Parmi les défis qui se posent au journalisme (et notamment au journalisme d’idées), il y en a deux particulièrement difficiles à relever : le retour du même et la continuelle nouveauté.
Pour le premier, prenons comme exemple les violences policières lors des récentes manifestations (à Sainte-Soline contre le projet de méga-bassine et partout en France contre la réforme des retraites). On se dit qu’il y a là un gros problème. Mais comment on traite ça ? Est-ce qu’on rappelle les quelques mêmes chercheurs spécialistes du maintien de l’ordre - qu’on avait déjà interrogés lors du mouvement des Gilets Jaunes - pour qu’ils expliquent à nouveau comment les doctrines ont changé, comment les personnels agissant dans ces contextes ne sont plus les mêmes, comment les rapports entre pouvoir politique et police ont évolué au point de créer une soumission inquiétante du ministre de l’Intérieur aux fonctionnaires qu’il est censé diriger ? On pourrait oui. Et on le fait. Bien sûr, avec l’impression désespérante de se répéter, ce qui ne serait pas grave si cette répétition n’était le signe supplémentaire que le problème est grave.
Pour le second défi - la continuelle nouveauté - prenons l’exemple de l’intelligence artificielle. A peine deux mois après la sortie de ChatGPT-3, qui a montré au grand public les progrès effectués par cette technologie, et provoqué plein de questions abyssales, voici que sort ChatGPT-4 qui pose plein d’autres questions encore plus abyssales. Que fait-on ? On crie à nouveau à la grande rupture ? On rappelle les mêmes spécialistes qui, deux mois avant, nous avaient expliqué que tout avait changé, pour dire que tout a changé une nouvelle fois ? Eh bien oui, on le fait. En espérant juste que ChatGPT-5 n’arrive pas trop vite.
Dans les deux cas, le premier réflexe est de se dire que notre métier serait plus facile si nous n’avions pas de mémoire, si nous pouvions prendre les faits tels qu’ils se présentent, si nous pouvions être d’une virginité renouvelée face à l’actualité. Mais on peut aussi se convaincre en se disant que le retour du même et la continuelle nouveauté sont deux illusions qui se répondent, qu’en réalité, le même n’est jamais même et la nouveauté jamais complètement nouvelle, et que notre travail consiste précisément à le montrer.
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