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De Gaulle qualifiait de « mauvais généraux » les étoilés de temps de paix qui révélaient leur dangereuse nullité lorsque la guerre survenait. De la guerre franco-prussienne de l’été 1870, à la catastrophe de mai 1940 en passant par les 169 « limogeages » d’août et septembre 1914, les exemples abondaient dont de Gaulle avait pu faire lui-même l’expérience. Jusqu’au 22 avril 1961 avec la ridicule tentative de putsch d’Alger. Fort heureusement, les « circonstances et le grand caractère » avaient à chaque fois permis l’affirmation de grands capitaines sortis du rang.
Depuis une trentaine d’années, privée de la conscription, ses budgets rabotés par le néolibéralisme, assignée à des missions ponctuelles de supplétif des États-Unis dans le cadre de l’OTAN, l’Armée française n’a pas échappé au phénomène. Où la montée en grade et l’accès aux responsabilités relèvent parfois plus de l’opportunisme politicien, et de la souplesse de l’échine, plutôt que des compétences.
À partir de février 2022, il a fallu s’infliger le spectacle d’étonnantes brochettes de ganaches, à la retraite parfois précoce, prenant d’assaut les plateaux des chaînes d’info pour venir y étaler, parfois contre rémunération, leur incompétence, leur perte du sens du réel, et leur servilité à répercuter au millimètre la propagande parfois grossière du pouvoir. Le constat de cette réalité était quand même préoccupant pour ce qu’il révélait de l’état de notre armée, même si l’on pouvait un peu se rassurer en constatant que quelques-uns parvenaient quand même à sauver l’honneur. Avec cette limite que leur expression était strictement confinée aux réseaux sociaux.
Malheureusement, Thierry Burkhard le chef d’état-major des armées vient de nous faire la démonstration que sous Macron, le problème s’était aggravé. Passé du poste de chef d’état-major personnel du Président de la République à celui de chef d’état-major général, en oubliant le devoir de réserve politique qui aurait dû s’imposer, il a été tout au long de son mandat dans une forme de surenchère. On prétend que de soviétophobe dans sa jeunesse, il serait ensuite passé à une russophobie déterminée. Ce qui expliquerait nous dit-on ses multiples affichages de solidarité intempestifs, physiques, et surjoués, comme ceux dont raffole Emmanuel Macron.
Peut-être, mais ce qui est plus grave c’est ce qu’ont révélé deux de ses récentes interventions. À savoir une conférence de presse lunaire, et une interview consternante à Libération au le fanzine de la petite bourgeoisie urbaine.
Tout d’abord, il est venu expliquer devant la presse que la France était au bord de la guerre avec la Russie, puisque celle-ci avait fait de notre pays son principal adversaire en Europe. Bigre ! Outre le fait qu’il ne faisait évidemment qu’exécuter un ordre de Macron destiné à justifier ses rodomontades, il s’est quand même livré à une prestation calamiteuse assortie d’un mensonge grossier. D’abord prétendre que pour la Russie la France était le principal adversaire était une ânerie mais surtout le moyen de nourrir la coquetterie narcissique du Président. Ce qui n’était déjà pas très glorieux pour un chef d’état-major. Ensuite mentir effrontément pour appuyer le propos était carrément déshonorant. À une question d’un journaliste lui demandant d’illustrer son accusation, il a invoqué sans barguigner une déclaration de Vladimir Poutine himself ! Que celui-ci n’avait jamais prononcée. Pour ce mensonge tellement ridicule, il s’est évidemment fait déchiqueter sur les réseaux, mais également dans la presse mainstream qui ne pouvait pas assumer cet excès de zèle.
On apprit quelques jours plus tard que son mandat qui devait se terminer en 2026 serait raccourci d’un an et qu’il devrait quitter son poste en septembre. Lien de cause à effet ? Nous n’en savons rien, mais force est de constater avec l’interview donnée à Libération qu’il était temps qu’il passe la main.
Voyons ce qu’il y a raconté.
« Dans trente ans, les historiens écriront que Poutine a été le pire stratège de la Russie. Il n’a pas réussi à s’emparer de l’Ukraine, il a perdu des centaines de milliers d’hommes, il a déclenché l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan, il ne peut plus naviguer en mer Noire sans se faire couler ses bateaux, il s’est placé dans une sorte de dépendance vis-à-vis de la Chine. »
Un festival d’incantations, on croirait entendre Michel Yakovlev, le bien connu général psychopathe ou Nicolas Tenzer l’employé tout aussi psychopathe de l’Institut Aspen. Comme eux Thierry Burkhard est super fort. Contre l’évidence, comme il a accès à ce qu’il y a dans la tête de Poutine il sait que celui-ci a voulu s’emparer de l’Ukraine. Alors que tout le monde sait que la Russie ne veut surtout pas s’embarrasser de l’Ukraine de l’Ouest. Quant aux pertes, il n’a pas été jusqu’à proférer les absurdités de Donald Trump mais elles sont tout aussi fausses. Les deux chihuahuas suédois et finlandais dans l’OTAN, c’est surtout une grossière erreur pour les chihuahuas eux-mêmes. Quant à la mer Noire devenue lac ukrainien (!!!) on croirait entendre Alla Poedie la célèbre blonde d’astreinte de LCI. Enfin, l’alliance (y compris militaire, oui oui) Chine/Russie qui conduit le changement du monde, il y voit la Russie première puissance militaire du monde comme un vassal de la Chine.
