche mené par Panagiotis Lafazanis. L’opinion majoritaire était que nous devions exprimer un vote différencié, ce qui supposait que certains devaient voter “présent” pendant le vote lui-même, ce qui correspondait pratiquement à un vote “Non”, mais avec peut-être cependant une portée symbolique moindre.
Pourquoi est-ce la même chose qu’un vote “Non” ?
Parce que ça ne change rien à la majorité requise nécessaire à une proposition pour passer. De toute façon, vous avez besoin de 151 votes pour la faire passer.
Une autre partie du groupe devait voter en faveur de ces propositions tout en faisant simultanément une déclaration stipulant deux choses : la première, c’est qu’ils étaient solidaires de ceux qui rejetaient ces propositions, ceux qui avaient voté “présent” en l’espèce mais qui n’acceptent pas cet accord ; la deuxième c’est qu’ils ne voteraient pas un accord contenant des mesures d’austérité.
Et peut-être que le second point est encore plus important que le premier (nous y reviendrons certainement dans un instant). La raison en est que la pratique constitutionnelle grecque est la suivante : pour chaque loi qu’il veut faire adopter, le gouvernement doit montrer qu’il a une majorité venant de ses propres rangs, du parti lui-même ou de la coalition, ce qui est le cas si nous tenons compte de l’ANEL, le parti des Grecs indépendants. Et, en fait, le gouvernement a perdu le contrôle de sa propre majorité.
Bien que ce ne soit pas obligatoire, il est de coutume dans l’histoire constitutionnelle grecque que lorsqu’un gouvernement perd sa majorité, c’est le fameux “dedilomeni” comme on l’appelle (majorité déclarée), il faut organiser de nouvelles élections. C’est pourquoi les discussions sur de nouvelles élections ont immédiatement débuté. Les nouvelles élections ont déjà été annoncées, la question maintenant est juste de savoir quand elles auront lieu.
Donc, nous constatons que cette ligne, avec laquelle je suis personnellement en désaccord, je fais partie de ceux qui privilégiaient un vote homogène “Non” ou “Présent”, a échoué car avec sept députés de la Plateforme qui ont voté “Présent” tout comme plusieurs députés de Syriza (Notamment Zoe Konstantopoulou, le président du Parlement, et Rachel Makri, une ex-députée ANEL qui est très proche de nous à présent), le gouvernement avait déjà perdu sa majorité.
Cependant, l’essentiel est là : tous les députés de la Plateforme de Gauche rejetteront le nouveau mémorandum au prochain vote, cela a déjà été annoncé. A ceci je dois ajouter que les deux députés de la Plateforme qui ne sont pas membres du courant de gauche mais proches du réseau rouge (DEA et les autres), la composante trotskiste de la Plateforme, ont voté “Non” et ils furent les deux seuls députés de Syriza à voter “Non” au nouvel accord.
Donc ce que vous êtes en train de dire c’est que la Plateforme de Gauche a adopté cette position compliquée, du moins compliquée vue de l’extérieur des salles de l’Assemblée nationale, parce qu’elle a sous-estimé le degré d’impopularité que la proposition de Tsipras allait avoir ? Elle a sous-estimé à quel point les gens extérieurs aux rangs de la Plateforme monteraient au créneau et s’y opposeraient ?
Ils se prenaient en quelque sorte pour “le dernier des Mohicans”. Ils pensaient que s’ils votaient “Non”, ils entraîneraient la chute du gouvernement et provoqueraient de nouvelles élections – même s’il y avait en fait une crise plus large qui touchait, par exemple, le Président du Parlement, et ils n’ont pas intégré cela dans leurs calculs ? Qu’ils étaient portés par un sens de la légitimité ?
Je dirais qu’il s’agissait en effet essentiellement de légitimisme, il s’agissait de montrer que leur intention n’était pas de renverser le gouvernement mais d’exprimer leur désaccord, d’envoyer un avertissement sur le fait qu’il s’apprêtait à franchir la dernière ligne rouge. Il s’agissait donc de dénoncer l’illégitimité du revirement de Tsipras sans toutefois, à ce stade, opter pour une rupture claire et nette avec celui-ci.
