Translate

mercredi 1 mars 2023

Retraites à 1 200 euros : après l’aveu de Dussopt, l’embarras grandissant du pouvoir - le 1.03.2022

 https://www.mediapart.fr/


Retraites à 1 200 euros : après l’aveu de Dussopt, l’embarras grandissant du pouvoir



Deux mois après la présentation du projet de réforme des retraites, le ministre du travail a reconnu que pas plus de 20 000 nouveaux retraités bénéficieront chaque année de la revalorisation des petites pensions. Le mythe d’une réforme de « justice sociale » s’effondre, laissant le gouvernement démuni.

Dan Israel et Ilyes Ramdani

1 mars 2023 à 19h00


Plus de 24 heures après l’aveu, le silence. Dans les cabinets ministériels comme dans 

la majorité parlementaire, personne n’a envie de défendre l’indéfendable. Les appels

 sonnent dans le vide, les SMS font chou blanc. Même l’entourage du ministre du

 travail, Olivier Dussopt, laisse les questions des journalistes en suspens dans la

 boucle pourtant consacrée aux échanges avec la presse. 

Le 28 février, le député socialiste Jérôme Guedj a publié sur Twitter une réponse

 que lui a adressée le ministère du travail sur la mesure censée symboliser le 

caractère « social » de la réforme des retraites qu’il a présentée le 10 janvier :

 le passage à 1 200 euros (85 % du Smic) des petites retraites, pour une carrière

 complète au niveau du Smic.

Acculé par les questions, l’exécutif a fini par donner la preuve qu’il avait délibérément 

entretenu la confusion la plus totale sur ce point. Alors que les chiffres parlent 

d’eux-mêmes : chaque année, sur les 800 000 personnes prenant leur retraite,

 seules 10 000 à 20 000 verront le montant de leur pension passer à 1 200 euros

 du fait de la réforme gouvernementale. 

Illustration 1
Le ministre du travail Olivier Dussopt et le ministre des comptes publics Gabriel Attal, à l’Assemblée le 17 février. © Photo Ludovic Marin / AFP

Dans les couloirs des ministères, on soupire en évoquant une séquence « emmerdante »« C’est devenu 

une série Netflix, ce truc, se lamente une source gouvernementale. On a essayé de s’accrocher à cette

 promesse présidentielle en étant persuadés que c’était une bonne idée. Aujourd’hui, c’est un échec

 qu’on ne rattrapera pas. »

La question semble devoir devenir le symbole définitif des mensonges de l’exécutif

 sur 

sa réforme. Les imprécisions d’Olivier Dussopt ont désespéré ses propres collègues,

 jusqu’à Matignon, où l’entourage de la première ministre a regretté l’incapacité du

 ministre du travail à chiffrer la mesure. « Certains ont fait le pari que les gens 

n’allaient pas creuser », regrette un conseiller ministériel.

L’embarras est d’autant plus grand que plusieurs membres du gouvernement 

s’étaient avancés sur la portée de la mesure. « Pas moins de 1 200 euros » pour

 les « pensions de retraite des Français »« c’est notre engagement », clamait

 le ministre Franck Riester en décembre. Sa collègue Marlène Schiappa parlait

 d’un « plancher » à ce niveau. Et le 11 janvier, Olivier Véran, le porte-parole du

 gouvernement, allait plus loin : « 2 millions de retraités actuels […] verront leur

 retraite majorée à 1 200 euros brut par mois », assurait-il.

Dès la mi-janvier, pourtant, Mediapart avait alerté sur « le mirage des petites 

retraites à 1 200 euros ». À l’époque, interrogé par nos soins, Matignon reconnaissait

 ne pas connaître le nombre de personnes concernées par la disposition. Mais ce

 n’est que le 7 février, quand l’économiste Michaël Zemmour a martelé l’évidence

 sur France Inter, devant une Léa Salamé ébahie, que le sujet a franchi le mur du

 son médiatique.

Double défaite

Il a fallu attendre un mois après la présentation de la réforme pour qu’Olivier

 Dussopt, pressé de toutes parts sur ce thème à l’Assemblée, donne un premier

 chiffrage le 15 février. Il indiquait alors qu’environ 200 000 personnes touchant

 pour la première fois une pension de retraite auraient droit à une revalorisation,

 « supérieure à 70 euros » pour 65 000 personnes d’entre elles. Et enfin, 

que 40 000 d’entre elles passeraient « le cap des 85 % du Smic ».

Le chiffre réel des bénéficiaires de la mesure devenue symbole est donc deux à

 quatre fois plus faible. Pourquoi ? En réalité, l’annonce initiale d’Olivier Dussopt

 englobait des retraité·es qui auraient de toute façon eu droit à 1 200 euros, même

 sans réforme, notamment grâce à l’indexation des pensions sur l’inflation. 

C’est ce qu’a dû reconnaître le porte-parole du gouvernement Olivier Véran,

 le 1er mars au matin sur BFMTV, indiquant qu’« entre 15 000 et 20 000 » 

personnes seulement atteindront les 1 200 euros « du fait de la réforme ».

