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vendredi 26 avril 2024

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - vendredi 26 avril 2024

 


BibliObs

Vendredi 26 avril 2024

En novembre dernier, le magazine « Elle » a fait sa une avec le visage en gros plan de l’actrice Isabella Rossellini. À côté de son oreille, le titre s’affiche en rouge : « Aimer ses rides ». Isabella Rossellini peut les aimer. A 71 ans, elle est belle. On la regarde longtemps. On aurait aussi envie de toucher sa peau si l’imprimante avait laissé passer la matière, mais de nos jours, les couvertures de magazine sont lisses et brillantes. Quant à cette une de « Elle », elle est d’époque. En plus d’avoir redéfini les rapports de genre, la dernière vague du féminisme a donné naissance à une littérature féminine pro-âge − Marie Kock (« Vieille Fille »), Marie Charrel (« Vieilles »), Sophie Fontanel (« Admirable ») − qui s’attaque à la différence d’appréciation esthétique de la vieillesse des hommes et de celle des femmes.

Immonde injustice, malheureusement, vieille comme le monde.

Ces derniers jours, j’ai relu « Les Liaisons dangereuses » (1782) de Pierre Choderlos de Laclos, et à la page 327, la marquise de Merteuil s’en plaint déjà et gronde Valmont :

« Il n’est pas vrai que plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rêches et sévères. C’est de quarante à cinquante ans que le désespoir de voir leur figure se flétrir, la rage de se sentir obligées d’abandonner des prétentions et des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bégueules et acariâtres. Il leur faut ce long intervalle pour faire en entier ce grand sacrifice : mais dès qu’il est consommé, toutes se partagent en deux classes. »

Classe 1, « la plus nombreuse, celles des femmes qui n’ont eu pour elles que leur figure et leur jeunesse, tombe dans une imbécile apathie, […]. Sans idées et sans existences, elles […] restent par elles-mêmes absolument nulles ».

Classe 2, « beaucoup plus rare, mais véritablement précieuse, est celle des femmes qui, ayant eu un caractère et n’ayant pas négligé de nourrir leur raison, savent se créer une existence […] Elles remplacent les charmes séduisants par l’attachante bonté, et encore par l’enjouement dont le charme augmente en proportion de l’âge. »

(Disons, pour que le reste de cette journée se déroule bien, que vous et moi faisons partie de cette classe 2).

Ce passage fait écho au féminisme d’aujourd’hui. Et je ne vais pas me lancer dans un éloge de la marquise, mais je tiens à dire que notre époque lui est favorable. J’ai lu ce roman il y a quinze ans et je me souvenais d’une vieille sorcière vérolée et orgueilleuse, tandis que Valmont, était sauvé in extremis par son amour pour Mme de Tourvel, le courage du duel, et absout (pauvre homme, finalement).

Post-#MeToo, je ne suis plus du même avis. Dans les lettres de la marquise affleurent son insécurité, sa fragilité, son âge et une jalousie sans cesse titillée par Valmont (bref le patriarcat). Pour elle, on verrait comment plaider l’acquittement. Lui n’a aucune excuse.

Nolwenn Le Blevennec

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