Je dois ajouter que les deux plus importants ministres et personnalités de la Plateforme, Lafazanis lui-même et le ministre adjoint aux affaires sociales, Dimitris Stratoulis [qui a perdu son poste au gouvernement le 17 juillet, NdT] ont voté “Non” pour mettre les choses au clair. Lafazanis a également fait une déclaration précisant qu’il s’agissait de la position de la Plateforme, et qu’ils n’essayaient pas pour autant de renverser le gouvernement.
Mais pensez vous que les couches fraîchement radicalisées de la classe laborieuse grecque qui venait de remporter le référendum ont compris ce qui était en train de se passer ?
Ils ont bien compris que le gouvernement avait perdu le contrôle de sa propre majorité. Les médias ont fait le travail pour nous, en se focalisant sur Lafazanis, en rapportant qui avait voté “non”, “présent”, “absent”, etc. Je dois également ajouter que parmi les absents il y avait les quatre députés du courant maoïste (KOE) ainsi que Yanis Varoufakis lui-même, alors censé avoir des “obligations familiales”. Donc les médias ont travaillé pour nous, et chacun s’est rendu compte qu’il y avait une rupture au sein du groupe parlementaire de Syriza.
Immédiatement, les éléments les plus à droite de Syriza ont exigé que ceux qui étaient en désaccord d’une manière ou d’une autre démissionnent immédiatement de leurs mandats, y compris de leurs sièges parlementaires. Donc il est clairement apparu que Syriza était partagé, même si évidemment leur tactique restait obscure.
Le vote le plus crucial et le plus symbolique va avoir lieu maintenant. Le vote de la semaine dernière était un vote sur les propositions pour la négociation. Le prochain vote, celui qui déterminera l’avenir de Syriza et du pays, sera un vote sur l’accord signé dimanche. Et selon les informations que j’ai le vote sera absolument clair, et il se fera dans la mémoire populaire un véritable parallèle avec les fameux votes de mai 2010 et février 2012, quand tout le monde observait chaque individu, chaque député, pour voir comment ils allaient voter à cette occasion.
Que pensez-vous de l’argument avancé par des personnes comme Alex Callinicos, avec qui vous avez débattu il y a quelques jours, qui est qu’à ce moment la Plateforme de Gauche bénéficiait de la légitimité octroyée par le référendum et qu’elle a d’une manière ou d’une autre gâché cette opportunité ?
Je pense qu’il est trop tôt pour dire si nous l’avons gâchée ou non. Les choses ne se décident pas en un seul instant, pas à ce moment-là du moins. C’est un processus en train de se dérouler, et je pense que le vrai choc dans la société au sens large va venir avec le nouvel accord qui a été signé.
A ce stade, tout ce que je peux dire est que la Plateforme de Gauche a décidé de reprendre en main le parti et de demander que se tienne un congrès du parti. Je pense qu’il est clair que ce virage à cent quatre-vingts degrés de Syriza n’est soutenu que par une minorité des membres du parti.
Bien sûr, nous savons tous que les manipulations bureaucratiques des procédures partisanes sont sans fin et démontrent une capacité d’innovation infinie. Cependant, il est très dur pour moi de voir comment la majorité des membres de Syriza a pu approuver ce qui a été fait. La direction principalement résistera férocement à l’appel d’un congrès. Nous verrons ce qui se produira, car les statuts nous permettent d’appeler à une réunion du comité central etc.
Mais, objectivement, le processus menant à la désintégration de Syriza a déjà commencé. Syriza tel que nous le connaissions est mort et des scissions sont absolument inévitables. La seule question qui se pose, c’est de savoir comment elles se produiront et quelles formes elles prendront.
Cependant il est également probable que la majorité gouvernementale soit drastiquement redessinée, pour se rapprocher d’une forme de gouvernement d’”union nationale” ou de “grande coalition”. L’entière logique de la situation indique cette direction.
Les quatre ministres de la Plateforme de Gauche quitteront le gouvernement cette semaine et le vote de demain au parlement sur l’accord démontrera l’existence d’une nouvelle majorité favorable à l’austérité, regroupant la plupart des députés de Syriza et tous les autres partis, à l’exception du KKE [parti communiste, NdT] et des Nazis. On s’attend à ce qu’au moins quarante députés de Syriza votent contre l’accord et ils pourraient être suivis d’un certain nombre de Grecs Indépendants. D’ores et déjà le leader de To Potami se conduit comme un futur ministre et la Droite débat assez ouvertement de la possibilité de se joindre au gouvernement, bien qu’aucune décision à ce sujet n’ait encore été prise.
