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samedi 23 décembre 2017

En Catalogne, les indépendantistes remis en selle face à Madrid


23 décembre 2017.

En Catalogne, les indépendantistes remis en selle face à Madrid

Les nationalistes conservent leur majorité et infligent un revers à Rajoy, en dépit du succès des unionistes de Ciudadanos, après les élections du 21 décembre

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C'est une victoire symboliquement forte, mais insuffisante et amère face aux formations indépendantistes, qui conservent leur majorité. " Pour la première fois, une force cons-titutionnaliste arrive en tête des élections en Catalogne ",s'est félicitée la candidate du parti libéral et antinationaliste Ciudadanos, Inés Arrimadas, sur une scène installée place d'Espagne, à Barcelone, devant quelques centaines de militants. Mais le cœur n'y était pas.
Arrivée devant ses rivales des élections régionales, jeudi 21  décembre, cette formation, née en  2006 en opposition à l'enseignement en catalan dans les écoles et en confrontation directe avec le nationalisme régional, a obtenu 25  % des voix et 37 des 135 députés du Parlement régional. Pour l'ennemi juré des nationalistes, convaincus que ce parti ne durerait " que trois jours ", c'est un score élevé qui consolide et amplifie le succès que Ciudadanos avait obtenu aux  précédentes élections. Sans lui per-mettre cependant de gouverner à la place des nationalistes.
Les partis " constitutionnalistes " – Ciudadanos, Parti socialiste catalan (PSC) et Parti populaire (PP) – ne cumulent à eux trois que 43,3  % des voix et 57 sièges. Même en y ajoutant les huit sièges de Catalogne en commun-Podem –la formation de la maire de Barcelone, Ada  Colau, qui défend le droit à décider de l'avenir de la région dans un référendum d'autodétermination, mais ne se prononce pas pour l'indépendance –, le compte n'y est pas.
Pour Carles Puigdemont, c'est au contraire une revanche retentissante. Sa liste, Ensemble pour la Catalogne, a obtenu 21,7  % des voix et 34 sièges, et s'est imposée contre tout pronostic comme la première force indépendantiste devant sa rivale, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC). Avec 21,4  % et 32 sièges, celle-ci a accusé le coup, alors qu'elle caressait enfin l'espoir de prendre le pouvoir à la droite nationaliste, avec laquelle ses relations sont exécrables.
" Liberté des prisonniers politiques "" La République catalane a vaincu la monarchie du “155” - l'article de la Constitution espagnole qui a permis la mise sous tutelle de la région rebelle - . A présent, il faut une restauration du gouvernement légitime et la liberté des prisonniers politiques. La recette que - - Mariano - Rajoy a vendue à l'Europe a échoué ", a lancé M. Puigdemont, en " exil " à Bruxelles depuis sa destitution, poursuivi pour " rébellion, sédition et détournement de fonds publics " par la justice espagnole pour avoir organisé un référendum illégal sur l'indépendance le 1er  octobre, et proclamé la République catalane le 27.
Grâce aux quatre sièges de l'extrême gauche révolutionnaire (en recul de six sièges), la CUP (Candidature d'unité populaire), les forces indépendantistes cumulent 47,6  % des voix, un score presque identique à celui qu'elles avaient obtenu en  2015 (47,8  %), et une majorité absolue de 70 députés, deux de moins qu'au dernier scrutin régional. Même affaiblie, la CUP détient de nouveau la clé de la formation du prochain gouvernement indépendantiste. Mais son soutien n'est plus indispensable.
Au quartier général d'ERC, installé dans l'ancienne gare du Nord de Barcelone, l'ambiance était morne dans la soirée. " Ce n'est pas ce que j'attendais, avoue Fran Robles, déçu. Le problème, c'est que même avec une victoire, nous n'avons pas d'interlocuteur à Madrid. " Il espère que, malgré leurs différends, M.  Puigdemont et le président d'ERC, Oriol Junqueras, en prison préventive, op-poseront un front uni au gouvernement de M.  Rajoy. " Il faut qu'ils soient à la hauteur de la tâche qui les attend. "
