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samedi 23 décembre 2017

Contrôle des migrants : la révolte des associations


23 décembre 2017

Contrôle des migrants : la révolte des associations

Les acteurs de l'hébergement appellent à faire de la " résistance passive " face à la circulaire

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LA NOTION DE " PAYS TIERS SÛR " SUPPRIMÉE
Dans le cadre de son projet de loi asile et immigration prévu pour 2018, le ministère de l'intérieur a finalement renoncé, le 20 décembre, à introduire la notion de " pays tiers sûr " dans le texte. Cette mesure prévoyait de renvoyer un demandeur d'asile vers un pays par lequel il a transité s'il apparaît que ses liens avec le pays sont assez forts et qu'il y bénéficie d'un niveau de protection conforme à la Convention de Genève sur les réfugiés.
Pour ses détracteurs, cette notion aurait risqué de priver les demandeurs d'asile d'un examen de leur demande. " S'ils venaient d'un pays tiers sûr, le rejet de leur demande était assuré ", a déclaré à l'AFP Jean-Claude Mas, le secrétaire général de la Cimade.
Le gouvernement a tenté de jouer l'apaisement, après la bombe amorcée par la circulaire du 12  décembre signée des ministres de l'intérieur, Gérard Collomb, et de la cohésion des territoires, Jacques Mézard. Le texte, qui instaure un contrôle des migrants résidant dans les structures d'accueil, a fait bondir les associations. " Nous refusons que les centres d'hébergement deviennent des annexes des préfectures ", ont-elles protesté dans un communiqué. Celles-ci reprochent à la circulaire de remettre en cause le principe fondamental de l'accueil immédiat et inconditionnel de toute personne sans abri ou en situation de détresse.
Le premier ministre, Edouard Philippe, a ainsi reçu les représentants d'une trentaine d'associations d'aide aux migrants et aux sans-abri, jeudi 21 décembre. " On a été écoutés pendant plus de deux heures, mais pas entendus, résumait Bernard Thibaud, secrétaire général du Secours catholique, à la sortie de Matignon.Nos questions n'ont reçu aucune réponse. Ce n'était pas un dialogue… "" C'est décevant, le gouvernement reste droit dans ses bottes, avec un mélange d'habileté et d'avancée au rouleau compresseur ", a estimé Jean-Michel Hitter, président de la Fédération d'entraide protestante.
Pour Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade, " c'est une fin de non-recevoir et c'est frustrant ". " Voilà une occasion manquée de tendre la main aux associations ", a déploré Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (Fnars) qui regroupe 800 associations chargées de la gestion d'environ 80  % des centres d'hébergement concernés.
Deux points hérissent ces acteurs incontournables de l'accueil d'urgence sur lesquels l'Etat se repose pour assurer ses obligations d'hébergement. Il leur faudrait d'abord accepter que des unités mobiles d'agents préfectoraux et de l'Office français de l'immigration rentrent dans les structures d'accueil pour contrôler la situation des résidents. Il leur serait aussi fait obligation de transmettre, à la demande du préfet, les listes nominatives des personnes recueillies, avec mention de leur statut (réfugié, demandeur d'asile, sans-papiers, etc.).
" Tout le monde sera perdant "" La première partie de la circulaire, qui entend accélérer l'orientation et l'examen des dossiers d'asile, ne nous pose pas de problème. Mais la seconde partie suggère que ceux qui ne seront pas reconnus comme réfugiés seront expulsés, renvoyés ou placés en centre de rétention administrative, ce qui n'est pas acceptable, critique Patrick Doutreligne, président de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux. Car si la confiance et la protection que nous devons apporter sont rompues, les personnes à la rue et les migrants ne viendront plus, iront dans des squats, dans les bois… Tout le monde sera perdant, ce public, bien sûr, mais aussi les riverains de ces refuges improvisés, les maires… Pas besoin d'un “groupe de suivi”, comme l'a proposé le premier ministre, pour anticiper cette dégradation d'ici quelques mois. "
" Nous recommandons la résistance passive qui consiste à ne pas, évidemment, s'opposer physiquement à la venue des agents de l'Etat, mais ils ne pourront pas entrer dans les chambres des résidents, considérées comme domicile privé, rappelle Florent Gueguen. Quant aux listes, nous avons sollicité l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés qui nous interdit de transmettre, fût-ce à l'Etat, des données nominatives. " Deux préfets, de Haute-Savoie et Haute-Garonne, ont cependant déjà sollicité par oral les associations pour obtenir ces documents.
" C'est simple, nous n'appliquerons pas cette circulaire, promet, de son côté, Samuel Coppens, directeur des relations publiques de la Fondation de l'Armée du salut qui gère 40  structures d'accueil. Sur le terrain, les travailleurs sociaux, tenus au secret professionnel, ne pourront d'ailleurs pas être coopératifs. "" Les personnes recueillies sont d'abord des êtres humains, pas des dossiers administratifs ", dit Emmanuel Ollivier, directeur du centre d'hébergement d'urgence de l'Armée du salut, rue de la Mouzaïa, à Paris (19e).
Au-delà, c'est le contenu de la future loi asile et immigration, débattue au Parlement début 2018, qui inquiète. Le premier ministre a proposé aux associations une réunion de concertation, le 11  janvier. " Nous n'irons pas. A quoi ça sert ? ", interrogeait Corinne Torre, de Médecins sans frontières, jeudi.
" Nos associations sont plutôt légalistes et engageront tous les recours juridiques possibles, annonce M.  Doutreligne. Mais la politique de la chaise vide n'est guère tenable. Il nous faudra mobiliser les députés dont on a vu qu'ils pouvaient ne pas être unanimes. " La députée (LRM) de la Manche Sonia Krimi a en effet sérieusement fendu l'apparent consensus de la majorité présidentielle, mercredi, lors des questions au gouvernement, en interpellant fermement le ministre de l'intérieur. " Non, tous les étrangers ne sont pas des terroristes ni des fraudeurs sociaux ", a-t-elle voulu rappeler, posant ouvertement la question de l'équilibre du futur projet de loi.
Le gouvernement lui-même ne peut pas cacher quelques divergences en son sein. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, a ainsi écrit à Emmanuel Macron pour lui faire part de ses réticences sur la circulaire et le projet de loi, et Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, s'est dite, elle, sensible au sort des familles et des mineurs : " J'ai un devoir de protection envers eux ", a-t-elle rappelé lors de sa visite d'un centre d'hébergement, jeudi.
Isabelle Rey-Lefebvre
© Le Monde

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