Mais ce que vous décrivez c’est une Plateforme de Gauche agissant comme un bloc discipliné. Suggérez-vous qu’elle n’est pas fragmentée, que le vote n’était pas une manifestation de cela mais une manœuvre tactique ?
Il y a eu des défections individuelles, mais elles sont restées plutôt limitées, et nous avons réussi à préserver la cohérence de la Plateforme de Gauche. Clairement, je pense que ne pas avoir présenté notre plan alternatif avant était une erreur, mais un document a été soumis au groupe parlementaire durant la réunion plénière, et ce document a été adopté comme déclaration commune de la Plateforme de Gauche, par les deux composantes : le Courant de Gauche et le Réseau Rouge [Les deux courants internes de la Plateforme de Gauche, NdT]. Il est absolument crucial de maintenir la cohérence entre ces deux composantes. Mais il est encore plus crucial, en réalité, pour la gauche de Syriza d’agir de manière coordonnée.
Il y a toutes sortes d’initiatives lancées en dehors des rangs de la Plateforme de Gauche pour réagir à ce qui est en train de se passer. Nous savons déjà que la tendance que l’on a appelée les Cinquante-trois (l’aile gauche du parti) s’est désintégrée, et il va y avoir des réalignements majeurs de ce côté. La clef est pour nous d’agir comme les représentants légitimes du camp du “Non”, le camp opposé à l’austérité, qui est celui de la majorité de la société grecque et qui a objectivement été trahi dans ce qui est arrivé.
Et, constitutionnellement, est-ce que la direction est en position de purger le parti ?
Elle est certainement en position de purger le gouvernement, et c’est une bonne chose. Bien sûr, cela veut dire que les ministres de la Plateforme de Gauche vont bientôt être expulsés du gouvernement. En ce qui concerne le parti, nous verrons.
Mais existe-t-il des mécanismes qu’ils pourraient utiliser ?
Il est très difficile d’exclure quelqu’un du parti, mais nous attendons de voir comment ils manipulent les procédures au niveau du comité central.
Et on peut forcer quelqu’un à se démettre de son mandat, ou pas ?
Non, c’est complètement impossible. Les candidats de Syriza qui ont été élus députés ont adopté une sorte de charte, qui dit qu’ils doivent démissionner s’ils sont en désaccord avec les décisions de la majorité. Mais les décisions du gouvernement n’ont pas été approuvées par une instance du parti. Le comité central du parti, qui est son seul organe élu par le congrès, ne s’est pas réuni depuis des mois. Donc la légitimité de ces décisions à l’intérieur du parti, et bien sûr dans la société grecque, est tout simplement inexistante.
Mais, s’il y a de nouvelles élections, la direction du parti peut-elle exclure des gens ?
C’est clairement leur plan. Un tel scénario était même déjà discuté avant le référendum, au cours de la dernière phase du processus de négociation, lorsque l’impasse devenait de plus en plus évidente – des gens disaient alors que Tsipras devait convoquer de nouvelles élections et, entre les élections, exclure tous les candidats de la gauche de Syriza. Et je pense que c’est certainement le type de plan qu’ils ont en tête. Ce sera donc une lutte entre le fonctionnement et la légitimité du parti et les possibilités de manipulation du programme et du calendrier politiques, en particulier par la convocation de nouvelles élections.
Comment voyez-vous l’accord signé le week-end dernier entre le gouvernement grec et l’Euro-groupe ?
L’accord est, à tous les niveaux, dans la droite ligne de la thérapie du choc appliquée avec constance à la Grèce au cours des cinq dernières années. Il va même encore plus loin que tout ce sur quoi des votes ont eu lieu jusqu’à présent. Il inclut le plan d’austérité budgétaire qui a été systématiquement mis en avant par la troïka depuis des mois, comprenant des objectifs d’excédents primaires élevés, une augmentation des recettes par le biais de la TVA et de toutes les taxes exceptionnelles qui ont été créées ces dernières années, de nouvelles baisses des retraites, mais également des salaires du secteur public puisque la réforme sur l’échelle des salaires comprendra certainement des baisses de rémunération.
Il y aura aussi des changements institutionnels importants : le fisc deviendra complètement indépendant de la politique intérieure, devenant en fait un outil dans les mains de la troïka, et un nouveau conseil « indépendant » sera créé, pour contrôler la politique fiscale. Il sera habilité à introduire automatiquement des coupes budgétaires si les objectifs d’excédent primaire ne sont pas atteints.