Les premiers chiffres donnés par Olivier Dussopt, en plein débat parlementaire,

 avaient déjà suscité le scepticisme. Au ministre des comptes publics Gabriel 

Attal, le président insoumis de la commission des finances, Éric Coquerel, 

avait par exemple lancé : « Ne pensez-vous pas que vos prévisions sont 

insincères ? »

L’affaire avait pris une nouvelle tournure le 16 février, quand Jérôme Guedj

 s’était saisi des prérogatives de contrôle dont il dispose, en sa qualité de

 co-président de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement

 de la Sécurité sociale (Mess). Le député avait débarqué au ministère de la

 santé pour réclamer la « prévision » évoquée par Olivier Dussopt ; on lui

 avait répondu que le chiffre ne provenait pas de la direction de la Sécurité

 sociale.

De retour dans l’hémicycle, il n’avait plus lâché le ministre, comme de nombreux

 autres parlementaires de gauche, lui demandant, « les yeux dans les yeux », 

« quand et par qui avez-vous eu communication des informations ». Assailli 

de toutes parts, Olivier Dussopt avait fini par lâcher : « Je n’ai à vous rendre

 de compte ni sur les canaux par lesquels je reçois des informations ni sur

 la manière dont je formule mes prévisions » (lire notre récit).

Pour l’exécutif, le dernier aveu du ministre sonne comme une double défaite.

 Sur le fond, d’abord, il vient enterrer le vernis « juste » et « social » que le 

gouvernement a longtemps tenté de donner à sa réforme. Contraint de 

reconnaître que la mesure la plus attractive du projet de loi ne concerne en

 réalité qu’une frange très minoritaire des personnes à la retraite, le

 gouvernement voit s’effondrer l’édifice bien fragile qu’il avait tenté de

 construire à grands coups d’éléments de langage.

Emmanuel Macron comprend mal sa réforme

La défaite du pouvoir est aussi une défaite de communication. L’enjeu n’est

 pas moindre : après avoir réalisé que ses promesses de « progrès » ne 

convainquaient personne, le gouvernement a tenté de construire un discours

 de « vérité » aux Français·es, face à des oppositions accusées de faire des 

promesses irréalistes. Dans la bataille de communication, qu’il était déjà 

n voie d’avoir perdue, le voici pris au piège par sa propre insincérité, dévoilée

 tour à tour par les journalistes, les économistes, les syndicalistes et les

 oppositions.

Dans cette polémique autour des 1 200 euros, la symbolique est loin d’être

 à son avantage. Qui peut comprendre qu’il faille au ministre du travail 

l’interpellation d’un député d’opposition et deux mois de revirements 

pour fournir l’estimation fiable d’une disposition présentée comme

 primordiale ?

Pis, les spécialistes ont pu constater ces derniers jours que l’exécutif continue

 à présenter une version erronée des conséquences de sa réforme. Au point 

qu’il faut désormais s’interroger sur la connaissance technique réelle qu’il 

peut en avoir. Car contrairement à ce qu’avance le gouvernement depuis

 des semaines, les personnes qui auront droit aux 100 euros de revalorisation 

ne sont en fait pas les mêmes que celles qui atteindront les 1 200 euros !

Celles et ceux qui toucheront 100 euros de plus sur leur pension seront en 

fait très largement des personnes ayant travaillé à mi-temps toute leur carrière,

 comme l’a établi Libération début février, en se basant sur une note éclairante

 de l’Institut des politiques publiques. Mais ces « gagnants » de la réforme ne

 passeront pas le cap des 1 200 euros, au contraire d’autres retraité·es, ayant 

gagné plus durant leur carrière, mais qui verront leur pension revalorisée de 

moins de 100 euros par mois.

Le dernier à avoir mal présenté la réforme n’est autre qu’Emmanuel Macron

 lui-même, lors de sa visite au Salon de l’agriculture, samedi 25 février. Le 

président a expliqué que le projet gouvernemental allait favoriser les salarié·es

 à temps plein par rapport à celles et ceux ayant fait carrière à temps partiel.

 Alors que sur ce point précis, c’est l’inverse.

Pas facile de se sortir d’un guêpier d’une telle complexité. Est-ce pour cela 

qu’Olivier Véran a tenté un pari osé à la sortie du conseil des ministres, 

mercredi à la mi-journée ? En référence à la journée de mobilisation du 7 mars,

 durant

laquelle les syndicats vont tenter de « mettre le pays à l’arrêt », le porte-parole 

du gouvernement a lié dans une envolée rhétorique la journée de grève à venir,

 le risque de sécheresse qui menace le territoire et la campagne de vaccination 

des collégiens contre le papillomavirus lancée lundi.

« Mettre le pays à l’arrêt, c’est prendre le risque d’une catastrophe écologique,

 agricole, sanitaire, voire humaine dans quelques mois », mais aussi « mettre 

en danger la santé de nos enfants », a-t-il déclaré. Sans ciller. 

Dan Israel et Ilyes Ramdani

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire