L'hydre de Daesh refait surface – sous le nom d'État islamique au Khorasan (« ÉI-K »)… Alors que les yeux médiatiques étaient rivés sur la Palestine et l'Ukraine, la nébuleuse islamiste a préparé dans l'ombre son retour. L'attentat du 22 mars dernier au Crocus City Hall, dans la banlieue de Moscou, est le plus meurtrier depuis 2002 sur le territoire russe. Il rappelle aux Français le douloureux souvenir de l'attentat de 2015 au Bataclan. Les experts internationaux de la lutte anti-terroriste alertent depuis sur l'imminence d'autres attaques qui pourraient frapper indifféremment l'Amérique du Nord comme l'Europe de l'Ouest à l'Est… La veille de l'attentat, le Général Michael Kurilla (patron de l'US Central Command) avait déclaré aux membres du Congrès à Washington qu'une frappe de l'ÉI-K était à craindre dans les 6 mois… On sait d'ailleurs que l'ambassade U.S. à Moscou avait déjà alerté les Américains vivant en Russie d'éviter tous les lieux de rassemblements, comme le rappelle le magazine Newsweek (voir la sélection).
Dans le tumulte géopolitique actuel, on ne parle plus beaucoup de l'Afghanistan. Or, le Khorasan est une région qui s'étend aux confins des empires — du plateau iranien oriental à l'Afghanistan. Elle comprend aussi au nord des territoires turkmènes, tadjikes et ouzbèkes. Le retour sur le devant de la scène de ces terroristes ne devrait pas être une surprise tant ils ont été actifs dans leur région d'origine. Leurs cibles principales : le pouvoir des Talibans à Kaboul, mais aussi l'Iran et le Pakistan voisins. Ils ont étendu leur capacité de nuisance jusqu'en Turquie, en Allemagne et à la Russie… Ces trois pays ont d'ailleurs déclaré avoir empêché plusieurs attentats sur leurs sols. Les Chinois et les Indiens ont aussi fort à faire pour contrer les branches locales de l'ÉI-K. Après l'échec de l'État islamique en Syrie, la nouvelle « pousse » du Khorasan affiche des ambitions plus globales : la terre d'Islam doit comprendre toute l'Afrique, l'Andalousie et le sud de la France jusqu'à une frontière maritime entre l'Indonésie et l'Australie. Au cœur de ce califat mondial, l'Asie centrale y compris la Chine occidentale et l'Inde… Dans la province chinoise du Xinjiang, l'ÉI-K soutient l'insurrection des Ouïghours en vue de créer un « Turkménistan oriental ». C'est encore l'ÉI-K qui a revendiqué un attentat dans une église catholique à Istanbul en janvier dernier. L'Iran avait subi la pire attaque terroriste de ses 45 ans d'existence, quelques semaines auparavant dans la ville de Kerman.
L'ÉI-K est une sorte de bombe à fragmentation : sa liste de cibles inclut les Talibans, les chefs du Hamas ainsi que Vladimir Poutine, tout comme Xi Jinping, Donald Trump et Joe Biden. Le départ précipité des forces américaines d'Afghanistan en août 2021 a permis à l'ÉI-K d'y prospérer – réussissant même à faire passer les Talibans pour des modérés… Le retrait des troupes de l'Oncle Sam a tourné au désastre quand un kamikaze a provoqué la mort de près de 180 personnes (dont 17 militaires américains) à l'aéroport de Kaboul. L'avertissement était clair ! Si les Talibans étaient des insurgés redoutables, ils ont démontré leur incapacité à gouverner et contrôler leur territoire. La propagande multilingue de l'ÉI-K qui cible d'abord les peuples musulmans de l'Asie centrale, en se présentant comme la force de résistance à des pouvoirs autocratiques, a démontré son efficacité. La nouvelle guerre froide qui oppose Washington et Moscou est une aubaine pour ces islamistes car leurs ennemis sont divisés.
Vladimir Poutine avait été le premier chef d'État étranger à présenter ses condoléances à la Maison Blanche après les attentats du 11 septembre 2001. La menace islamiste est beaucoup plus proche pour Moscou, qui a mené deux guerres sanglantes contre les séparatistes tchétchènes ces 30 dernières années. Le soutien russe à Bachar el-Assad en Syrie suit les interventions américaines en Irak et en Libye. L'offensive de Moscou en Afrique sahélienne, une zone où les islamistes sont devenus très puissants, a fait de la Russie – la patrie des « croisés orientaux » - une cible prioritaire pour l'ÉI-K.
Si l'on peut attendre une réponse dure des Russes après l'attentat du 22 mars, l'hydre islamiste est une cible très difficile à abattre. Vladimir Poutine a d'ailleurs immédiatement accusé les services occidentaux d'avoir facilité l'action des terroristes à Moscou…
Ludovic Lavaucelle
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