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vendredi 29 décembre 2017

Les Crises.fr - Inciter la gauche à adhérer à « l’exceptionnalisme » américain, par James W. Carden

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29
Déc
2017

Inciter la gauche à adhérer à « l’exceptionnalisme » américain, par James W. Carden


Source : James W. Carden, Consortium News, 24-10-2017
Les néoconservateurs ont habilement usé de la haine de la gauche à l’égard du président Trump et de la diabolisation de la Russie pour installer un état d’esprit interventionniste chez les libéraux et les progressistes dans le but de défendre « l’exceptionnalisme américain », observe James W. Carden.
L’année dernière, Donald J. Trump triomphait face à 15 candidats Républicains lors des primaires puis face à une candidate démocrate dotée d’un impressionnant CV sur la base d’un message simple en quatre mots : « Rendre sa grandeur à l’Amérique ».

L’ancienne Secrétaire d’État Hillary Clinton en conversation avec ses supporters lors d’un meeting à Phoenix, Arizona le 21 Mars 2016.

Le slogan de Trump a fonctionné malgré la rebuffade du président Obama qui affirmait que « l’Amérique était déjà grande » et le contrepoint d’Hillary Clinton « l’Amérique est grande parce que l’Amérique est bonne. »
Depuis la victoire de Trump il y a près d’un an, les principaux médias américains ont souvent repris la communication d’Obama et de Clinton selon laquelle l’Amérique était encore et toujours grande, bien qu’il semble nécessaire de le rappeler au président le plus ouvertement chauvin depuis Ronald Reagan.
Pourtant dans le Washington de l’ère Trump, où le consensus bipartite sur la politique étrangère est erronément perçu comme étant menacé, l’establishment n’a cessé de tourner autour du pot afin de résister à ce qui est perçu comme un assaut frontal du Président Trump contre « l’exceptionnalisme » américain.
Peu après l’élection, les élites médiatiques et politiques, et tout particulièrement celles évoluant dans les cercles du parti démocrate, ont commencé à faire part de leur consternation au vu du dédain de Trump vis à vis de ce qui de leur point de vue symbolise l’Amérique aux yeux du monde.
Deux mois après l’investiture, un ancien du Département d’État sous Obama dont la spécialité est décrite par la plus amorphe et flexible des constructions intellectuelles, les « droits humains », a investi les colonnes du magazine The Atlantic afin d’informer les lecteurs que depuis l’élection en novembre, « un club mondialisé d’autocrates se vante » qu’il professe, comme eux, une vision sombre de « la démocratie, des droits humains et de la transparence ».
D’après Tom Malinkowksi, actuellement candidat démocrate au Congrès (New Jersey), les autocrates seraient enchantés par l’élection de Trump parce qu’ils l’auraient entendu « se faire l’écho de leur propagande selon laquelle l’Amérique est trop malhonnête et corrompue pour prêcher une conduite à suivre. »
« Cela », écrit Malinkowski, « me rend triste ».
Dans le même élan, la conseillère à la sécurité nationale d’Obama, Susan Rice, a elle aussi exprimé sa crainte de voir l’administration « saboter les valeurs américaines et abdiquer le leadership mondial des États-Unis. »
Rice considère que « le réseau d’alliances qui différencie l’Amérique des autres puissances et assure sa sécurité et sa force depuis des décennies est désormais menacé. Nous nous en rendrons compte quand nous aurons besoin que le monde se rallie à notre cause. »
Frayeurs pour l’hégémonie américaine
Plusieurs journalistes d’obédience libérale se sont empressés de rejoindre le débat. Du côté de l’Intercept, un analyste en affaires internationales s’inquiète du fait que Trump semble laisser filer l’hégémonie globale américaine.

Barack Obama et George W. Bush à la Maison-Blanche.
« Grâce à un réseau de près de 800 bases militaires réparties dans 70 pays à travers le monde, en plus d’un éventail d’accords commerciaux et d’alliances, « les États-Unis ont renforcé leur influence pendant des décennies à travers l’Europe et l’Asie », a écrit Murtaza Hussain. Les dirigeants américains ont contribué à imposer un ensemble de règles et de normes qui favorisent le libre-échange, la gouvernance démocratique – en théorie, pas toujours dans la pratique – et l’interdiction de changer les frontières militairement, en utilisant un mélange de force et de persuasion pour soutenir les systèmes qui maintiennent son hégémonie intacte. »
À Slate, Yascha Mounk a déclaré que, en ce qui concerne la Russie, »Trump aime Poutine parce qu’il admire son leadership fort (lire autocratique). Et il le voit comme un allié parce qu’il partage le mépris de Poutine pour l’ordre libéral, préférant un monde dans lequel les puissances fortes font ce qu’elles aiment dans leurs sphères d’influence sans avoir à se soucier de respecter – et encore moins d’appliquer – les normes internationales ou les droits de l’homme. »
De même, lorsque Jeet Heer, du New Republic, a récemment exploré le domaine des relations américano-russes, il a averti les lecteurs que « le problème n’est pas seulement la nature du gouvernement autocratique de Poutine, qui utilise le conservatisme social et le nationalisme pour unir une nation effilochée par des inégalités économiques massives. […] Le problème, c’est que la politique étrangère de la Russie menace d’exporter nombre des pires caractéristiques du régime Poutine, en particulier la xénophobie et l’homophobie. »
Pour Heer, la réponse appropriée à la politique étrangère de Poutine est évidente : « Combattre le trumpisme en Amérique ne suffit pas. Les gauchistes doivent être prêts à la combattre sous toutes ses formes, ici et à l’étranger. »
En d’autres termes, il est temps d’entreprendre une nouvelle croisade mondiale contre la Russie.
A ce stade, il devrait être clair que ces valeureux sont en train de confondre une vision d’une Amérique libérale et tolérante avec l’hégémonie américaine ; leurs préoccupations reviennent toujours à leur inquiétude tout à fait infondée que Trump est en train de répudier le fantasme unipolaire dans lequel ils croient et qu’ils cherchent à perpétuer.
Des innocents à l’étranger ?
Parmi beaucoup d’autres problèmes, la nature orgueilleuse de l’idéologie « exceptionnaliste » américaine alimente les illusions d’innocence, qui servent à empêcher une remise en question critique des récentes aventures américaines, la plupart du temps catastrophiques à l’étranger. Nous pouvons voir comment cette tendance se manifeste dans les médias grand public.

