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Août
2015
Décoder le FMI : l’accord sur la Grèce condamné, sortie probable, par Paul Mason
Il est facile de se perdre dans les détails. J’ai passé une partie de la journée d’hier dans les couloirs étouffants du parlement grec où les différentes factions et tendances de Syriza, le parti de la gauche radicale, travaillaient sur leurs positions pour le vote d’aujourd’hui.
Non au plan de secours, dit la gauche. Abstention, déclarent d’autres. Voter oui tout en déclarant qu’il a été passé avec un pistolet sur la tempe, dit Alexis Tsipras dans un entretien télévisé en direct. Mais si l’on s’écarte des discussions, amères comme le café noir servi à la cantine du parlement, le tableau devient net : l’accord passera, Syriza le votera.
Prenons encore plus de recul et examinons les implications du rapport secret du FMI, divulgué hier, dans la dynamique de la dette grecque. Le FMI nous dit – après les semaines de désagrégation causée par le bank run incessant et le contrôle des capitaux – que l’accord d’austérité n’a aucun sens. La Grèce a besoin d’un effacement massif de sa dette ou d’un large transfert de l’argent des contribuables du reste de l’Europe. Elle a besoin d’un délai de grâce de 30 ans pendant lequel elle cessera de rembourser les prêts.
Néanmoins, tout l’accord établi dimanche soir a été basé sur ceci : pas un centime d’allègement de la dette. De vagues engagements à “reprofiler” la dette – repoussant les dates de paiement et baissant les taux d’intérêt – c’est tout ce qui a pu être obtenu d’Angela Merkel.
La conclusion est simple : le troisième accord de sauvetage dont le principe a été adopté dimanche soir est voué à l’échec. Premièrement, parce que le FMI ne peut le ratifier sans un allègement de la dette ; deuxièmement, parce que sans allègement il provoquera l’effondrement de l’économie grecque. Et cela même avant que vous preniez en compte la résistance collective à toutes ses spécificités, ou au manque absolu d’entrain des ministres de Syriza qui devront mettre cet accord à exécution.
Le rapport du FMI
Mais des deux bords de la classe politique grecque il y a une dissonance cognitive, et elle provient de la même chose : l’aveuglement devant ce que l’Euro est devenu.
Le centre et le centre droit grecs maintiendront Syriza au pouvoir dans l’immédiat, pour montrer qu’ils sont de bons Européens. Syriza votera un plan qu’elle désapprouve, et dont quiconque ayant lu ne serait-ce qu’un résumé du rapport du FMI comprend désormais qu’il est voué à l’échec. Là encore, pour donner des gages de bonne volonté européenne, ce qui, comme le soutient Alexis Tsipras, “nous évite le Grexit”.
Ce qu’implique le rapport du FMI, c’est que le Grexit est inévitable. Sans effacement de dette, le rapport entre la dette et le PIB atteindra 200%. Il faudra consacrer 15% du PIB aux seuls intérêts et paiements arrivant à échéance.
Nous voilà donc revenus au vieux problème poursuivant la Grèce depuis 2010. Oui, elle a une économie inefficace, étatique, qui a besoin d’être réformée ; oui, elle est marquée par des entraves à la liberté d’entreprendre, datant de Mathusalem et favorisant la corruption. Mais on ne modernise pas un pays comme la Grèce dans un contexte de pression à la baisse sur la croissance, inévitablement induite par les mesures d’austérité.
En disant cela – bien que provenant d’un document secret que les Européens voulaient supprimer – le FMI a montré qu’il pouvait apprendre. Il a abandonné le dogme prédisant une contraction du PIB de 4% due à l’austérité, et a tiré les conclusions de la chute de 25% du PIB qui s’est réellement produite.
Une des caractéristiques récurrentes de cette crise est le décalage entre la rapidité d’apprentissage des partis politiques et celle des peuples.
J’ai découvert, parmi des gens ordinaires, fervents partisans du Non au référendum, un large consensus sur l’idée que pour établir plus de justice sociale ou des alternatives à l’austérité la Grèce devrait quitter l’Euro. La plupart des gens à qui j’ai parlé veulent que cela soit effectué de façon contrôlée, avec l’assentiment du plus grand nombre et avec un mandat délivré par le peuple.
Ils ont réalisé que le refus sans appel d’Angela Merkel d’admettre un effacement de dette dans le cadre de l’Euro, en parallèle avec l’extrême insistance du FMI qu’il devrait avoir lieu, avait créé une impasse dont aucun gouvernement grec ne pourra sortir sans abandonner l’appartenance à l’Euro.