Les éléments qui ont été ajoutés, et qui donnent une teinte particulièrement féroce à cet accord, sont les suivants : premièrement, il est clairement confirmé que la présence du FMI en Grèce est bien établie. Deuxièmement, les institutions de la troïka seront présentes de manière permanente à Athènes. Troisièmement, Syriza se voit interdire de mettre en œuvre deux de ses engagements majeurs, le rétablissement de la législation du travail – il y a eu quelques vagues références au code de bonnes pratiques européen, mais il était explicite que le gouvernement ne pourrait pas revenir à la législation d’avant – ainsi que, bien sûr, l’augmentation du salaire minimum.
Le programme de privatisations est porté à un niveau incroyable – il s’agit de 50 milliards d’euros de privatisations -, ce qui signifie qu’absolument tous les biens publics seront vendus. Non seulement cela, mais ils seront, dans leur totalité, transférés à une institution complètement indépendante de la Grèce. Il était question qu’elle soit basée au Luxembourg. Elle sera en fait basée à Athènes, mais elle sera entièrement soustraite à toute forme de contrôle politique. C’est typiquement ce qui s’est passé sous le régime de la Treuhand, qui a privatisé tous les biens de la RDA.
Et parmi toutes ces mesures, la plus forte est qu’à l’exception du projet de loi sur les mesures humanitaires – dont la portée est très réduite par rapport au programme de Syriza, c’est avant tout un geste symbolique -, le gouvernement devra abroger l’ensemble des quelques mesures de politique sociale et économique qu’il avait fait passer.
Et qu’en est-il de tous ces problèmes que les libéraux et les sociaux-démocrates utilisent pour donner des arguments politiquement corrects en faveur de l’austérité, à savoir le budget de la Défense et l’Église orthodoxe ?
Il n’y a rien à signaler du côté de l’Église. Une réduction importante du budget de la Défense est en effet proposée, et quelques vagues discussions ont eu lieu concernant la possibilité de rendre le paiement de la dette plus viable, tout en rejetant explicitement tout effacement ou annulation véritable de la dette.
Cela ne changera presque rien, puisque les intérêts de la dette grecque sont déjà plutôt bas, et les paiements annuels sont extrêmement étalés dans le temps ; il y a donc très peu à faire de ce côté-là pour alléger la charge de la dette. Et il ne faut pas oublier que l’accord est juste une première étape avant le mémorandum qui accompagnera un nouveau prêt de 86 milliards, qui bien sûr entraînera une nouvelle augmentation de la dette.
La clause, vague, concernant un réexamen des termes du paiement de la dette est donc un coup avant tout rhétorique qui permet simplement à Tsipras de dire qu’ils ont maintenant reconnu la nécessité de s’occuper du problème de la dette. C’est de la pure rhétorique, des paroles vides de sens.
Pensez-vous que c’était une erreur de la part du gouvernement et de la Gauche de ne pas en avoir fait plus concernant l’Église orthodoxe, l’armée, et le budget de la Défense, donnant par là même des arguments à l’autre camp ?
Honnêtement, la priorité n’est pas là. La dette grecque est essentiellement due au contexte économique général dans le pays d’une croissance insoutenable alimentée, pendant les années qui ont précédé, par des emprunts, et est due au fait que l’état grec n’a pas correctement taxé le capital et les classes moyennes et supérieures. Ceci est le cœur du problème. Ce n’est pas le mythe à propos de l’Église.
C’est difficile : taxer l’Église n’est pas quelque chose qui peut être fait du jour au lendemain, car les actifs en possession de l’Église sont extrêmement divers. La plupart d’entre eux sont sous forme d’entreprises, ou de revenus qu’elle retire de ses terrains, ou de biens immobiliers. Il y a donc un mythe à ce propos, alors qu’en fait, si l’on taxait correctement ce genre de revenus et de possessions, on taxerait aussi l’Église elle-même.
Cette idée comme quoi le gouvernement avait trop peur du coût politique d’adopter une ligne dure vis-à-vis de l’Église, que ce soit par rapport à l’ANEL [Grecs indépendants, NdT], ou plus généralement au sein du pays, ne tient donc pas ?
Il y a beaucoup de points sur lesquels on peut critiquer ce gouvernement, mais, honnêtement, penser qu’ils essaieraient de se décharger de leurs responsabilités sur l’ANEL, ça n’a pas de sens.