Car rien n'est garanti. Alors qu'Ensemble pour la Catalogne et ERC ont renoncé à la voie unilatérale pour " construire la République ", et demandent la reprise du dialogue avec Madrid, la CUP défend la poursuite de la désobéissance aux lois espagnoles. Pis, même si les trois formations parviennent à se mettre d'accord, se pose la question de l'investiture du prochain chef du gouver-nement catalan, compromise par la situation judiciaire de M.  Puigdemont, qui sera mis à la disposition de la justice s'il passe la frontière. Un risque qu'il s'est dit prêt à prendre durant la campagne.
Camouflet pour RajoyPour obtenir le soutien de la majorité absolue du Parlement catalan, il faut 68 députés. Or, huit des députés indépendantistes élus se trouvent en Belgique ou en prison préventive pour, notamment, un délit présumé de " sédition ". Les analystes se divisent sur la possibilité qu'ils prennent leurs fonctions et, plus encore, qu'ils puissent participer au vote d'investiture.
Au siège de la liste Ensemble pour la Catalogne, personne ne s'avançait sur les prochains pas du président destitué. L'objectif de Carles  Puigdemont n'est pas clair. " Il faut que le gouvernement nous écoute et s'assoie à la table des négociations ", résume la militante Arancha Casanovas, après avoir demandé que le parquet retire ses plaintes contre les dirigeants indépendantistes. " Un parti qui a obtenu trois députés en Catalogne va faire -arrêter M. Puigdemont ? ", se demande un responsable d'Ensemble pour le oui.
Car  le Parti populaire de M.  Rajoy, qui pensait résoudre une partie du problème en convoquant des élections, essuie un camouflet. Avec 4,2  % des voix, il est sur le point de disparaître de Catalogne. Devenu la dernière force politique à la chambre régionale, et derrière la formation de l'extrême gauche CUP, le PP paie la mauvaise gestion de la crise catalane par M. Rajoy, et souffre de la concurrence d'un rival libéral, moderne, sans complexe et sans casseroles, Ciudadanos.
" C'est un résultat mauvais, très mauvais, pour le PP et pour l'avenir de la Catalogne ",a  déclaré le candidat conservateur Xavier Garcia Albiol. " L'Etat a réussi à - faire - que la loi règne en Catalogne ", et il veillera à ce que soient respectées " l'unité de l'Espagne et la souveraineté nationale ", a déclaré, àMadrid, le porte-parole du PP, Pablo Casado.
Très forte participationL'un des responsables du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSŒ), José Luis Abalos, a  regretté le résultat décevant du candidat du PSC, Miquel Iceta, qui n'a augmenté son score de 2015 que d'un siège, et il a averti le futur président catalan : " Les mêmes erreurs ne peuvent pas se reproduire ", et il devra gouverner " pour la totalité des Catalans, pas pour 50  % et encore moins 47  % d'entre eux ",et assumer " qu'il n'y a pas d'autre chemin que le respect de la Constitution ". Il a aussi appelé au " dialogue "et à la " normalisation de la relation du gouvernement catalan avec le gouvernement d'Espagne ".
Les élections confirment enfin la fracture de la Catalogne, profondément divisée entre les partisans et les opposants à l'indépendance de la région, comme en témoigne la multiplication des drapeaux espagnols accrochés aux fenêtres, et émotionnellement épuisée, après cinq ans de processus indépendantiste. Les électeurs se sont mobilisés en masse, avec un taux de participation de 82  %, sept points de plus qu'en  2015, du fait du sursaut des anti-indépendantistes.
La région est aussi profondément divisée territorialement. Alors que, dans la province de Gérone, les trois partis indépendantistes cumulent 64  % des suffrages et dans celle de Lleida 54  %, ils plafonnent à 49  % dans celle de Tarragone et à 44  % dans celle de Barcelone. La Catalogne intérieure, qui tire profit d'un système électoral favorable aux petites circonscriptions, confirme qu'elle constitue le principal vivier des indépendantistes.
M.  Rajoy est resté silencieux jeudi soir. Le chef du gouvernement avait promis, durant la campagne, de dialoguer avec le prochain président de la Catalogne, mais dans le cadre du respect de la Constitution. Reste à savoir quel projet politique le conservateur est capable de proposer pour favoriser la réconciliation de l'Espagne et de la Catalogne. Et de la Catalogne avec elle-même.
Sandrine Morel
© Le Monde

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