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Syriza – qui a toujours été une coalition de socio-démocrates de gauche, de marxistes de Nouvelle Gauche et d’un groupe communiste d’une gauche plus radicale – considère qu’il est difficile institutionnellement d’accepter cette logique.
Les opposants au Grexit argumentent qu’une fois la question de l’Euro “résolue”, ils pourront se concentrer sur une croisade interne contre la corruption, des méthodes policières insuffisantes et des dysfonctionnements de la justice et de l’état.
Ce que personne ne sait, c’est à quel point l’Euro-zone pourrait utiliser son pouvoir absolu sur la législation nationale si, par exemple, Syriza essayait de dépoussiérer le système judiciaire. Cela serait-il considéré comme une “politisation de l’état” ? Personne ne le sait – parce que la Commission Européenne et la BCE n’ont jamais eu à avoir de politiques sur de telles questions auparavant.
“Le troisième sauvetage sera un désastre”
Une autre question se pose : quel genre de parti Syriza va-t-il devenir maintenant ? Actuellement, il reste fondamentalement une expression du désir d’une large proportion des Grecs de rester dans l’Euroavec moins d’austérité.
Au cours des 5 dernières années, le schéma de l’électorat grec a été de porter au pouvoir des partis qui promettaient d’atténuer l’austérité tout en restant dans l’Euro. D’abord Papandreou, puis Nouvelle Démocratie – qui, lui aussi, on l’a presque oublié aujourd’hui, s’était opposé au mémorandum sur l’austérité – et maintenant Syriza. Le résultat de l’envoi des partis successifs dans le hachoir européen a été de les broyer. Le Pasok a été déchiqueté, Nouvelle Démocratie a été déchiquetée et il est possible que Syriza se fissure, ses membres soient vilipendés, dénoncés comme traîtres, etc.
Nous savons par les sondages d’opinion qu’environ 35% des Grecs souhaitent quitter l’Euro mais que 25% de ceux qui ont voté Non au référendum craignent probablement ce qu’a détaillé Alexis Tsipras hier soir : 250 milliards d’euros ont quitté le pays au cours des 5 dernières années et si la Grèce quittait l’Euro, ce “lobby de la drachme” pourra revenir en Grèce et racheter tout et tout le monde.
Mais revenons au rapport du FMI laissant entendre que le troisième accord de sauvetage sera un désastre, et à l’intransigeance d’Angela Merkel qui dit pas d’allègement de la dette dans la zone Euro. Plus je le regarde, rationnellement et sans affection, plus ces 250 milliards d’euros qui attendent hors de Grèce un Grexit semblent très judicieusement placés. Et vous la communauté des investisseurs, hautement logique et dépassionnée, tirez également la même conclusion.
Le niveau de souffrance économique et d’emprunts anormaux qui vont être infligés à la Grèce signifie qu’à un certain moment au cours des prochains 12 à 18 mois, il y a une possibilité que 20 à 30% de l’opinion publique centriste bascule en faveur d’une politique de sortie maîtrisée, ou peut-être temporaire de l’Euro-zone. La seule question est alors : quel parti offrira un discours convaincant pour la mener ?
Source : Paul Mason, le 15/07/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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Des documents de la Troïka ayant fait l’objet d’une fuite montrent que la Grèce a besoin d’un énorme allègement de sa dette
C’est au moment où vous pensez que les choses ne peuvent pas devenir encore plus folles, qu’elles le deviennent toujours. Le Guardian rend compte de documents non-publiés de la Troïka qui montrent que la Grèce n’a que trop raison lorsqu’elle demande un allègement de sa dette. Que signer, pour le gouvernement Syriza, ce que la Troïka veut le forcer à signer, amènerait Tsipras et les siens à plonger leur pays dans les abysses d’un enfer financier.
Supposons que, d’une manière ou d’une autre, la Grèce réussisse à repousser l’échéance jusqu’à la fin de 2015. Alors, à coup sûr, elle sera sortie de l’auberge, n’est-ce pas ?Faux. Parce que pour le pays le plus dévasté d’Europe, c’est seulement à ce moment-là que le cauchemar de la dette commence vraiment.
Sont listés ci-dessous tous les remboursements à venir de la dette grecque jusqu’en 2057, autrement connus sous le nom des cercles de l’enfer grec, le premier, le neuvième, plus tous ceux qui se trouvent entre les deux :
Ce qui est potentiellement encore plus étrange est que tous les députés allemands ont reçu ces documents, parce qu’un vote les concernant était supposé avoir lieu, mais aucun d’entre eux ne les a évoqués. C’est une bonne chose qu’il y en ait eu au moins un d’assez lucide pour les transmettre à la presse.