Je dirais même que les actions les plus choquantes dans le domaine de la défense et de la politique étrangère – par exemple, le maintien de l’accord militaire avec Israël, les exercices menés en Méditerranée avec les Israéliens – toutes ces décisions ont été prises par des personnes clefs de Syriza, comme Dragasakis. C’est assez révélateur que ce soit lui qui représentait le gouvernement grec lors de la réception organisée par l’ambassade d’Israël pour célébrer les vingt-cinq ans de la normalisation des relations diplomatiques entre la Grèce et Israël.
Et qu’en est-il de l’autre interprétation que l’on peut avoir de tout ça ? L’idée qui veut que Tsipras a remis du politique dans ces discussions techniques, qu’il a exposé l’autre camp pour ce qu’ils sont réellement : maintenant, dans l’opinion publique, Merkel et les autres sont présentés pour ce qu’ils sont vraiment, des monstres, etc.
Sans qu’il l’ait voulu, je pense que c’est le cas. Un camarade m’a envoyé un message disant qu’il est vrai que le gouvernement de Syriza a réussi à ce que l’UE soit bien plus haïe par le peuple grec que tout ce à quoi étaient parvenus Antarsya [Front de la Gauche Anticapitaliste Grecque, NdT] ou le KKE [Parti Communiste Grec, NdT] en vingt ans de rhétorique anti-UE !
Parlons à présent de ce qui va suivre. Il y aura cette semaine un vote sur le nouveau plan d’austérité, où vous êtes convaincu que la Plateforme de Gauche votera contre, un congrès d’urgence du parti pour essayer de regagner la majorité avec, potentiellement, des divisions et des expulsions. Et ensuite ? Une reconstruction de la Gauche avec des éléments d’Antarsya ?
Il est très tôt pour discuter de telles perspectives d’avenir.
Mais les relations entre la Plateforme de Gauche et Antarsya se sont-elles améliorées ?
Je pense que ce qui a été important est le fait que la plupart des sections d’Antarsya ont vraiment mené la bataille du référendum avec beaucoup d’entrain, et, dans de nombreux endroits, il y avait des comités locaux impliquant toutes les forces du Non, c’est-à-dire, en fait, Syriza et ces sections d’Antarsya. Je pense qu’il y a donc une possibilité politique qu’il faut examiner.
Cependant, je ne suis pas si optimiste concernant Antarsya parce que je crois que le ciment qui maintient ensemble cette coalition est toujours le gauchisme traditionnel. On peut d’ores et déjà voir que ce qu’ils disent de cette défaite est qu’ils ont été disculpés, que c’est l’échec de tous les réformismes de gauche, et que ce qu’il nous faut est un parti authentiquement révolutionnaire, et que, bien sûr, ils sont l’avant-garde qui constitue le cœur de ce parti et ils vont continuer comme cela. Je pense donc qu’il y aura quelques recompositions, mais je m’attends à ce qu’elles soient d’ampleur limitée.
Et, éventuellement, des mouvements sociaux aujourd’hui, avec des rumeurs de grève générale dans le secteur public ?
C’est le facteur le plus décisif pour l’instant inconnu. Quelle est la situation globale désormais ? Nous avons un nouveau mémorandum et nous avons une reconfiguration de la majorité parlementaire qui est derrière ce mémorandum. Il sera symboliquement validé par le vote à venir, où nous verrons la plupart des parlementaires de Syriza voter ensemble à nouveau avec les partis pro-austérité pour un nouveau mémorandum, et à nouveau, nous avons un écart entre la représentation politique de ce pays et le peuple. Cette contradiction nécessite donc d’être résolue.
Le champ est maintenant clairement ouvert pour les Nazis. Ils vont certainement tenter d’en faire le meilleur usage possible. Ils ont déjà voté contre la proposition grecque, ils voteront certainement contre le mémorandum, ils le traiteront certainement de nouvelle trahison. La grande question est de savoir quel sera le niveau de la mobilisation sociale contre le tsunami de mesures qui vont tomber sur les épaules des travailleurs et bien sûr l’urgence absolue de reconstituer une gauche combattant l’austérité. C’est bien sûr le défi principal.
