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vendredi 15 décembre 2017

Ces députés En marche ! gagnés par le vague à l'âme

15 décembre 2017

Ces députés En marche ! gagnés par le vague à l'âme

Des dizaines d'élus de la majorité ont l'impression de ne pas être utiles à l'Assemblée nationale. Un malaise qui toucherait aujourd'hui près d'un tiers des troupes de LRM

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DES RENCONTRES AVEC DES INTELLECTUELS
Alors que des députés La République en marche (LRM) se disent un peu désœuvrés, trois d'entre eux, parmi les plus aguerris, ont décidé de lancer un cycle de rencontres avec des intellectuels, deux fois par mois. A l'origine du projet : la questeure Laurianne Rossi, la porte-parole Aurore Bergé et le député de Paris Pierre Person. L'objectif ? " Donner de l'épaisseur intellectuelle aux élus du groupe ", explique Mme Rossi. Vingt d'entre eux pourront assister à chaque rendez-vous. Le premier aura lieu le 20 décembre avec le démographe Hervé Le Bras et le journaliste Gérald Andrieu. Le second est prévu le 17 janvier sur les thèmes de l'économie circulaire et des nouvelles formes de travail.
Début août, des dizaines de nouveaux députés de La République en marche (LRM) se  montraient déboussolés et quelques-uns franchement démoralisés à la fin d'une session extraordinaire riche en examens de projets de loi. Au point d'envisager de lâcher leur mandat… Cela concernait surtout des élus venus du privé, qui avaient l'impression de ne pas être utiles à l'Assemblée nationale.
Le président du groupe majoritaire, Richard Ferrand, les avait alors reçus pour les remobiliser. Et les piliers de la macronie se voulaient rassurants : " Ce n'est qu'une histoire de temps. Ils vont apprendre progressivement le job. " Les doutes des débuts ne seraient alors que de mauvais souvenirs…
Mais plus de quatre mois après, la situation ne s'est pas arrangée. D'après plusieurs cadres du groupe majoritaire, le malaise éprouvé par certains au début de la législature s'est confirmé – voire amplifié –, au point de toucher aujourd'hui près d'un tiers des troupes. " Une centaine sont perdus pour la cause ", atteste l'un d'eux, quand d'autres évaluent plutôt à " une cinquantaine " le nombre d'élus désœuvrés sur un total de 313 membres.
Derrière les têtes d'affiche, qui maîtrisent parfaitement les codes du Palais-Bourbon, une partie des élus LRM – volontairement ou non dans l'ombre – peinent à trouver leurs marques et se montrent encore mal à l'aise dans leur costume de député. La plupart sont de nouveaux élus, issus de la société civile, qui découvrent les codes du monde politique et les contraintes du mandat de parlementaire.
Au-delà de la fatigue éprouvée après six mois de réformes intenses et un marathon budgétaire dense, beaucoup cherchent encore leur place et leur utilité. " Certains se plaignent de perdre leur temps dans l'Hémicycle, car ils ont le sentiment d'être plus passifs qu'actifs ", observe le député de -Paris Pierre Person.
La plupart, qui exerçaient de hautes responsabilités dans le monde de l'entreprise, montrent des signes de frustration et de lassitude après avoir pris conscience de la lourdeur de la procédure parlementaire. Bien sûr, ils ne s'en ouvrent pas publiquement, mais confient leur mal-être à leurs collègues. " Ils ont l'impression de ne pas servir à grand-chose et se demandent à quoi cela sert de siéger pendant des heures dans l'hémicycle ou en commission uniquement pour lever le bras ", témoigne un responsable du groupe LRM, inquiet que ces élus démotivés ne deviennent " un problème politique " pour la majorité.
Conscient du désarroi d'une partie de ses troupes, Richard Ferrand dit " comprendre "que certains aient le sentiment de perdre leur temps. " Un député veut toujours être utile. Quand j'ai été élu député pour la première fois, en  2012, je me souviens avoir eu une sorte de blues au bout de trois mois : quand vous êtes habitué à produire du réel dans votre métier ou comme élu local, vous ne savez pas bien ce que vous pouvez apporter à l'Assemblée ", a-t-il déclaré à  Libération, le 3  décembre, en affirmant " veiller à ce que chacun puisse contribuer au travail collectif ", en participant à des commissions, à des groupes de travail et d'études.