Ils avaient donc ces documents, et puis hier Merkel a dit d’arrêter les discussions jusqu’à après le référendum, et un silence total a suivi. La voilà redescendue sur terre, et de quelle manière ! Nous savons que la Troïka est composée de laquais du système bancaire – et cela le prouve une fois pour toutes – mais Merkel est pire. De plus, le Bundestag lui obéit au doigt et à l’œil. Elle a une haute idée de la démocratie, cette Allemagne.
Mais les documents faisaient aussi partie d’un package qui a été envoyé à la Grèce et aux autres. Et l’allègement de la dette n’était-il pas toujours sur la table ? Qu’est-ce qui m’échappe ici ? Comment Tsipras aurait-il pu signer ça ? Alors qu’il pouvait voir les propres chiffres de la Troïka, eux ont tout de même refusé de les prendre en compte et de les intégrer à l’accord ?!
L’article du Guardian a reçu un titre insignifiant, mais son contenu est assez clair.
La Grèce ferait face à une dette insoutenable en 2030 même si elle acceptait la totalité des réformes des taxes et des dépenses exigées, d’après des documents non publiés réunis par ses trois créanciers principaux. Ces documents, rédigés par ce qu’on appelle la Troïka des prêteurs, vont dans le sens de l’argumentation grecque, à savoir : sans allègement substantiel des dettes, pas de restauration durable de l’économie.
Ils montrent que, même après 15 ans de croissance durable, le pays aurait à faire face à un niveau de dette que le FMI juge insoutenable. Les documents montrent que les estimations de référence du FMI – résultat le plus probable – sont que la dette grecque serait de 118% de son PIB en 2030, même si elle signait la totalité des réformes sur les taxes et les dépenses.
C’est beaucoup plus que les 110% que le FMI estime soutenables vu le profil de la dette grecque, un seuil assigné en 2012. Le niveau de la dette est actuellement à 175% et il est probable qu’il augmentera encore, le pays étant redescendu dans la récession. Le document reconnaît que selon le scénario de base, il faut des “concessions importantes” pour augmenter la probabilité pour la Grèce de se débarrasser durablement de ses problèmes de financement de la dette.
Même dans les scénarios les plus optimistes comprenant une croissance de 4% par an pour les cinq années à venir, le niveau de la dette grecque ne tombera qu’à 124% en 2022. Ce cas le plus optimiste anticipe aussi des recettes de 15 milliards d’euro à la suite de privatisations, donc cinq fois l’estimation dans le scénario le plus probable.
Mais dans tous les scénarios examinés par la Troïka, et présumant tous un troisième plan de sauvetage, la Grèce n’a aucune chance d’atteindre l’objectif d’une réduction de la dette “bien en dessous des 110% du PIB en 2012″, fixé par l’Euro-groupe en novembre 2012. Pour citer les créanciers : “Il est clair que les dérapages politiques et les incertitudes des derniers mois ont rendu les objectifs de 2012 impossibles à atteindre quel que soit le scénario.”
Ces projections émanent du rapport Analyse Préliminaire de la Soutenabilité de la Dette Grecque, un des six documents faisant partie d’un ensemble de matériaux composant la proposition “finale” envoyée à la Grèce par ses créanciers vendredi dernier. Ceux-ci, qu’a vus le Guardian, ont été obtenus par le Suddeutsche Zeitung après qu’ils aient été envoyés à tous les députés allemands en prévision du fait que l’accord devait être approuvé par le Parlement. Au Bundestag ce vote n’a jamais eu lieu car le premier ministre grec a rejeté les plans et appelé à un référendum sur la question d’accepter ou non les demandes des créanciers. Bien que les analyses soulignent le fait que la Grèce a déjà bénéficié d’un certain nombre de mesures de réduction de sa dette – l’allongement des échéances, les taux d’intérêts ramenés à un niveau semblable à ceux des pays moins endettés et l’annulation de100 milliards d’euros de dettes par les créanciers privés en 2012 – le document admet aussi que dans le cadre du scénario de base des “concessions significatives” amélioreraient la soutenabilité.
Mais bien que les prêteurs admettent que la Grèce ne puisse pas se développer sans un allègement de la dette, les documents n’apportent aucune lumière sur ce à quoi devrait ressembler un tel “package”, ni ne fournissent de détails sur un troisième plan de sauvetage en supposant qu’il en existe un. Ils ne promettent seulement qu’une analyse plus approfondie sur la soutenabilité de la dette le moment venu.
L’article en contient encore plus. Mais qui a besoin d’encore plus ?
Source : Zero Hedge, le 01/07/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
4 réponses à Décoder le FMI : l’accord sur la Grèce condamné, sortie probable, par Paul Mason