Il n’y a pas que « La Grande Librairie » dans la vie. Pour parler de littérature à la télévision, il y a aussi « Drag Race France », l’émission de France TV qui met des drag-queens en concurrence et enchante nos étés depuis trois ans. Dans le cinquième épisode de la saison en cours, on a vu débarquer Rebeka Warrior dans l’atelier rose fuchsia des candidates. Productrice, DJ, membre des duos Kompromat, Sexy Sushi, Mansfield. TYA et icône lesbienne, Warrior a une place légitime dans le programme qui brandit haut et fort la fierté LGBTQI +.
Or, Rebeka Warrior, alias Julia Lanoë à l’état civil, fait actuellement ses débuts en littérature où elle promet de faire sensation. Dans « Toutes les vies » (titre emprunté à « la Mouette » de Tchekhov), paru le 20 août aux éditions Stock, la narratrice déroule la progression du cancer du sein de sa compagne. Elle raconte l’épreuve de devenir aidante puis veuve, puis la recherche d’un certain épanouissement à travers la philosophie zazen. Une autofiction au ton brut, qui se pare d’humour et d’une poésie mystique. Rien d’étonnant donc à voir la musicienne expliquer à la drag queen Moon qu’elle a fait « des petites prières » dans le but de la côtoyer. Et de se prêter volontiers au jeu de la métamorphose.
« Drag Race France » a déjà vu une autrice s’asseoir sur ses bancs : c’était Virginie Despentes, en 2023 dans l’épisode 7 de la saison 2. L’ex-jurée du prix Goncourt s’en donnait à cœur joie, admirant et couvrant de compliments les postulantes. Cette année-là, on avait aussi pu voir Sara Forever, l’une des reines, se grimer en Françoise Sagan (avec cigarette XXL de rigueur) et en Colette (avec extraits du « Blé en herbe » brodés sur sa chemise bouffante). L’exception française ? En dix-sept saisons états-uniennes, les écrivains conviés à collaborer à l’émission se comptent sur les doigts d’une main − citons David Sedaris ou Jackie Collins.
Dans la version française en cours, Soa de Muse, l’une des concurrentes, a lu avec beaucoup d’émotion « Toi qui me hais », un texte puissant de la romancière trans espagnole Alana S. Portero. Elle dit avoir « croisé ses mots […] grâce à Virginie Despentes », autrice dont elle loue la « lucidité révélatrice » et qui l’a mise à l’affiche de sa pièce « Romancero Queer ». Juste avant son élimination, Soa s’interroge : est-ce qu’elle « correspond au cadre » ? Une télé-réalité est-elle le lieu pour asseoir ses positions politiques ? Une suggestion de BibliObs : pourquoi ne pas le faire à travers un livre ? Peut-être qu’après les écrivains parmi les drag-queens, le temps est venu de faire une place à une drag queen parmi les écrivains.
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