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samedi 8 décembre 2018

Des ambulanciers mobilisés contre l’« ubérisation » - le 8.11.2018

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Des ambulanciers mobilisés contre l’« ubérisation »
Les professionnels du secteur s’inquiètent de la réforme du financement des transports sanitaires
Abdel Nouri l’assure : il n’a jamais été quelqu’un de « haineux ». Mais depuis l’entrée en vigueur de la réforme du financement des transports sanitaires, le 1er octobre, cet ambulancier de 42 ans commence à « avoir la haine ». Haine des politiques qui ont décidé cette réforme, haine des médias « qui nous occultent »… « Personne ne nous entend », déplore-t-il, mardi 6 novembre, aux côtés d’une cinquantaine d’ambulanciers réunis devant l’hôpital européen Georges-Pompidou, dans le 15e arrondissement. Quelques heures plus tôt le blocage du périphérique parisien par des centaines d’ambulanciers en colère a pris fin, se soldant par quatorze interpellations.
Si Abdel Nouri est venu à Paris depuis Nice, où il travaille, c’est pour se « battre » pour sa « survie ». Depuis qu’hôpitaux et cliniques se substituent à l’Assurance-maladie pour payer les transports en ambulance entre établissements de santé, les petites sociétés d’ambulances de moins de dix véhicules assurent moins travailler que les grands groupes, accusés de casser les prix pour remporter des marchés. Depuis un mois, Abdel Nouri n’a ainsi plus fait un seul déplacement interhospitalier, alors même que ce poste représentait jusqu’à près d’un tiers du chiffre d’affaires de sa micro-entreprise d’un seul véhicule. Achetée 350 000 euros il y a quelques années, il craint qu’elle ne vaille beaucoup moins aujourd’hui.
Autour de lui, également vêtus de bleu, d’autres ambulanciers font état des mêmes inquiétudes causées par l’entrée en vigueur de l’article 80 du budget de la Sécurité sociale 2017.« Entre l’essence qui augmente, les charges en hausse de 20 % depuis trois ans, les tarifs Sécu qui n’ont pas été revalorisés depuis 2013, on ne peut pas se permettre de s’aligner sur les rabais de 20 % à 40 % proposés par les gros groupes sur les appels d’offres des hôpitaux », explique Mathieu Sicurani, gérant d’une société de trois ambulances à Nice. « Dans six mois, on va être obligé de revendre notre activité, et les gros groupes réaugmenteront leurs prix derrière », assure-t-on à l’Association pour la défense des transporteurs sanitaires, la structure qui a mobilisé les ambulanciers, en dehors des grosses fédérations du secteur.

« Le patient va devenir un colis »

Devant l’hôpital Georges-Pompidou, Stéphane Baude, 48 ans, gérant d’une société de six ambulances à Paris, décrit des grosses sociétés qui « n’arrivent pas à gérer » ces dernières semaines car « elles ont trop de travail » après avoir remporté les appels d’offres. Conséquence, selon lui : « Les délais ne sont plus respectés. Des patients qui attendaient trente minutes avant le 1er octobre peuvent maintenant parfois attendre leur ambulance deux, trois ou même quatre heures. » L’ambulancier dénonce également le risque d’« ubérisation » de la profession, certains grands groupes choisissant de « sous-traiter » les marchés remportés dans le cadre de ces appels d’offres. « En perdant le libre choix de son ambulance, le patient, lui, va devenir un colis, un simple numéro », prévient-t-il.
Si le transport interhospitalier ne représente qu’un peu moins de 5 % des 4,6 milliards de la dépense totale de l’Assurance-maladie en matière de transport, les gérants des petites sociétés d’ambulances redoutent qu’une suite à l’article 80 ne soit en préparation au ministère de la santé. Un nouvel article qui concernerait cette fois « tout ce qui est retour à domicile ». Sous couvert d’anonymat, un ambulancier résume la situation : « Si ça reste juste l’article 80, on arrive à travailler. Mais la suite va nous tuer. »
Interrogée lundi soir lors de l’émission « Audition publique », la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a assuré avoir été « très attentive à ne pas favoriser l’ubérisation » du secteur. Rappelant que « les dépenses de transport ont considérablement augmenté d’année en année », elle a dit vouloir inciter les hôpitaux à « rationaliser les transports ».

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