Pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l'exemple !
Source des photos Google BV
Source : articles parus dans le DL du 11 novembre 2016 édition de Grenoble
LE DOSSIER DU JOUR | EN ISÈRE
GUERRE DE 14 18
| Depuis des années, un collectif isérois se bat, avec des familles, pour la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple
Ils ne baissent pas les armes pour leurs aïeux
649
soldats auraient été fusillés pour l’exemple entre 1914 et 1918,
dont treize étaient isérois. Un collectif agit pour leur
réhabilitation. C’est le plus important en France. Il s’agit de
dix structures : l’Association nationale des anciens combattants et
amis de la Résistance, l’Association républicaine des anciens
combattants, la Ligue des droits de l’homme, la Ligue de
l’enseignement, la Ligue internationale des femmes pour la paix et
la liberté, la Libre pensée, l’Union pacifiste de France, le
Mouvement de la paix, l’Association laïque des amis de Jean-Pierre
Raffin-Dugens et l’Association laïque des amis du monument
pacifiste de Pontcharra.
La
réhabilitation des fusillés pour l’exemple est un sujet dont on
parle depuis plus de 100 ans. Un sujet sensible que tous les
gouvernements “évitent” malgré l’appel des familles qui
aimeraient voir leurs aïeux rétablis dans leur honneur. Depuis une
vingtaine d’années, ses familles sont soutenues activement par des
associations et des élus qui demandent la réhabilitation collective
des 649 fusillés répertoriés. En Isère, un collectif multiplie
les initiatives et les démarches. En ce jour de commémoration de
l’armistice du 11-Novembre-1918, il propose aux descendants
des fusillés “un appel à la République”.
En
décembre 2010, dix associations iséroises s’adressaient, lors
d’une conférence de presse dans le
Vercors,
aux parlementaires du département pour leur demander d’oeuvrer, à
leurs niveaux, pour la
réhabilitation
collective des fusillés pour l’exemple. De cette initiative est né
le Collectif isérois pour
la
réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple.
«
Des hommes condamnés à mort pour désertion, refus d’obéissance,
ou encore tirés au sort, ou tout
simplement
sacrifiés, indique Yves GerinMombrun, de VillarddeLans, coordinateur
du collectif.
Ces
soldats sont passés par les armes dans le but d’accroître
l’obéissance et la combativité des troupes
engagées.
Il s’agissait bien de faire exemple, soit clairement de faire
cesser hésitations et refus
d’avancer
des soldats. Les exécutions avaient lieu devant les troupes. Pour
l’essentiel, elles se sont
déroulées
dans les premiers mois de la guerre. »
Entretien.
Qui sont les fusillés
pour l’exemple ?
«Ils
seraient 649 sur les 2 500 condamnés à mort, selon le secrétariat
aux Anciens combattants.
Mais
le nombre exact, nous ne le saurons, bien sûr, jamais. Ils ne
peuvent en aucun cas être confondus avec des condamnés pour délits
de droit commun ou pour espionnage.
Pour
la quasi totalité, il s’agit d’hommes du rang de soldats.
Les
fusillés isérois sont cultivateurs, mineurs, ouvriers, charretiers,
tisseurs… Des soldats issus de professions dites “modestes”.
Ils sont tout à fait représentatifs de l’ensemble au niveau
national, et conformes à la composition sociale des armées
mobilisées en août 1914, des paysans et des ouvriers.»
Ü
Dans quelles conditions
ont-ils été fusillés ?
«D’une
manière très expéditive par des conseils de guerre. Sans souvent
avoir de défenseur et sans possibilité de faire appel. La sanction
était mise à exécution très rapidement.»
Quel type d’actions mène
le collectif ?
«Nous
organisons beaucoup de conférences, nous avons réalisé combien ce
sujet était inconnu du grand public.
Nous
engageons de nombreuses démarches auprès des gouvernements, des
députés et des élus locaux. Aussi, nous proposons des
rassemblements pacifistes pour les commémorations du 11Novembre afin
de rendre hommage aux treize soldats isérois.
Cette
année, il aura lieu ce vendredi à Eybens. Nous venons également de
proposer aux descendants “un appel à la République”, qui
rencontre déjà un large écho. Et nous soutenons l’initiative
d’ériger un monument en mémoire aux 649 fusillés. Il sera élevé
ce printemps sur une ligne de front dans l’Aisne.»
Toutes les démarches
restent vaines ?
