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vendredi 23 février 2024

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - vendredi 23 février 2024

 


BibliObs

Vendredi 23 février 2024

C’est de prime abord une simple embrouille entre fans comme il en existe tant sur les réseaux sociaux, celle-ci se déroulant d’un post à l’autre puis dans les commentaires des posts en question. Nous sommes sur Facebook, chez les boomers donc, dans un groupe célébrant le talent et la carrière d’une des divinités du dessin et du scénario de comics, John Byrne. Aux malheureux qui ignoreraient de qui il s’agit, précisons que l’artiste canadien appartient au trio ayant dominé les années 1970, 1980 et 1990 chez Marvel et DC Comics. À lui, la précision des dessins et un sens inné du cadre, à Frank Miller, la noirceur et la folie, à Barry Windsor-Smith, la virtuosité pure.

Grosso modo, John Byrne a forgé le succès mondial des X-Men, élevé Wolverine, un personnage de 4e division, au rang d’icône, créé la Division Alpha, déringardisé les 4 Fantastiques de Jack Kirby et quand « Time Magazine » fête en couverture les 50 ans de « Superman » en 1988, c’est lui qui s’y colle. Bref, un maître d’autant plus révéré qu’avec son caractère de cochon, il a fini par se fâcher avec toute l’industrie et qu’à un âge avancé, il a récemment autopublié en ligne « Elsewhen », une BD sans encrage ni couleur de plusieurs centaines de pages mettant en scène ses héros favoris, que ses fans impriment en loucedé avec la photocopieuse de leur entreprise entre deux tableaux Excel.

Et voilà que depuis quelques semaines, certains internautes publient sur les groupes en question des images de super-héros générées par intelligence artificielle, mais à la manière de John Byrne. Prompt : « John, dessine-moi un super-mouton ». Costumes brillant anormalement, muscles hypertrophiés, visages sans expression – parfois celui d’une vedette du cinéma −, le résultat d’une laideur sans nom fait tache parmi les croquis et esquisses et déclenche très vite l’ire de certains membres. Dès lors commence dans les commentaires une véritable lutte des cases : les uns défendant le droit de dessiner eux aussi ou de s’inspirer et les autres, très vite qualifiés de puristes, criant au crime de lèse-majesté, à un infâme mélange des genres. Quand les premiers expliquent aux seconds qu’il ne faut pas avoir peur des nouvelles technologies, les autres leur rétorquent qu’on ne peut célébrer un outil bien parti pour mettre au chômage les dessinateurs. Et ce, après qu’ont déjà quasiment disparu trois métiers indispensables au genre, celui de coloriste, d’encreur et de lettreur.

Cette bataille faussement picrocholine nous faisait sourire jusqu’à la semaine dernière quand ont déboulé les premières vidéos produites par Sora, le dernier-né du géant américain Open-AI, séquences immédiatement devenues virales − qu’une ville japonaise, un pilote dans le désert ou un mammouth soit représentés, on croirait un film pour ne pas dire la réalité − accompagnées de millions de commentaires fascinés. Quelques voix ont bien fait remarquer que pour les créer, l’IA avait absorbé sans aucun droit des images bien réelles réalisées par des professionnels mais les moutons et leur bêlement ont vite submergé les pauvres bergers en colère. Aussi, nous attendons avec une inquiétude non-feinte, les premiers romans de Don DeLillo, Victor Hugo ou Herman Hesse publiés via une IA. Si tant est que les entreprises en question y voient un intérêt.

Arnaud Sagnard

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L’IA menace-t-elle la littérature ? Enquête sur la nouvelle rivale des écrivains
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