Nous savons que nous avons quelques éléments pour reconstruire la Gauche, que les lourdes responsabilités reposent sur les épaules de la gauche de Syriza, au sens large. Plus précisément, une responsabilité encore plus lourde repose sur les épaules de la Plateforme de Gauche, car c’est la partie la plus structurée, cohérente et lucide politiquement de ce bord. Ce sera donc le test des mois à venir.
Prenons un peu de recul pour observer le processus dans son ensemble, et la première interview que vous avez donnée à Jacobin : premièrement sur la vaste question de la Plateforme de Gauche qui travaille simultanément avec le gouvernement et au sein des mouvements sociaux, quel est votre bilan sur ce point ?
Tout d’abord, commençons par la situation générale. Ce que j’ai dit dans l’interview était qu’il n’y avait que deux possibilités pour la situation grecque, la confrontation ou la capitulation. Nous avons eu la capitulation, mais il y a aussi eu des moments de confrontation qui ont été très mal gérés par le gouvernement. Cela a été le réel test.
A l’évidence, la stratégie du « bon euro » et de « l’européisme de gauche » s’est effondrée, et de nombreuses personnes le réalisent désormais. Le processus du référendum l’a fait apparaître très clairement, et le test est parvenu à ses extrêmes limites. La leçon a été dure, mais nécessaire.
La seconde hypothèse que j’ai émise à l’époque était que l’on a besoin de succès politiques, y compris au niveau électoral, pour déclencher de nouveaux cycles de mobilisation. Je pense que cela s’est révélé vrai également, à deux moments cruciaux.
Le premier a correspondu aux trois premières semaines après l’élection, lorsque l’état d’esprit était très combatif, les gens étaient prêts à la confrontation et pleins d’entrain. Il s’est terminé avec l’accord du 20 février. Et, à partir de ce moment, il y a eu un relâchement vers un climat de passivité, d’anxiété et d’incertitude sur ce qui se passait. Le second a été le référendum, évidemment. Nous avons alors pu voir la manière dont une initiative politique qui amène une séquence de confrontation libère des forces, et agit comme catalyseur d’un processus de radicalisation dans l’ensemble de la société. C’est un enseignement que nous devons également en tirer.
Abordons maintenant la relation entre les mouvements sociaux et la Plateforme de Gauche. Eh bien, au vu des piètres résultats enregistrés par le gouvernement, on peut dire qu’il n’y a pas eu d’initiatives gouvernementales particulières qui auraient pu donner des raisons à la population de se mobiliser. Ces mesures n’ont en fait jamais été prises. Cette hypothèse, du moins à ce niveau, n’a donc jamais été testée. Et ce qui nous attend est quelque chose de beaucoup plus familier : une mobilisation contre la politique d’un gouvernement converti à l’austérité extrême.
D’une manière plus générale, Syriza n’a presque rien mis en œuvre de son programme électoral. Ce que les ministres de la Plateforme de Gauche ont pu faire de mieux a été de bloquer un certain nombre de processus, en particulier la privatisation du secteur de l’énergie qui avait été initiée précédemment. Ils ont gagné un peu de temps, mais c’est tout. Ce que l’on a aussi clairement vu dans cette période, c’est que le gouvernement, les dirigeants, sont devenus totalement autonomes vis-à-vis du parti. Ce processus avait déjà commencé – nous en avions parlé lors de notre dernière conversation – mais cela a maintenant atteint une sorte de point culminant.
Cela a également été accentué par le fait que tout ce processus de négociation a déclenché la passivité et l’anxiété parmi la population et les secteurs les plus combatifs de la société, les menant à l’épuisement. Avant le référendum, l’état d’esprit était clairement : « Nous ne pouvons plus accepter cette sorte de torture, à un moment, cela doit cesser. »
C’est quelque chose que personnellement je n’avais pas prévu. Je pensais que le rythme serait plus rapide. Je n’avais pas prévu que ce processus d’enfermement et de blocage durerait si longtemps, et limiterait autant notre capacité d’initiative.
C’est bien sûr le moment pour une inévitable autocritique, qui ne fait que débuter. Clairement, la Plateforme de Gauche aurait pu faire plus durant cette période pour mettre en avant des propositions alternatives. L’erreur est même très claire parce que le document alternatif existait, il y avait simplement une hésitation en interne au sujet du moment approprié pour le sortir.
Nous avons été neutralisés et submergés par la séquence sans fin de négociations et de moments difficiles et ce fut seulement quand il était déjà trop tard, lors de la réunion plénière du groupe parlementaire, qu’une version allégée de cette proposition a finalement été rendue publique et a commencé à circuler. Clairement, c’est une chose que nous aurions dû faire plus tôt.