«Oui.
Au niveau national, il y a eu plusieurs tentatives de propositions de
loi au Sénat, en 2008 et 2014. Et à l’Assemblée nationale, en
2012 et 2016, sans suite. Mais il faut souligner qu’une quarantaine
de soldats a été réhabilitée d’une manière individuelle, au
niveau national. Pour l’essentiel entre 1917 et 1934. Au niveau
local, des conseils municipaux ont récemment pris des motions pour
que le président
de
la République prononce officiellement la réhabilitation collective
des fusillés pour l’exemple. Il faut savoir que huit des treize
fusillés isérois sont inscrits sur les monuments aux morts de leur
village.
C’est
exceptionnel en France. Cela signifie qu’après la guerre, des
maires ont “interprété” la loi pour rassembler toutes les
victimes.»
Pourquoi tant de
résistance au sommet de l’État ?
«Sans
doute le poids toujours très présent de l’armée. Et peut être
aussi la crainte de
donner
crédit au droit de désobéissance.»
Recueilli
par Monique BLANCHET
La
réhabilitation des fusillés pour l’exemple est un sujet dont on
parle depuis plus de 100 ans. Un sujet sensible que tous les
gouvernements “évitent” malgré l’appel des familles
qui aimeraient voir leurs aïeux rétablis dans leur honneur. Depuis
une vingtaine d’années, ses familles sont soutenues activement par
des associations et des élus qui
demandent la réhabilitation collective des 649 fusillés
répertoriés. En Isère, un collectif multiplie les initiatives et
les démarches. En ce jour de commémoration de
l’armistice du 11-Novembre-1918, il propose aux descendants des
fusillés “un appel à la République”.
649
soldats auraient été fusillés pour l’exemple entre 1914 et 1918,
dont treize étaient isérois. Un collectif agit pour leur
réhabilitation. C’est le plus important en France. Il s’agit de dix
structures : l’Association nationale des anciens combattants et
amis de la Résistance, l’Association républicaine des anciens
combattants, la Ligue des droits de l’homme, la Ligue de
l’enseignement, la Ligue internationale des femmes pour la paix et
la liberté, la Libre pensée, l’Union pacifiste de France, le
Mouvement de la paix, l’Association laïque des amis de
Jean-Pierre Raffin-Dugens et l’Association laïque des amis du
monument pacifiste de Pontcharra. Photo
DR
LA
PHRASE
Avec
l’Italie, la France reste la seule
nation
à faire preuve de résistance
en
matière de réhabilitation de ses
fusillés
pour l’exemple.
Yves
GerinMombrun,
coordinateur
du Collectif isérois
pour
la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple
«
Mon grand-père n’a
pas déserté »
IL
y a de l’amertume dans sa voix. De la tristesse, surtout. Il fait
partie de ces familles qui se démènent
afin que leurs aïeux, fusillés pour l’exemple,soient rétablis
dans leur honneur.
Il
a 78 ans, il est de SaintMarcellin. Tout comme son grand père, Jules
Berger. Parti au front en août 1914. Fusillé le 12 septembre dans
les Vosges. Il avait 22 ans. Il était marié et avait une petite
fille de 4 ans.
« Malgré un certificat de bonne conduite, il a été déclaré
coupable de s’être mutilé volontairement et d’avoir abandonné
son corps en présence de l’ennemi. Il a été condamné à mort et
a reçu son exécution en présence des troupes de la garnison en
armes », énonce Michel Revol.
Des
paroles qu’il a dites et redites des dizaines de fois. Depuis des
années. Des paroles qui résonnent dans la famille depuis plus de
100 ans.
Considéré
comme un traître à la patrie à Saint Marcellin
«
Mon grand père n’a pas déserté, explique l’ancien directeur
d’école. Les témoignages de ses compagnons d’armes obtenus à
l’époque montrent que, blessé au cours d’une attaque, il a
cherché du secours dans un village proche. Cela a été interprété
par ses supérieurs comme un abandon de poste. C’est à dire une
désertion.
Dès
lors, sa blessure a été jugée suspecte. On l’a accusé de s’être
volontairement mutilé. » Il est effectivement arrivé que des
soldats s’automutilent en se tirant une balle dans le doigt ou le
bras, par exemple, pour échapper à l’horreur. Au traumatisme des
tranchées, aujourd’hui connu sous le nom de “shell shock” ou
“choc de l’obus”, un syndrome de la guerre des tranchées de 14
18.
