Le capitalisme, c'est l’arnaque plus… l’électricité Avec l’augmentation du prix de l’électricité, ce 1er août, les ménages, les petites entreprises, les paysans auront subi une majoration cumulée de 31 % du coût de leur courant électrique durant l’année. Du haut de son mépris, le pouvoir considère que nous devrions nous estimer heureux car les tarifs auraient pu augmenter de... 75 %. Diantre ! Comment cela est-il possible alors que les coûts de production ont tendance à baisser ?
En même temps que cette hausse, le gouvernement décide de supprimer ce qu’il avait baptisé le « bouclier tarifaire ». Curieux. Dans son petit précis de petite politique pour les nuls, lors de la réunion du Conseil des ministres rafraîchi du 21 juillet, le président de la République n’en a pas soufflé mot. Lors de son entretien télévisé du 24 juillet, il nous a raconté une fable sur les centrales nucléaires qui permettraient de baisser les prix. Nous ne manquons ni de centrales, ni d’électricité et les prix montent Monsieur le Président ! Et, pour cause : le même gouvernement, par la voix de B. Le Maire, a participé le 13 juillet dernier à la prise de décision des ministres des Finances de l’Union européenne décidant de supprimer tous les mécanismes budgétaires de soutien permettant de lutter contre les effets de la flambée des prix de l’énergie.
Pourquoi une telle décision ? Pour obéir aux injonctions de la Banque centrale européenne (BCE) qui insiste pour revenir aux fameux critères du traité de Maastricht de réduction des déficits publics et de la dette, et prétendre ainsi lutter contre l’inflation. Il ne reste guère qu’Ubu pour affirmer sans ciller qu’afin de lutter contre l’inflation, il faudrait laisser augmenter les prix !
Dans une Europe démocratisée, ce ne serait pas la banque centrale qui donnerait des ordres aux ministres, mais le contraire. Le pouvoir qui prépare le budget 2024 considère que les temps sont venus de serrer toutes les vis sauf celles des cadeaux au grand patronat. Le projet est de réaliser sur ce chapitre de 19 à 29 milliards d’euros d’économies.
Pour aider à faire passer l’amère pilule, la Commission de régulation de l’énergie (CRE1), qui détient le monopole de la fixation du prix « théorique de l’électricité », explique qu’il faudrait augmenter les prix de 74 %2. C’est une manière de faire valoir la générosité du gouvernement. Voilà une belle arnaque !
En effet, une fois déduite la programmation du remboursement des investissements réalisés par EDF et l’État, la production d’électricité se calcule à coûts fixes. Or, la France produit 80 % de l’électricité qu’elle consomme. Puisque les tarifs sont toujours au-dessus de la moyenne de ces coûts fixes de production, pourquoi faudrait-il alors les augmenter dans de telles proportions ?
On ne peut comprendre la situation sans se souvenir de l’opération décidée lors de l’acceptation en 1996, à Bruxelles, par le gouvernement français de l’« ouverture du marché » de l’électricité. Le gouvernement de l’époque instaure une disposition permettant aux nouvelles entreprises, en général non productrices d’énergie, mais fournisseuses d’électricité, de disposer d’une partie de la production électrique nucléaire produite par EDF, afin de les placer sur « un pied d’égalité » avec l’entreprise publique. Le nom barbare de ce dispositif : l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh).
Ceci se fait au nom du sacro-saint dogme de « l’économie de marché où la concurrence est libre et non faussée ». Un marché juteux s’est alors ouvert pour des entreprises fournisseuses d’électricité qui se sont multipliées comme des petits pains, souvent logées dans de grands groupes pétroliers ou financiers.
Rendez-vous compte : l’équivalent du quart de la production électrique nucléaire d’EDF leur est réservé au prix de 42 € par mégawattheure (MWh) qu’ils revendront de 6 à 10 fois plus cher. Comble de l’absurdité capitaliste pour le commun des mortels : sous la pression de ces mêmes fournisseurs privés – qui ne sont en réalité que des intermédiaires – la fameuse Commission de régulation de l’énergie décide de considérer EDF, productrice essentielle de notre électricité, comme un « fournisseur » comme un autre. En conséquence, l’entreprise nationale doit répercuter dans ses tarifs réglementés un coût d’achat « théorique » de sa propre production.