Et que faites-vous des attaques sur les déclarations de Costas Lapavitsas [Économiste et député de Syriza, NdT] affirmant que la Grèce n’est pas prête pour un Grexit et qu’il n’y a dans un sens aucune issue ? Un des problèmes avec cette formulation c’est que, bien que cela soit vrai dans les faits – il n’y a pas eu de préparations pour un Grexit -, cela ne fait que renforcer cette opinion parce que les personnes qui veulent un Grexit ne seront jamais en mesure de le préparer.
Je pense que la déclaration de Costas a été mal interprétée. Tout d’abord, Costas est l’une des cinq personnes qui ont signé le document apporté par la Plateforme de Gauche et qui dit clairement qu’une alternative est possible même maintenant, immédiatement.
Ce sur quoi Costas voulait insister dans sa déclaration, derrière les portes de la salle du Parlement, est la chose suivante : que le Grexit doit être préparé concrètement et qu’il y a eu une décision politique de ne rien préparer du tout et ainsi d’empêcher matériellement toute possibilité de solution alternative d’émerger au moment le plus critique.
La stratégie systématiquement mise en avant par le gouvernement a été celle du type « brûler ses vaisseaux ». Et je pense que c’était plus particulièrement l’obsession de Giannis Dragasakis [Vice premier ministre, NdT]. Il a fait en sorte de rendre impossible toute prise de contrôle publique des banques. Il est en fait l’homme de confiance des banquiers et des grands groupes et il s’est assuré depuis la prise de pouvoir de Syriza que le cœur du système reste inchangé.
Et vous confirmez que des documents préparatifs à un Grexit ont été initialement mis sur la table et rejetés ?
Très vaguement. Dans les réunions gouvernementales restreintes, de ce que l’on appelle le Conseil gouvernemental, auxquelles ne prennent part que les dix ministres principaux, Varoufakis avait évoqué la nécessité au printemps d’envisager le Grexit comme une issue possible et de s’y préparer. Je crois qu’il y a eu quelques travaux sur une monnaie parallèle, mais tout cela est resté assez vague et mal préparé.
Maintenant, comme je l’ai déjà dit, dans son entretien avec le New Statesman, Varoufakis fait une présentation des évènements selon laquelle il a préparé un plan alternatif pendant la mise en place du référendum. Mais c’est également un aveu que tout cela est venu bien trop tard.
Que diriez-vous aujourd’hui – les questions du rythme et de la démoralisation mises à part – que vous n’aviez pas, ou seulement partiellement compris au début de ce processus, et que vous comprenez mieux maintenant ?
Je me suis repassé le film dans la tête un nombre incalculable de fois toutes ces années pour tenter de comprendre les moments de bifurcation. Et pour moi le moment décisif a été la période qui a suivi le pic des mobilisations populaires de l’automne 2011 et précédé la séquence électorale du printemps 2012.
Comme vous le savez sans doute, j’étais très impliqué avec Costas Lapavitsas et d’autres camarades, la Direction de la Plateforme de Gauche incluse, dans des initiatives pour constituer un projet commun de toute la Gauche anti-européiste.
Les discussions étaient relativement avancées, il y a même eu un document rédigé par Panagiotis Lafazanis [Ex-ministre du redressement productif depuis le 18 juillet, NdT] amendé par d’autres participants à ces discussions. L’idée était d’ouvrir un espace commun de discussions et d’actions entre la Plateforme de Gauche de Syriza, certains courants d’Antarsya et d’autres composantes du mouvement politique et social.
Cette initiative n’a jamais abouti parce qu’elle a été catégoriquement rejetée au stade final par la Direction de la principale composante d’Antarsya, NAR (Le Courant de la Nouvelle Gauche), ce qui a mis au jour leur incapacité à comprendre la dynamique de la situation et le besoin de changer d’une certaine manière la configuration des forces et le mode d’intervention de la Gauche.
Une fois cette possibilité abandonnée, la seule qui restait est celle qui s’est finalement produite. Les composantes de la Gauche radicale ont été mises au pied du mur et d’une certaine façon Syriza a été la seule d’entre elles à être capable de mettre cette dynamique à profit et de donner une expression politique au besoin d’alternative.