«
Le nom de mon grand père n’est pas inscrit sur le monument aux
morts de Saint Marcellin»,
c’est un des grands regrets de Michel Revol, une blessure même. Il
espère toujours voir, « au moins », une plaque déposée au pied
de la stèle. Il a écrit au président Chirac, au Premier ministre
Jospin, au président Hollande, pour que les fusillés pour l’exemple
soient reconnus comme étant, eux aussi, morts pour
la France.
Ce
mort “innocent” a plongé sa famille dans le déshonneur.
L’opprobre.
«
Il était considéré comme un traître à la patrie ici, à Saint
Marcellin. Ma
grand mère et ma mère n’ont pas été épargnées. Non seulement
ma grand mère n’a pas eu droit au titre de veuve de guerre, ni à
la pension, ni aux honneurs qui en découlent, mais elle a dû subir
la honte. Elle et ma mère ont porté cette honte toute leur vie sur
leurs épaules. On
s’est détourné d’elles et n’ont jamais eu d’aide. Cela a
été très longtemps un sujet tabou chez nous. » Le
corps de Jules Berger n’est jamais revenu dans son village natal.
Il est dans une fosse commune quelque part dans les Vosges.
M.B.
TROIS QUESTIONS À…
Les exécutions ont toutes été très sommaires
Olivier Cogne Directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère
Il y a eu treize fusillés pour l’exemple en Isère. L’histoire de l’un d’eux avait été évoquée il y a deux ans dans votre musée, à l’occasion d’une exposition sur la Grande Guerre. Dites-nous en un peu plus.
Treize soldats isérois ont été fusillés pour l’exemple, la majorité pour “abandon de poste”, expression qui qualifie une désertion mais aussi, plus simplement, le fait de se soustraire aux ordres. Nous avions choisi de parler de Benoît Manillier, en nous basant sur le gros travail de mémoire qu’avaient réalisé des acteurs locaux, comme la “Libre pensée de l’Isère”. Benoît Manillier avait été mobilisé en août 1914 à Bourgoin et inculpé pour abandon de poste en présence de l’ennemi, le 3 septembre dans les Vosges. Il avait été condamné à mort et fusillé le 7 septembre. Les autorités l’avaient alors accusé de s’être automutilé pour échapper aux combats. Nous avions choisi cet exemple pour évoquer un sujet qui reste toujours d’actualité 100 ans après. Même si, numériquement, cela a touché peu de personnes… En effet, sur les 2 400 condamnés à mort, 649 ont été exécutés, les autres ont vu leurs peines commuées en travaux forcés, notamment.
Benoît Manillier a été exécuté au début de la guerre, pourtant, on a l’impression que les fusillés pour l’exemple l’ont tous été à l’époque de la bataille du Chemin des Dames, c’est-à-dire en 1917…
Nous voulions justement sortir de cette vision en évoquant l’exemple de Benoît Manillier. Contrairement à ce qu’on croit, la plupart des fusillés pour l’exemple l’ont été au début de la guerre. Mais 1917 est restée dans nos mémoires car c’est l’année des grandes mutineries et surtout d’une prise de conscience de la société sur l’atrocité des tranchées. À cette époque, en effet, l’opinion publique - qui commence à se demander quel est le sens de cette guerre qui n’en finit plus - est de plus en plus critique et commence à s’intéresser à ce genre d’histoires. D’autant que des récits de soldats arrivent à échapper à la censure. Un an auparavant, le livre d’Henri Barbusse, “Le Feu”, décrivant l’horreur vécue par les soldats français, a d’ailleurs fait l’effet d’une bombe, déstabilisant de nombreuses certitudes.
Mais pourquoi ce sujet semble encore si sensible ?
C’est encore un sujet assez vif, oui. Et cela peut s’expliquer par le fait qu’on ne pourra jamais vraiment réhabiliter tous les fusillés pour l’exemple, car nous ne disposons que de peu de données pour établir la culpabilité ou l’innocence des soldats. Les exécutions ont en effet toutes été très sommaires, ainsi que les comparutions des accusés. Les historiens avaient bien proposé des études au cas par cas, mais à la lumière des archives dont on dispose, cela me semble difficile. Il y aura toujours une part d’incertitude, qui peut générer un sentiment d’injustice, même 100 ans après. Reste que le travail de mémoire entrepris par les collectifs est important et très intéressant, car il pose des questions sur l’humanité en général.
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