Et pour que l’ubuesque tableau soit complet, c’est cette même CRE qui détermine le légendaire prix théorique – non pas, à partir des cours moyens annuels des prix de gros de l’électricité, mais en prenant seulement les références des cours du mois précédent de décembre, c’est-à-dire au moment où la demande est la plus élevée. Voilà les charmes discrets du concept de « concurrence libre » et prétendument « non faussée ».
Dès la fin de l’année 2021, alors que les prix de l’électricité sur le marché de gros commençaient à monter, tous les fournisseurs privés se sont précipités sur le dispositif Arenh pour demander à disposer de plus d’électricité. Ce qui leur fut accordé. Comme cela eut lieu au moment où EDF était contrainte d’arrêter plusieurs réacteurs nucléaires en raison de corrosions détectées, la spéculation s’est envolée sur ce « marché de gros ».
La CRE refuse de tenir compte de cet événement exceptionnel et maintient le prix dit théorique à un haut niveau. Imaginons le montant de la plus-value pour ces entreprises privées fournisseuses d’un bien (qui devrait être commun) qu’elles ne produisent pas ! Elles achètent, depuis des mois, de l’électricité à 46,2 € /MWh pour les revendre entre 500 et 800 €. De surcroît, le rapport parlementaire3 à l’initiative du sénateur communiste Fabien Gay et de sa collègue LR, Dominique Estrosi-Sassone, révèle que plus de 72 fournisseurs ont abusé du dispositif Arenh. Ajoutons qu’EDF, qui a eu besoin d’acheter de l’électricité à la suite des pannes dans son parc nucléaire, a dû débourser 256 € MWh – mais pour le revendre aux alentours de 46 €.
Et l’essentiel de l’argent permettant d’instaurer le bouclier tarifaire est reversé en priorité aux fournisseurs privés pour compenser leur « manque à gagner » du fait du gel des tarifs. Cette compensation, estimée à 11 milliards d’euros en 2022 et qui pourrait atteindre plus de 20 milliards d’euros en 2023, est censée être reversée aux usagers sous forme de baisses de facture.
L’usager paie, ou plutôt perd, donc deux fois. Une fois en payant les lourds investissements d’EDF avec les frais financiers qui les accompagnent. Une seconde fois, sous forme d’impôts, pour financer les opérateurs privés qui spéculent sur les prix de l’électricité. C’est ce que les économistes de cour, avec leur ton de « sachants », appellent le « marché ».
Tel est le niveau de créativité capitaliste pour détruire le fleuron de l’électricité, créée à la Libération par le communiste Marcel Paul.
Il est temps, pour la France, de faire du combat pour la sortie de l’électricité du marché unique européen, voire de sa refonte complète, une priorité. Cela se joue dans des luttes rassemblant usagers et agents d’EDF. Très nombreuses et nombreux, aujourd’hui loin des sphères syndicales ou communistes, seraient prêts à se joindre à un mouvement contre l’absurdité capitaliste dans le secteur de l’énergie.
Car ce que notre siècle pose avec force, c’est la question fondamentale de faire de l’électricité un bien commun, en lançant un processus de réappropriation sociale, citoyenne et démocratique d’EDF, gérée selon les critères de l’intérêt général, humains et écologiques.
(1) Autorité administrative indépendante française, créée en 2000, chargée de « veiller au bon fonctionnement du marché de l’énergie et d’arbitrer les différends entre les utilisateurs et les divers exploitants, en suivant les objectifs de la politique énergétique ».
(2) Délibération du 29 juin 2023 à lire ici (3) Dominique Estrosi-Sassone, Fabien Gay (rapporteurs), « Conditions d’utilisation de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique », Rapport d’information n° 833 (2022-2023), déposé le 5 juillet 2023. À consulter sur le site web du Sénat. Voir aussi vidéo de Fabien gay sur ses réseaux et sur public-Sénat |
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