« Si nous, Européens, ne sommes pas capables de prendre des risques pour assurer une paix durable et la sécurité de notre continent, Poutine aura imposé l’idée que désormais, la force est supérieure au droit. »
Ça c’est vrai, nous les occidentaux comment qu’on n’est pas trop fort pour montrer que le droit est supérieur à la force. Ben oui, ça fait 400 ans qu’on domine le monde en utilisant le droit contre la force. Le génocide des amérindiens c’est le droit contre la force, comme la traite négrière. La colonisation du monde au XIXe siècle, c’est le droit, la première guerre mondiale entre puissances occidentales, c’est le droit supérieur à la force, la deuxième pareil. Et puis plus récemment, le bombardement de Belgrade pendant 98 jours et le détachement du Kosovo, c’est encore le droit contre la force. L’agression américaine en Irak, toujours le droit, en Libye pareil. Et puis tiens l’Ukraine, le coup d’état du Maïdan financé par les USA pour renverser un gouvernement démocratiquement élu, c’est le droit contre la force. Comme la signature des accords de Minsk garantis par la France et l’Allemagne en ayant dès le départ (coucou Hollande, coucou Merkel) l’intention de ne jamais les appliquer. De sacrés juristes nous les européens. Et puis enfin quelle démonstration de la supériorité du droit sur la force avec le génocide de Palestine, organisé, financé, soutenu par tout l’Occident. Si l’État d’Israël piétine le droit international depuis des dizaines d’années et de façon atroce depuis près de deux ans, c’est pour démontrer la supériorité du droit sur la force.
« L'objectif militaire est le même : il faudra empêcher la reprise des opérations russes de grande ampleur contre l’Ukraine et maintenir la paix obtenue. Il faudra surveiller la zone de séparation entre les belligérants, et dire aux Ukrainiens que les pays européens sont prêts à apporter des garanties de sécurité. C’est-à-dire être prêts à prendre des risques. Cela veut probablement dire se déployer en Ukraine, avoir des avions dans le ciel ukrainien, assurer une reprise du trafic en mer Noire et aider à la reconstruction de l’armée ukrainienne. »
Mais enfin, comment allez-vous faire tout ça ? D’abord imposer aux Russes des violations de ce qu’ils considèrent comme des lignes rouges plus rouges que rouges, à savoir votre présence sur le territoire ukrainien. Vous êtes prêts à prendre des risques ? De prendre des Orechniks sur la figure, voire de pousser à l’affrontement nucléaire ?
Ensuite avec quoi allez-vous faire tout ça ? Georges Malbrunot nous a raconté ce que vous aviez dit à Macron concernant l’état de notre défense. Nous sommes à l’os et vous le savez parfaitement. Pas d’argent, plus d’industrie militaire, plus de matériel, plus de munitions, plus de troupes, et vous État failli allez apporter « des garanties de sécurité » à un État failli ? L’aider à reconstruire son armée alors qu’un des enjeux du conflit est justement la démilitarisation de l’Ukraine. Êtes-vous parfois sérieux ? Ou simplement aveuglé par l’idéologie des néoconservateurs américains que vous semblez partager.
« Le continent européen, qui ne peut pas se penser sans les Britanniques, est probablement le groupe de pays qui possède le plus d’atouts au monde, en termes de valeurs, d’histoire, de puissance économique et industrielle, de modèle démocratique. Mais c’est aussi celui qui est le plus menacé s’il ne se met pas en ordre de bataille. »
La Grande-Bretagne est en train, au vu et au su du monde entier, de se casser la figure et on nous la décrit telle qu’elle était au XIXe siècle ! Là, l’aveuglement devient caricatural.
« J’ai expliqué à mon homologue américain à Washington qu’après avoir, pendant soixante ans, assuré aux Européens qu’ils s’occupaient de leur sécurité, ils ne pouvaient pas tout arrêter d’un claquement de doigts, et qu’il doit y avoir une phase transitoire. »
C’est vrai ça, on ne peut pas arrêter tout ça d’un claquement de doigt. D’ailleurs on l’a bien vu lorsque les dirigeants européens l’ont dit à leur « homologue américain » dans le bureau ovale quand ils ont accompagné Zélinsky. Il a été totalement convaincu et s’il les a traités comme des serpillières, faut pas croire, c’est qu’il était convaincu. « Je vais vous laisser vous démerder, parce que moi j’ai autre chose à faire. En plus de tout ce que j’ai imposé à von der Leyen en matière de droits de douane, d’achat de GNL et d’investissements aux USA, vous allez m’acheter pour 100 milliards par an de matériel militaire. »
Ça fait cher « la phase transitoire ». Heureusement qu’on a pas le premier sou. On relèvera également au passage la dimension radicalement anti gaulliste de la proposition selon laquelle la France s’en était remise à la protection américaine, plutôt que d’avoir une politique internationale indépendante et souveraine garantie par notre force de dissuasion. L’abandon et la soumission jusqu’au bout.
Tout ceci est absolument pathétique. Mais finalement, pour Macron, avoir nommé à la tête de l’armée française un chef de ce niveau renvoie évidemment au mandat qui est le sien. Celui que lui ont donné ceux qui l’ont porté au pouvoir : détruire méthodiquement les éléments fondamentaux de notre pays.
Pour en faire une région marginale d’un empire occidental en décomposition.
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