Au début de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, le président George W. Bush a ordonné à l’armée américaine de mener un assaut aérien dévastateur sur Bagdad, connu sous le nom de « choc et terreur ».
En juillet, le New York Times a publié un article qui a défendu les motifs de la décision de George W. Bush d’envahir l’Irak. « Lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak il y a 14 ans pour renverser Saddam Hussein », a écrit le journaliste Tim Arango, « ils voyaient l’Irak comme la pierre angulaire potentielle d’un Moyen-Orient démocratique et occidental. »
On sait ce qui est arrivé. Le critique des médias Adam Johnson a souligné à juste titre que « habituellement les journalistes dans la ligne de l’histoire ont le droit d’interpréter les pensées et les motivations des décideurs politiques américains, pourvu qu’ils en concluent des motifs nobles et de bonne foi. Les journalistes ne sont jamais autorisés à attribuer des motifs illégitimes aux responsables américains, ce qui n’est permis que pour couvrir les ennemis de l’Amérique. »
De même, l’intervention américaine illégale dans la guerre de Syrie a été présentée comme un cas de « légitime défense », lorsque les forces américaines ont abattu un chasseur syrien au-dessus de Raqqa en juin. « Le régime syrien et ses partisans doivent comprendre », a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer (qui a démissionné depuis, heureusement), que nous conserverons le droit à l’autodéfense, aux forces de la coalition alignées contre l’EI.
Il fut un temps où, pendant les premières années de la première guerre froide, les intellectuels publics regardaient souvent avec mépris la croyance en la vertu innée de l’Amérique. Dix ans après la victoire alliée de la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle la puissance et le prestige américains étaient à leur apogée, d’éminents penseurs anglo-américains, dont Graham Greene, George Kennan et Reinhold Niebuhr, jetaient déjà un regard critique sur les prétentions du « siècle américain ».
Où sont les voix contradictoires comme celles qui appellent à la retenue et à la réflexion, maintenant que nous sommes en pleine seconde guerre froide ? elles sont presque totalement absentes du discours politique américain.
Un faux prétexte bipartite
Une partie de la raison pour laquelle Trump a gagné, bien sûr, c’est qu’il joue et se nourrit des mêmes arguments que l’establishment et le public – bien que sous une forme plus grossière. Il n’ y a qu’une différence de degré, et non pas de nature, entre « Rendre l’Amérique grande à nouveau » et « L’Amérique est déjà grande », puisque les deux sont fondés sur le même raisonnement : l’Amérique, en raison de sa nature providentielle, ne peut pas être et n’est pas un pays normal : elle est exceptionnelle, une « cité brillante sur une colline ».

Le président Trump s’adresse à l’Assemblée générale des Nations Unies le 19 septembre 2017. (Capture d’écran de Whitehouse. gov)
L’idée que Trump lui-même n’ait pas intégré et intériorisé les principes fondamentaux de « l’exceptionnalisme » américain est risible – et même certains néoconservateurs, comme Eli Lake de Bloomberg, ont commencé à le remarquer. Lake, en observant le discours de Trump à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre, s’est écrié : « Pendant un moment, j’ai fermé les yeux et j’ai cru entendre un éditorial du Weekly Standard. »
Pourtant, il reste un problème insoluble pour les partisans du mythe de « l’exceptionnalisme » américain : la croyance que le reste du monde souscrit au mythe qui repose en grande partie sur un méconnaissance délibérée du passé et nous rend aveugles aux alternatives possibles, comme le réalisme.
Certains à gauche n’y voient pas grand-chose d’inquiétant. L’Amérique, par ses lumières, devrait intervenir partout dans le monde dans une croisade des valeurs. Des journaux de gauche commeDissent et Jacobin se sont efforcés de justifier l’impulsion trotskyste à la violence politique. De cette façon, le néoconservatisme, la variante américaine du trotskysme, n’est pas encore mort, il reste une idéologie zombie qui hante le pays.
Oubliez l’anti-impérialisme, certains gauchistes disent que c’est le nationalisme « trumpien » qui est le vrai problème. Et il y a effectivement des éléments du nationalisme « trumpien » qui sont troublants. Mais est-ce que la réponse est une croisade pour imposer, selon la formule heureuse du propagandiste néoconservateur Max Boot, « l’état de droit, le droit de propriété et autres garanties, sous la menace d’une arme si nécessaire ? »
En fin de compte, l’idéologie de « l’exceptionnalisme » américain alimente l’illusion de l’innocence américaine, et prépare le terrain pour une intervention militaire n’importe où dans le monde. Est-ce vraiment la bonne façon de s’opposer à Donald Trump ?
James W. Carden a été conseiller en politique russe au Département d’État américain. Écrivain, actuellement collaborateur au magazine The Nation, son travail est paru dans le Los Angeles Times,QuartzThe American Conservative et The National Interest.
Source : James W. Carden, Consortium News, 24-10-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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