On pourrait dire après coup que certaines composantes de la Gauche grecque moins liées aux politiques de parti auraient pu prendre une initiative du type Podemos, ou peut-être de façon plus réaliste une initiative comme celle du CUP [Candidatura d'Unitat Popular, un mouvement indépendantiste catalan de la gauche radicale, NdT] avec, pourquoi pas, des composantes de l’extrême-gauche, mais plutôt celles du type « mouvementiste » [Mouvement des sans-terre, NdT].
Mais, une fois encore, aucune de ces composantes n’était prête à faire ça. Chacune était trop liée aux limitations des structures existantes et la seule tentative de redistribuer les cartes a échoué, dans le cas présent à cause du poids trop important du gauchisme traditionnel.
Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Oui, je voudrais ajouter une réflexion plus générale sur la signification de se voir conforté dans ses positions ou battu dans un combat politique. Je pense que pour un marxiste ce qui est nécessaire est une sorte de compréhension historique de ces termes. D’un côté, vous pouvez dire que ce que vous dites est valide puisque les évènements vous ont donné raison.
C’est l’éternelle approche du « je te l’avais bien dit ». Mais, si vous n’êtes pas en mesure de donner corps à votre positionnement, politiquement vous êtes battus. Parce que si vous êtes impuissant et que vous démontrez que vous êtes incapable de passer d’une position théorique à sa mise en pratique, alors politiquement vous n’avez pas obtenu gain de cause. C’est une première chose.
La seconde chose c’est que tout le monde n’a pas été battu de la même façon et au même degré. Je veux le souligner. Je pense qu’il était absolument crucial que cette bataille à l’intérieur du mouvement Syriza ait lieu.
Laissez-moi être clair à ce sujet. Quelle était l’autre option ? Une fois passé le test de ce moment décisif, le KKE et Antarsya ont montré tous les deux, de manière bien sûr très différente dans chaque parti, combien ils étaient hors sujet. Pour nous, la seule alternative aurait été de rompre plus tôt avec la Direction de Syriza. Cependant, étant donné la dynamique de la situation après la bifurcation décisive entre la fin 2011 et le printemps 2012, cela nous aurait immédiatement marginalisés.
Le seul résultat concret que je peux voir serait d’ajouter quelques groupes supplémentaires à la dizaine ou douzaine de groupes composant Antarsya, Antarsya passant alors de 0,7% à 1%. Cela voudrait dire que Syriza aurait été offert sur un plateau à Tsipras et la majorité, ou tout au moins aux forces situées en dehors de la Plateforme de Gauche.
Aujourd’hui dans la société grecque, il est clair que la seule opposition visible à l’action du gouvernement est, à gauche, le KKE. C’est indéniable mais ils sont complètement hors sujet politiquement. Nous n’avons pas parlé du rôle du KKE durant le référendum, mais c’était une caricature absolue de leur propre inconséquence. En fait, ils avaient appelé à torpiller le vote. Pour cela, ils avaient demandé aux électeurs d’utiliser les bulletins qu’ils avaient fait eux-mêmes, avec un « double Non » écrit dessus (Non à l’Union européenne et Non au gouvernement). Ces bulletins n’étaient bien entendu pas valables et l’opération a été un fiasco. Les dirigeants du Parti n’ont pas été suivis par leurs propres électeurs car seulement 1% des votants, peut-être même moins, ont finalement utilisé ces bulletins.
En dehors du KKE, il y a la Plateforme de Gauche. Les Grecs savent parfaitement, et les médias le répètent constamment, que Lafazanis et la Plateforme sont la principale épine dans le pied de Tsipras. On peut y ajouter Zoe Kostantopoulou. Je pense que c’est ce que nous avons gagné de cette situation. Nous avons une base pour débuter un nouveau cycle, une force qui a été à l’avant-garde de ce combat politique et qui a acquis une expérience sans précédent.
Tout le monde comprend que si nous ne parvenons pas à être à la hauteur du défi, la Gauche ne sera plus qu’un champ de ruines après ça.
Partant de cette perspective, qui est celle de la reconstruction de la Gauche anticapitaliste, sans prétendre que nous sommes la seule et unique force qui jouera un rôle, nous savons à quel point les enjeux sont immenses, ce qui nous donne une très grande responsabilité dans ce que nous allons faire maintenant.
Merci à Nantina Vgontzas pour les suggestions de questions.
Source : Jacobin, le 14/07/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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