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lundi 19 juin 2017

L'élection des dupes

19 juin 2017
Laurent Joffrin
La lettre de campagne
de Laurent Joffrin

L'élection des dupes

On sous-estime toujours, dans la vie politique, l’importance des gaffes, des bévues et des boulettes commises par les acteurs. Pour analyser cette séquence électorale, il ne manquera pas de doctes experts qui expliqueront gravement, sur la base de leurs études chiffrées, que ce qui est arrivé était écrit, que rien d’autre ne pouvait se produire, que les mouvements telluriques du paysage politique rendaient parfaitement prévisible un événement qu’ils n’ont en rien prévu. Mirage du sociologisme…
Pourtant ces quatre scrutins - huit avec ceux des primaires - ont surtout été marqués par une succession burlesque de pataquès, de quiproquos et d’illusions cruellement démenties. Ce fut l’élection des dupes. Qu’on en juge : 
Il y a un an, Sarkozy, comme beaucoup de commentateurs, croyait en son énergie et son expérience pour revenir au premier plan à la faveur d’un «blast» politique (c’était le terme employé). Le «blast» a eu lieu, mais contre lui : il fut sèchement congédié par l’électorat de droite agacé par sa brusquerie et par la batterie de casseroles qu’il traînait derrière lui.
Juppé s’est endormi sur sa colline sondagière, tel le lièvre de La Fontaine, pendant que la tortue Fillon progressait laborieusement. Il s’effondra sur la ligne d’arrivée.
Vainqueur en gloire de la primaire, Fillon était élu d’avance. Tel Ulysse trahi par les siens, il fut battu par une adversaire involontaire nommée Penelope.
Hollande croyait qu’un président sortant, même impopulaire, s’imposerait naturellement dans son propre camp. Tout était prêt pour une deuxième candidature, contre vents et marées. Un simple livre, par lui alimenté, a eu raison de ses derniers espoirs.
Valls pensait que sa stature de gouvernant impétueux lui permettait de remplacer au pied levé le président défaillant. Il lui donna le dernier coup de poignard, pensant que Brutus allait remplacer César. Brutus ne fit pas mieux que César empêché : à la trappe.
Hamon et les frondeurs pensaient que leur opposition interne allait leur valoir la reconnaissance du peuple de gauche. Ils n’avaient pas vu qu’en sabrant aussi fort leurs amis du PS, ils coupaient toute la branche socialiste. Ils ont aussi oublié cette vérite première : quand le train arrive au terminus, tout le monde descend.
Mélenchon, auteur d’une remarquable campagne, laissa parler au soir du premier tour son caractère atrabilaire. Il reperdit en un mois les huit points gagnés pendant un an de course présidentielle.
Marine Le Pen n’a pas compris qu’il ne suffit pas de sauter comme un cabri sur son estrade en criant «A bas le système !» pour devenir crédible. Cette vérité éclata lors du débat contre Macron. Le FN fit un score médiocre en regard de ses espérances.
Seul Macron, donc, avait vu juste. Diagnostiquant dans le scepticisme général la décrépitude de la classe politique traditionnelle, il a remplacé une élite par une autre. Pour que rien d’essentiel ne change, il faut que tout change. Le président fut le meilleur lecteur de Lampedusa qui portraiture dans Le Guépard le prince Salina, cet aristocrate sicilien qui se rallie au monde nouveau pour préserver l’ancien.
Place maintenant aux analyses savantes de ceux qui négligent toujours le rôle des faiblesses humaines dans l’Histoire…

Et aussi

• Le niveau record d’abstention est le point noir du scrutin. Difficile de pas l’interpréter comme un recul du civisme. Mais au-delà, les analyses se changent trop souvent en raisonnements partisans. Dans une partie de l’opposition, on en déduit souvent que la nouvelle majorité manque de légitimité. La France insoumise, par exemple, affirme qu’il n’y a pas de majorité en France pour changer le code du travail. Etrange raisonnement : il n’y a pas plus de majorité pour empêcher la réforme, puisque l’abstentionniste, par définition, n’exprime rien, sinon un vague rejet de la politique. En démocratie, qui ne dit mot consent. Mélenchon dénie à Macron sa représentativité. Mais dans sa circonscription, l’abstention dépasse les 60%. Si les macronistes ne sont pas légitimes, il ne l’est pas plus.
• Il y a parfois une morale en politique. Marisol Touraine, qui a soigneusement camouflé son appartenance au PS dans l’espoir de rallier les électeurs d’En marche, a été battue. Delphine Batho, qui a revendiqué son étiquette socialiste sans être pour autant cataloguée frondeuse, a été réélue.
• Marine Le Pen exigera «de la courtoisie» lors des débats internes autour de la «refondation» du Front national. Sage résolution. Elle a été agacée par les noms d’oiseau qui ont circulé sur les réseaux sociaux entre les responsables frontistes. Il est vrai qu’elle a toujours été un modèle de délicatesse et de retenue dans son expression publique…
LAURENT JOFFRIN
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