" Sentiment de frustration "Parmi ces élus en proie à des états d'âmes, certains sont effectivement dans l'attente de responsabilités et cherchent encore leur spécialité. A tort, selon le député des Français de l'étranger, Joachim Son-Forget, qui leur conseille de " s'imposer " d'eux-mêmes : " Ceux qui se  sentent lésés doivent dépasser ce sentiment de frustration, en devenant experts sur un sujet, sans attendre d'être nommés dessus. "
Hiérarchiser les priorités constitue une autre des difficultés de ces députés en proie aux  doutes. Entre la nécessaire présence dans l'hémicycle à Paris pour voter les textes, celle en circonscription pour rendre compte aux électeurs et faire avancer des dossiers locaux, les sollicitations médiatiques auxquelles ils n'osent parfois pas répondre ou l'implication dans la vie du groupe, beaucoup ne savent pas comment concilier tous les aspects de leur nouvelle fonction.
Une députée du Sud-Est a confié à un de ses collègues sa " crainte " de se rendre sur un plateau de télévision, de peur de commettre une bourde. " L'épisode Hervé Berville les décourage d'aller dans les médias… ", grimace un cadre, en référence à la gêne éprouvée par le député LRM des Côtes-d'Armor, le 4  décembre sur RMC et BFM-TV, lorsque Jean-Jacques Bourdin l'a interrogé sur la prime de Noël. D'autres peinent encore à maîtriser des points de procédure et vivent mal d'être perçus comme des " débutants ", alors que leurs compétences étaient reconnues dans leur précédent métier.
L'un d'eux a avoué à ses collègues, un peu honteux, ne pas comprendre le langage utilisé dans l'hémicycle, notamment l'emploi du verbe " gager " lors de l'examen du projet de loi de finances… " Ils sont arrivés tout feu tout flamme et se rendent compte que le fonctionnement du Parlement au quotidien est complexe et moins excitant qu'ils l'avaient imaginé ", sourit le député Les Républicains de Vaucluse Julien Aubert.
" Contraintes familiales "Plusieurs d'entre eux confient mal vivre l'aspect chronophage de la fonction, estimant avoir perdu sur le plan financier et en qualité de vie. " Des anciens cadres supérieurs du privé, qui gagnaient près de 20 000  euros et se retrouvent avec quatre fois moins, se plaignent de travailler beaucoup plus pour gagner beaucoup moins ", rapporte un élu LRM. Un message récurrent chez plusieurs macronistes, qui pestent de ne plus avoir de temps pour leur vie privée.
" Certains ont des contraintes familiales, des métiers à côté et pour eux, ce premier mandat est un immense bouleversement. Il faut se mettre à leur place : beaucoup sont devenus députés par hasard, grâce à la photo de Macron sur leur affiche, après avoir adhéré par Internet. Aujourd'hui, ils déchantent, car ils ne savaient pas ce qu'ils allaient endurer. Or, la vie politique, c'est dur. Ce n'est pas un monde de bisounours ! ", souligne Patrick -Vignal, député LRM de l'Hérault. Un " choc thermique " compliqué mais nécessaire pour cet ex-socialiste, qui fait partie des vingt-sept députés sortants du groupe à avoir été réélus : " Il y avait un ancien monde vieillissant et déconnecté des réalités qu'il fallait renouveler. "
Conscients du problème, les responsables de LRM cherchent à remotiver ceux qui sont à la limite du décrochage. C'est notamment la tâche de Pacôme Rupin, vice-président du groupe, qui a identifié le risque d'avoir des troupes avançant à deux vitesses : " Certains ont trouvé leurs sujets de prédilection, d'autres moins. Nous sommes vigilants sur ce point et travaillons de manière organisée pour que chacun puisse mieux se mettre au service du collectif. "
Dans cette optique, un nouveau séminaire de " cohésion " est prévu début janvier. Pour la troisième fois depuis le début du quinquennat, les députés macronistes se retrouveront à  Paris pour faire le point sur l'agenda, mais aussi tenter d'améliorer le fonctionnement et l'animation du groupe. Un groupe informel de soutien, appelé " groupe Care " (soin, en anglais), a également vu le jour récemment, comme l'a annoncéL'Opinion.
Le principe ? Une dizaine de députés, rodés au travail parlementaire, doivent venir en aide à  leurs collègues éprouvant des difficultés. L'initiative a suscité des moqueries dans les rangs de l'oppo-sition. Le communiste Sébastien -Jumel (Seine-Maritime) a raillé une " cellule psychologique " pour " députés surmenés ".
Alexandre Lemarié
© Le Monde

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